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5.4 Littérature et connaissance de so

Artistes et écrivains sont nos médiateurs : par eux nous sommes mis en contact avec nous-mêmes. (...) Sans leur médiation nous serions comme étrangers à notre être profond; nous ne saurions ni le comprendre ni nous y reconnaître, nous vivrions à la surface de nous-mêmes.

Onimus, Jean, L'enseignement des lettres et la vie.

§ 5.4.1- Les livres, des exemples de formes de vie

Comme nous l'avons déjà souligné, tout au long de sa vie, l'être humain construit son identité. Nous naissons humains, mais il faut arriver à devenir humain. L'être humain, lui, devient grâce au contact avec son semblable. L'enfant apprend par imitation, il s'efforce de ressembler aux adultes. L'homme apprend toute sa vie. Aristote affirme dans la Poétique : « Imiter est naturel aux hommes et se manifeste dès l'enfance (...)" ». L'homme ne naît pas tout fait. L'homme devient donc un homme par l'apprentissage. Il apprend surtout des autres hommes. Savater dira : « Pour être un homme, il ne suffit pas de naître, il faut aussi apprendre. La génétique nous prédispose à devenir des humains, néanmoins ce

n'est que par l'éducation et la vie en société que nous le devenons effectivement100 ». C'est surtout la rencontre avec les autres qui le forme et le transforme. Les livres offrent des exemples de vie et de choix d'autres humains. Us offrent un éventail de formes de vie et proposent plusieurs valeurs incarnées dans des exemples concrets. Pour comprendre notre vie, il faut la comparer avec les autres expériences de vie possibles. La littérature permet d'explorer des modèles de la vie, c'est-à-dire des situations vécues par d'autres. Elle est donc un outil de plus pour aider les jeunes à se connaître davantage.

§ 5.4.2- Les livres, lieu de compréhension des actions et des passions

Les livres, surtout les romans, sont le lieu de la compréhension des actions et des passions des hommes : « (...) le roman ne cesse d'avoir pour tâche et pour sujet nous- mêmes, notre existence dans le monde101 ». Grâce aux œuvres littéraires, l'étudiant s'ouvre à l'éventail des expériences humaines. En lisant les grands textes de notre littérature, il vit des tonnes d'émotions; il ressent l'injustice, la colère, etc. Dans leurs œuvres, les auteurs transcrivent les passions, les désirs. L'étudiant reconnaît ces passions et désirs en lui. Ses joies, ses inquiétudes y sont figurées et élargies. Par exemple, en lisant la pièce de théâtre Caligula de Camus, il saisit le sentiment d'absurdité face à l'existence et l'angoisse qui en résulte. Au contact du texte La mort d'Ivan Ilitch de Tolstoï, il vit la grande souffrance d'Ivan Ilitch qui réalise à la veille de sa mort que sa vie fut veine et dépourvue de sens. Bien sûr, la vie quotidienne nous offre un lot d'expériences; nous vivons la douleur des séparations, de la maladie, des peines d'amour, la joie des retrouvailles; cependant la littérature offre une plus grande variété d'expériences. Comme le dit si bien Jacqueline de Romilly : « L'expérience accumulée dans la littérature (...) offre un registre plus étendu et plus frappant que la plupart des vies102 ». Elle nous fait vivre des émotions et des réalités que nous ne pouvons vivre personnellement. Par exemple, nous pouvons vivre la peur et la souffrance de la déportation d'Etty Hillesum et l'amour passionné de Roméo et Juliettte. La

'"" Savater, Fernando, Pour l'éducation, trad. Hélène Gisbert, Paris, Editions, Payot et Rivages, coll. « Manuels Payot», 1998, p. 49.

1111 Sallenave, Danièle, Le don des morts : sur la littérature, op. cit., p. 121. 102 De Romilly, Jacqueline, op. cit., p. 143.

douleur de l'exil vécue par le personnage du livre Le cri des oiseaux fous de Dany Laferrière. Toutes ces émotions enrichissent notre horizon intérieur.

Toutes ces expériences humaines, ces émotions passent à travers nous, nous marquent et nous aident à découvrir l'humain et à nous découvrir. L'auteur du livre Le trésor des savoirs oubliés explique que « la littérature ne passe jamais en nous sans laisser après elle une petite marque qui peut être légère et à peine perceptible, mais pourtant capable de durer. Cette marque appartient au domaine du sentiment; et chaque connaissance se double d'élans affectifs qui, peu à peu, dessinent nos goûts et nos aspirations103 ». Ce trésor nous fait devenir qui nous sommes. Il nous fait choisir ce que nous voulons. Qu'en est-il du sens de ce que nous vivons? N'est-ce pas ce qui importe le plus à l'homme, à savoir saisir le sens et la clef de ses actions et de ses passions. La littérature éclaire l'énigme que nous sommes et dit le sens de ce que nous vivons. Il importe à l'homme de saisir le sens de ses actions et de sa vie. Cette quête est interminable, toujours reprise. La littérature n'apporte pas de réponses sur un plateau d'argent, mais déploie les questions reliées au sens. Les livres posent la question du sens de la vie. « Si la littérature, si les Lettres, si le roman nous sont nécessaires, et même indispensables, c'est qu'en eux l'existence se donne comme le lieu du dévoilement toujours suspendu, toujours inachevé du sens1 4 ». La littérature contribue donc à nous apprendre comment conduire sa vie. Selon Jacqueline De Romilly, la lecture des classiques laisse des traces en nous et ces traces sont des repères et des références qui nous aident à penser et à vivre. Si la plus grande connaissance était pour Socrate la connaissance de soi, la fréquentation de la littérature est essentielle pour y arriver. La culture littéraire permet d'approfondir la réflexion des jeunes sur ce qu'ils veulent. Grâce à leurs lectures, ils choisiront davantage ce qui est significatif pour eux et ce que doit être leur vie. Donc, la littérature peut aider à suivre le commandement de Socrate : connais-toi toi-même.

IU3 De Romilly, Jacqueline, op. cit., p. 128