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PARTIE I : CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL DE RECHERCHE

CHAPITRE 3 : BIODIVERSITÉ ET STRATÉGIES INTÉGRÉES DE

3.3 Les aires protégées à la croisée de la conservation et du développement

3.3.5 Les limites des stratégies intégrées

L’analyse synthétique de Therville (2013) à propos des reproches de certains auteurs vis-à- vis de l’efficacité des stratégies intégrées confirment largement la remise en cause des PICD (Hugues and Flintan, 2001), des approches communautaires (Berkes, 2004), et des stratégies fondées sur les réseaux écologiques (Vimal, 2010). L’ensemble des critiques concernent l’ensemble des dimensions sociopolitiques, économiques et environnementales (Barrett and Arcese 1995), et émergent à la fois des sciences biologiques (Locke and Dearden, 2005), des sciences sociales (Brosius, 2006), et des courants à l’interface comme la political ecology (Robbins, 2004).

Dans un contexte de compétition croissante entre les structures pour les financements, les projets de conservation intégrée relèvent généralement plus de l’argumentaire stratégique et du concept marketing que de la réconciliation entre communautés locales et aires protégées. Les aspirations économiques des communautés seraient incompatibles avec un usage durable des ressources (Barrett and Arcese, 1995). Les critiques concernent également la manière dont les outils de conservation sont détournés par les autorités ou les acteurs dominants, pour renforcer leur pouvoir et leur hégémonie sur un territoire, et en contrôler l’accès (Brockington, 2004). Certains auteurs estiment que les impacts positifs économiques et sociaux des projets pour les communautés locales sont détournés au profit de quelques acteurs seulement (Adams and Hutton, 2007).

L’analyse de Therville (2013) aborde plusieurs remarques qui portent aussi à l’échelle locale sur la méconnaissance des règles de fonctionnement des sociétés et sur leur simplification excessive (Mathevet and Mauchamp, 2005). D’autres types de critiques se centrent sur les effets de notre manque de connaissance des intérêts des populations pour les ressources, de

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leurs pratiques (Gibson and Marks, 1995) et de leur lien avec les dynamiques écologiques (Gadgil et al. 1993 ; Robbins et al. 2006). Notons aussi les effets du décalage entre les cadres de l’action des aires protégées et les institutions traditionnelles, induisant une absence de reconnaissance, donc de respect des règles (Agrawal and Gibson, 1999).

Également, une des faiblesses des approches intégrées, notamment communautaires, tient dans la simplification extrême des systèmes sociaux. Les communautés sont souvent perçues dans la littérature comme des petites unités spatiales ayant une structure sociale homogène, des normes et des intérêts partagés, et qui assureraient une source d’autorité locale, cohérente et à long terme (Berkes, 2004). Selon (Carlsson, 2000), les groupes sociaux ne sont ni homogènes, ni stables. Il semble nécessaire comme souligné par Therville (2013) de penser les communautés comme des réseaux ou des unités sociopolitiques multidimensionnelles, multi-scalaires, et qui évoluent dans le temps et de mettre l’accent sur la diversité des intérêts d’acteurs multiples, de la manière dont ces intérêts émergent, et des institutions qui influencent les sorties.

Conclusion

Si le concept de «nature» n’est pas réductible à la seule connaissance biologique, rationnelle, celui de biodiversité est un enjeu au cœur des relations entre l’homme et la nature, qui naît avant tout d’un construit social, économique et politique. Les subtilités à la base des différentes interprétations du concept de conservation puisent ses origines historiques à la croisée des discours sur l’émergence des disciples d’écologie et de biologie de conservation, ainsi qu’entre les modèles de gestion des ressources naturelles anglo-saxon et latin. L’état des connaissances sur les grandes transitions paradigmatiques propres à la conservation de la nature et aux aires protégées a permis de présenter l’outil « aire protégée » sous ses différentes formes, et de le caractériser dans ses multiples dimensions : en tant qu’outil de conservation et de développement (un espace, des objectifs, des moyens), en tant que moyen d’apaiser les tensions et les conflits entre nations (cas des APTF), et en tant qu’objet socio- écologique complexe. Il en ressort de cette synthèse qu’un tournant paradigmatique majeur durant les années 1980-1990 a permis le passage du modèle dominant des approches ségrégatives à celui des approches intégratives, avec notamment l’intégration des sociétés dans les espaces de la conservation.

A travers l’analyse critique des stratégies intégrées de conservation et du développement, nous avons pu constater que l’intégration s’est manifestée à différents niveaux. Au niveau

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des objets protégés, des objectifs génériques et spécifiques de l’aire protégée, de l’accès et des usages, des outils de régulation et de gestion, des intérêts représentés et des points de vue dominants, du partage du pouvoir et des responsabilités, des compétences et des savoirs recherchés et reconnus, des caractéristiques des moyens humains et financiers mobilisés, des répertoires de justification, et des relations de l’aire protégée aux territoires environnants. Cette synthèse nous a permis de dégager un ensemble des limites dont celles qui se centrent sur les effets de notre manque de connaissance vis-à-vis des intérêts des populations pour les ressources, de leurs pratiques (Gibson & Marks, 1995) et de leur lien avec les dynamiques écologiques (Gadgil et al. 1993 ; Robbins et al, 2006). Également, une des faiblesses des approches intégrées, notamment communautaires, tient dans la simplification extrême des systèmes sociaux. Les communautés sont souvent perçues dans la littérature comme des petites unités spatiales ayant une structure sociale homogène, des normes et des intérêts partagés, et qui assureraient une source d’autorité locale, cohérente et à long terme (Agrawal & Gibson 1999 ; Berkes, 2004).

Il convient de rappeler à cet égard que plusieurs communautés locales africaines ont établies des systèmes coutumiers de gestion des ressources naturelles qui réussissent souvent à conjuguer harmonieusement l'équité et la justice sociale, l'efficacité, la durabilité et la conservation de la biodiversité. L’interface complexe entre la diversité biologique et culturelle nous pousse à l’exploration du dualisme nature-culture et du champ de la sociologie de la connaissance, notamment les pratiques et les représentations sociales afin de mieux comprendre la dynamique complexe des systèmes « socio-écologiques ». Le rôle de la vision du monde et du rapport à la nature qui en dérive joue un rôle crucial sur les pratiques endogènes de gestion et d’utilisation des ressources et du territoire.