5.7 Discussion
6.1.2 Les limites identifiées
Des critères de jugements inappropriés, non validés et hétérogènes
Dans la revue sur les traitements de la pustulose palmoplantaire, nous avons constaté que
l’efficacité a été évaluée par de multiples scores ou échelles différentes non validés. Ce
phénomène a été observé dans d’autres domaines de la dermatologie. Une revue systématique
Cochrane, évaluant la minocycline dans le traitement de l’acné, ayant inclus 39 essais,
retrouvait 50 méthodes différentes d’évaluation de la sévérité.
83De même, la revue Cochrane
évaluant les traitements du vitiligo, ayant inclus 96 essais, retrouvait 48 méthodes
d’évaluation différentes.
11Ce phénomène empêche de comparer l’efficacité des traitements et
ne permet pas de synthétiser dans une méta-analyse, les essais ayant évalué la même
comparaison en raison de la variabilité de la définition du critère de jugement. Outre le
nombre d’outils d’évaluation différents, se pose également la pertinence de la validité des
échelles ou des scores. En effet, leurs qualités métrologiques doivent être validées et elles
doivent évaluer une amélioration qui a un sens clinique pour le patient. Cela n’était pas le cas
pour la quasi-totalité des outils utilisés dans les essais évalués dans cette thèse en dehors du
domaine du psoriasis en plaques où le score PASI a été bien validé.
79L’évaluation de la qualité de vie par le patient est primordiale en dermatologie.
4,61Aucune
donnée n’a pu être synthétisée pour ce critère de jugement pour l’herpès génital ou la
pustulose palmoplantaire. Soit, parce qu’elle n’était pas évaluée, soit parce qu’elle était mal
ou pas rapportée. Une étude montrait que seuls 17 sur 125 essais publiés en dermatologie
entre 1994 et 2001 utilisait de façon appropriée un critère de jugement de qualité de vie.
84La
situation s’est améliorée pour les essais récents avec, dans la revue sur le psoriasis en plaques,
un tiers des interventions ne rapportait pas ou pas de manière exploitable une échelle de
qualité de vie.
Enfin, pour ce qui concerne les critères de jugement, ceux-ci sont pratiquement toujours
évalués à court terme dans des maladies chroniques qui par définition nécessitent d’être
évaluées au long court.
85,86La durée des essais dans la pustulose palmoplantaire et le psoriasis
en plaques était au maximum de 24 semaines.
Des risques de biais spécifiques
Certaines limites sont plus spécifiques aux essais en dermatologie. Nous avons, par exemple,
considéré que tous les essais ayant évalué un rétinoïde systémique dans les revues sur la
pustulose palmoplantaire et le psoriasis en plaques étaient à haut risque de biais. En effet,
cette classe thérapeutique est responsable d’effets indésirables spécifiques et systématiques
(sécheresse cutanéomuqueuse) facilement identifiables par le patient et les soignants ou les
évaluateurs, d’autant plus si ces derniers sont dermatologues.
Des effets indésirables non rapportés ou mal rapportés
Les revues systématiques ne sont pas le meilleur moyen pour évaluer la tolérance. En effet,
l’évaluation se fait à trop court terme et le nombre total de patients recevant le traitement est
trop faible pour pouvoir mettre en évidence les effets secondaires rares et graves. De plus, la
conclusion sur les effets indésirables dans les 3 revues est qu’ils sont mal et insuffisamment
rapportés pour pouvoir obtenir des résultats ayant un degré de certitude élevé. Ces résultats
sont différents de ceux rapportés par Haddad C et al, concluant que les effets indésirables sont
globalement bien rapportés dans les 5 principaux journaux de dermatologie pour des essais
publiés entre 2010 et 2014.
87Ces résultats pourraient être en faveur d’une amélioration de la
description des effets indésirables suite à la publication de l’extension de la grille CONSORT
aux effets secondaires.
88Nous avons, par ailleurs, remarqué que le nombre d’effets indésirables graves observés dans
le groupe de patients ayant un psoriasis modéré à sévère, traités par placebo, était aussi élevé
que celui observé dans le groupe traitements. Ce résultat est notable dans la mesure où les
patients inclus dans ces essais sont sélectionnés sur leur absence de comorbidités ou de
maladie associée. Par conséquent, le taux d’évènements graves attendus dans le groupe
placebo est a priori bas.
Des données existantes mais inaccessibles
Les recherches des études ont été réalisées via de multiples sources visant à limiter le risque
de ne pas identifier une étude ayant les critères d’inclusion, qu’elle soit publiée ou non.
