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Chapitre 3 – Discussion 100!

6. Limites et perspectives futures 118!

La principale limite de notre étude concerne la généralisabilité de nos données. À première vue, l’exclusion de patients présentant des troubles comorbides et suivant un traitement pharmacologique psychoactif semble restreindre de manière considérable l’applicabilité de nos résultats à des patients plus typiques (i.e., médicamentés et aux prises avec d’autres affections psychiatriques). De plus, tel que mentionné en introduction, les données épidémiologiques suggèrent qu’une minorité (environ 12 %) de patients soit représentée par un trouble des tics « pur » (sans comorbidité clinique) (Freeman et al., 2000). Cependant, notre échantillon se compare à ceux rapportés dans la recension des écrits scientifiques au niveau de la sévérité les tics (Crossley, Seri, Stern, Robertson, & Cavanna, 2014 ; Thibault et al., 2008 ; Worbe et al., 2012). Ceci implique notamment que malgré la restriction de notre échantillon à un sous-ensemble de la population d’individus atteints de tics, nos participants sont représentatifs au niveau de la sévérité des symptômes. De plus, tel qu’argumenté lors de l’établissement des objectifs de l’étude, la stricte sélection des participants nous a permis d’investiguer les éléments électrocorticaux qui sont principalement associés à l’expression de tics. Étant donné l’utilisation grandement répandue d’échantillons comorbides et médicamentés, l’interprétation des résultats obtenus dans ces études pourrait être teintée par ces variables. L’apport de nos résultats permet donc d’humblement dissocier quels mécanismes pourraient potentiellement être directement liés à la présence de tics.

Par ailleurs, la taille de notre échantillon se compare à celles utilisées dans des études d’électroencéphalographie. Malgré tout, seulement 24 patients tics furent comparés à 15 individus contrôles sains, ce qui pourrait potentiellement influencer les tailles d’effets observés. À cet effet, nous observons tout de même des tailles d’effets importantes en ce qui concerne la sévérité des tics. Ceci signifie notamment que notre taille d’échantillon était

suffisante pour observer les tailles d’effets anticipées. Le même scénario se présente au niveau des résultats de potentiels évoqués cognitifs. Globalement, puisque nos modèles statistiques furent construits afin de maintenir une puissance de 0.80 et de minimiser le risque d’erreur alpha à 5 %, une taille d’échantillon de 39 semble avoir été suffisante pour observer de larges tailles d’effets. Dans le cas où nous aurions anticipé observer des tailles d’effets plus petites, il aurait effectivement été nécessaire d’augmenter notre taille d’échantillon.

Parallèlement, certains pourront potentiellement nous reprocher l’inclusion de patients présentant un diagnostic des troubles de comportements répétitifs dirigés vers le corps (traduction libre de Body-Focused Repetitive Behaviors Disorder, BFRD) dans notre échantillon, surtout compte tenu de leur récente inclusion dans le spectre obsessif-compulsif dans la dernière version du DSM (American Psychiatric Association, 2013). Malgré ce point, plusieurs auteurs dénoncent le manque de consensus concernant la conceptualisation et la catégorisation de ces troubles (e.g., (Bate et al., 2011 ; Snorrason, Ricketts, et al., 2012 ; Stein et al., 2010). Tel que présenté en détail dans l’Annexe 5, les troubles inclus dans les BFRD (comme la trichotillomanie42, l’excoriation43, etc.) semblent faire l’objet d’une confusion clinique étant donné l’évolution décousue de leurs critères diagnostics et catégorisations à travers les différentes versions du DSM. Ainsi, tel que présenté à la section 2.1 du chapitre 2, nous soutenons qu’une sous-population de patients présentant des BFRD démontre un portrait clinique et neurobiologique similaire à celui des patients tics. De plus, nous croyons que les BFRD pourraient tenir lieu de tics complexes. Néanmoins, cette conceptualisation ne vient pas en contradiction avec la récente association des BFRD avec le spectre obsessif-compulsif. Au même titre que les troubles des tics, nous soutenons simplement qu’une grande hétérogénéité phénoménologique caractérise les BFRD rendant leur conceptualisation et catégorisation encore plus ardue. En résumé, plusieurs indices pointent vers le chevauchement entre les BFRD, les troubles des tics et le spectre obsessif-compulsif. Au niveau neuropsychologique, on rapporte que l’inhibition motrice (Chamberlain, Odlaug, Boulougouris, Fineberg, & Grant,

42 La trichotillomanie est caractérisée par l’arrachage de cheveux et de poils qui se fait de

manière assez fréquente et intense pour provoquer des blessures physiques et avoir un impact fonctionnel important sur la vie de la personne.