Néanmoins, certaines études ont pu ne pas être identifiées. Nous avons identifié, 2 études non
publiées dans la revue sur herpès génital pour lesquelles nous avons pu obtenir les résultats, 3
dans la revue sur la pustulose palmoplantaire et 6 dans la revue sur le psoriasis en plaques.
Dans ces deux derniers cas, nous n’avons pas réussi à obtenir les résultats malgré nos
tentatives de joindre les auteurs. Un exemple de biais de publication, dans le traitement des
molluscum contagiosum par l’imiquimod, a été plusieurs fois rapporté dans la littérature
dermatologique. Ce traitement a été utilisé hors AMM pendant plusieurs années sur la base
d’un essai ayant inclus 24 patients. L’inclusion dans une revue Cochrane des données non
publiées issues de la FDA mentionnant l’absence de différence entre imiquimod et placebo
dans deux essais, ayant inclus au total plus de 800 patients, a permis de conclure à
l’inefficacité de ce traitement dans cette indication
. 89,90Nous n’avons pas été en mesure de réaliser les analyses en sous-groupes prévues dans la
revue sur le psoriasis en plaques. En effet, ces résultats n’étaient pas rapportés ou de façon
inappropriée pour pouvoir réaliser ces analyses. Néanmoins ces données ont été évaluées dans
de nombreux essais. Leur mise à disposition permettrait de comparer l’efficacité des
traitements pour des populations spécifiques tel que les patients obèses ou ayant un
rhumatisme psoriasique associé.
Par ailleurs, dans les revues sur l’herpès génital et le psoriasis en plaques, plusieurs essais
étaient rapportés dans de multiples publications. Nous avons observé jusqu’à un total de 14
publications pour un essai. Nous avons défini, lorsque les résultats étaient discordants, un
ordre de préférence des sources pour pouvoir assurer une certaine transparence et
reproductibilité au processus d’extraction. Néanmoins, le risque d’erreur, malgré une
extraction des données indépendamment par deux auteurs, est accentué dans ces situations de
multiples publications.
Le problème de la mise à jour des revues systématiques
Il concerne principalement la revue sur les traitements du psoriasis en plaques. La dernière
recherche d’études pour cette revue, publiée en décembre 2018, a été faite en décembre 2017.
Depuis cette date, 17 nouveaux essais pouvant être inclus, dont trois évaluant l’efficacité et la
tolérance de nouvelles molécules, ont été publiés. La version actuelle de cette revue n’est
donc plus à jour. Les revues réalisées dans certains domaines où l’innovation thérapeutique
est riche peuvent rapidement ne plus être à jour.
91,92Un agenda de la recherche ne posant pas les questions importantes et pertinentes
Ce travail a mis en évidence, que dans les domaines de l’herpès et du psoriasis, 80% des
essais utilisaient uniquement le placebo comme comparateur. Le manque d’essais comparant
deux traitements actifs ont été rapportés dans d’autres maladies dermatologiques, tel que les
traitements locaux des ulcères de jambes ou de la dermatite atopique.
40,42Ce phénomène n’est
pas propre à la dermatologie et a été rapporté notamment en rhumatologie pour la polyarthrite
rhumatoïde.
38,41Cette préférence pour l’utilisation du placebo comme comparateur est en
partie expliquée par un agenda de la recherche guidée par l’industrie.
8,38,86Dans nos 3 revues,
la majorité des essais, pour lesquels la source du financement était décrite, déclarait un
financement par l’industrie pharmaceutique, 79/82 pour le psoriasis en plaques, 22/24 pour
l’herpès génital, et 17/19 pour la pustulose palmoplantaire. Le lien entre essais versus placebo
et essais industriels s’explique en partie par la nécessité de réaliser des essais versus placebo
pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché (AMM) d’un traitement conformément aux
recommandations des agences de régulation (Food and Drug Administration (FDA) et
European Medicines Agency (EMA)).Par ailleurs, les industriels ne souhaitent pas prendre le
risque d’une comparaison qui serait défavorable à leur produit. On peut ainsi noter qu’en plus
d’un faible nombre d’essais utilisant un comparateur actif, le comparateur actif choisi est le
plus souvent le moins efficace. Ainsi dans la méta-analyse en réseau des traitements du
psoriasis en plaques 5 des 7 essais comparant deux traitements biologiques entre eux
utilisaient comme comparateur l’etanercept, traitement biologique considéré comme le moins
efficace. La méta-analyse en réseau est un bon moyen de pallier au manque d’essais face-face
par sa capacité à réaliser des comparions indirectes. Néanmoins, la fiabilité des résultats est
améliorée par la présence de comparaisons directes.
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Dans le document
Apport des revues systématiques et méta-analyses en réseau en Dermatologie
(Page 69-72)