2009 ; Odlaug, Chamberlain, & Grant, 2010) et l’apprentissage visuospatial (Chamberlain et al., 2009) semblent affectés et que la flexibilité cognitive resterait intacte (Odlaug et al., 2010) dans la trichotillomanie et l’excoriation. Ce profil neuropsychologique est similaire à celui retrouvé chez les patients tics et semble se distinguer de celui des patients TOC (dans lequel la flexibilité cognitive est notamment atteinte) (Remijnse et al., 2013). De plus, des études de neuroimagerie ont identifié une diminution volumétrique du putamen, gyrus frontal inférieur et cortex cingulaire. Tel que présenté dans le présent manuscrit, ces régions sont aussi affectées dans les troubles des tics. Cependant, ces mêmes régions furent tout autant identifiées dans le TOC (Nakao, Okada, & Kanba, 2014). Il est toutefois important de garder en tête que les ganglions de la base ainsi que les régions frontales semblent être communément affectés dans plusieurs autres troubles psychiatriques, comme la schizophrénie (Kambeitz, Abi-Dargham, Kapur, & Howes, 2014). D’un point de vue génétique, des anomalies au niveau du gène SLITRK1 (tel qu’identifié pour les troubles des tics) furent aussi retrouvées chez des patients atteints de BFRD (Zuchner et al., 2006). Au niveau psychologique, on rapporte que des sensations prémonitoires semblables à celles retrouvées dans les troubles des tics sont aussi présentes avant l’exécution du BFRD (Stein et al., 2010). De plus, malgré la possible ressemblance entre les compulsions et les comportements effectués dans les BFRD, aucune pensée obsessionnelle n’est rapportée précédant les BFRD (Phillips et al., 2010). Complémentairement, les BRFD seraient effectués de manière contrôlée (ressemblant plus au TOC) ou automatisée (ressemblant plus aux tics) (Snorrason, Ricketts, et al., 2012). Le décours temporel des BFRD ressemble beaucoup plus aux troubles des tics, en ce qu’ils apparaissent vers l’adolescence (moyenne 13,5 ans), fluctuent (wax and wane) et se résolvent parfois d’eux-mêmes (Gershuny et al., 2006 ; Snorrason, Smari, & Olafsson, 2011 ; Tay, Levy, & Metry, 2004). Du côté thérapeutique, le renversement d’habitudes (efficace pour les troubles des tics et le TOC) ainsi que la clomipramine et la fluoxetine (surtout efficaces pour le TOC) furent démontrés efficaces dans le traitement des BFRD (Peterson, Campise, & Azrin, 1994). Par ailleurs, au niveau des données électrocorticales, les potentiels évoqués pré- moteurs (Bereitschaftspotential) ainsi que les potentiels évoqués associés au mouvement (Movement Associated Potential) semblent être affectés de manière similaire dans les troubles des tics et les BFRD (O’Connor, Lavoie, Robert, Stip, & Borgeat, 2005). Ces résultats suggèrent notamment que la planification et l’exécution des réponses motrices automatisées et

non-automatisées (contrôlées) seraient autant affectées dans les BFRD que dans les troubles des tics.Au final, il faut garder en tête que plusieurs auteurs ont suggéré que les troubles des tics soient eux aussi catégorisés dans le spectre obsessif-compulsif (Phillips et al., 2010) : le SGT et le TOC représentant les deux extrêmes de ce spectre. Pour le moment, il semblerait donc qu’encore beaucoup d’investigations devront être entreprises afin de clarifier les liens qui existent entre ces troubles. Ainsi, puisque notre étude portait principalement sur l’investigation de l’impact moteur, nous soutenons que l’inclusion de patients présentant un diagnostic de BFRD est justifiée en raison des arguments présentés ci-dessus et en Annexe 5.

Dans un autre ordre d’idées, il est important de rappeler que le paradigme Oddball utilisé dans la présente étude est construit afin d’induire la composante P300. Tel que présenté ici, d’autres composantes sont aussi identifiables étant donné que plusieurs processus cognitifs doivent prendre place avant l’actualisation contextuelle en mémoire de travail. Ce point constitue une limite, commune aux études de potentiels évoqués cognitifs, car seule l’investigation de notre problématique à l’intérieur de paradigmes explicitement créés pour l’étude de la P20044 et/ou de la N20045 permettra de confirmer ou d’infirmer nos hypothèses concernant ces deux autres composantes.