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CHAPITRE 7 : DISCUSSION

7.4. Limites de l’étude

Arrivés au terme de cette recherche, il nous faut à présent la soumettre à un regard critique. Malgré son importante contribution et son apport original, la présente étude comporte des limites qu'il importe de souligner. La reconnaissance de ces limites permettra d'aborder les résultats avec la nuance et la prudence qui s’imposent.

Tout d’abord, nous voulons émettre une critique quant à l’homogénéité des populations d’enfants auprès desquels sont impliqués les tuteurs de résilience ayant participé à cette étude. En effet, l’âge des enfants varie d’un tuteur à l’autre (parfois de 0 à 5 ans, parfois de 12 à 14 ans et parfois de 12 à 16 ans), ce qui représente parfois un écart de 3 à 4 ans. D’autres part, pour ceux placés en familles d’accueil, certains d’entre eux, avant d’être placés, ont été confiés à un tiers digne de confiance. Si tous les enfants dont parlent les participantes et participants ont été exposés à des situations de maltraitance, ils n’ont pas bénéficié des mêmes suivis, des mêmes prises en charge. Certains ont dû endurer les violences familiales sur une durée beaucoup plus importante, certains ont été maltraités précocement dans leur famille biologique, ce qui a sans doute eu des effets négatifs sur le développement de leur processus de résilience. De plus, il semblerait que parmi tous ces enfants, certains cumulent plusieurs types de mauvais traitements, cumul qui a eu un impact plus important que la seule présence de négligences graves.

Il est vrai que les violences physiques, les maltraitances sexuelles et les négligences graves sont mieux détectés de nos jours, il n’en est pas de même pour la maltraitance psychologique, qui est moins visible, ce qui laisse croire qu’il est possible que certains paramètres activationnels de résilience échappent aux chercheurs et intervenants. Il est fort probable que l’ensemble de ces paramètres interfère avec les résultats obtenus. Notre population

étant composée essentiellement d’intervenants, nous sommes d’avis, à l’instar de Husain (1991)16, qu’il est illusoire de penser pouvoir obtenir une population homogène : c’est un idéal méthodologique presque jamais atteint, dans la mesure où il n’existe pas deux individus semblables, ou deux récits de pratique complétement identiques. Néanmoins, il est nécessaire de faire avancer les savoirs scientifiques sur le processus d’activation de la résilience chez les enfants exposés aux maltraitances, même si l’on sait que beaucoup de facteurs échapperont à notre contrôle.

Nous sommes conscients que l’effectif de cette étude n’est pas suffisamment important en termes de nombre, ce qui ne permet pas de généraliser les données qu’elle a fait émerger. Mais comme nous l’avons précisé, l’objectif de cette recherche était de cerner les conditions qui entrent en ligne de compte dans le processus d’activation de la résilience. Or, il aurait fallu que les participantes et participants, ou le chercheur, établissent le niveau de résilience de chaque enfants avant leurs expositions à la maltraitance, ce qui n’est pas sans poser de difficultés. Pour satisfaire à cette exigence méthodologique, il faudrait mettre en œuvre des études longitudinales. Il serait alors possible d’évaluer régulièrement les enfants, de rencontrer ceux qui échappent à notre regard, de suivre le développement de ces enfants après leurs expositions à la maltraitance. Une telle démarche permettrait d’évaluer d’une part l’activation de la résilience, d’autre part, la non résilience, dans une perspective de cycle de vie. La question à laquelle de telles recherches pourraient répondre est celle de la pérennité ou non de ce processus. La mise en œuvre d’un processus d’activation de la résilience est-elle une garantie de protection face à d’autres traumas ?

La résilience est sans doute encore en cours de développement. Les et implications et applications qui en découlent au niveau de l’intervention sont encore à construire, à valider et à délimiter. En dépit du fait que le concept de résilience soit à la fois utile et très intéressant, notamment dans le développement positif de l’enfant exposé à la maltraitance, certains sont très perplexes par rapport à son utilité réel (Tisseron, 2002). Le rejeter complètement pourrait mener au déterminisme, à la résignation, au pessimisme paralysant, voire au fatalisme. Que l’on soit

pour ou contre, le mot « résilience » est d’abord ambigu, car il masque le caractère toujours extrêmement fragile des défenses développées pour faire face aux traumatismes.

La résilience n’est jamais, complètement solide (Terrisse et Larose, 2001). C’est un processus non-linéaire, avec des hauts et des bas. On peut être résilient par rapport à une situation, un contexte, mais jamais pour toujours. Résilient un jour, ne signifie pas résilient pour toujours. La résilience n’est pas acquise une fois pour toutes, mais en constant développement. Ainsi, un sujet réputé résilient peut rencontrer des ruptures ou failles de résilience lors d’une accumulation de stress ou de traumatismes (Anaut, 2002). Par ailleurs, le processus de résilience souvent évoqué chez les enfants ou à partir de l’enfance semble pouvoir apparaître à différentes étapes de la vie. Ainsi, on observe l’émergence du processus résilient à tout âge (y compris dans la vieillesse (Anaut, 2002).

Si l’adversité revient en force, la vulnérabilité et les risque de resombrer reviendront également. Le parcours résilient n’est pas synonyme de puissance ou d’invulnérabilité (Cyrulnik, 2000; Gilligan, 2008). Assurer que tout un chacun s’en sortira sans problème considérant ce qu’il a déjà vécu serait également un manque de nuances. Rien ne garantit qu’on se relèvera ou non. Et si on ne se relève pas, cela ne constitue pas un trait de caractère se référant à de la faiblesse ou de la lâcheté (Tisseron, 2002). D’où la nécessité de développer des méthodes d’intervention qui permettront de soutenir l’humain face aux épreuves rencontrées.

Pour certaines personnes, c’est impossible d’envisager une portée positive de l’épreuve car cela en revient à dire qu’on peut « se tirer d’affaire ». Or le problème réside dans le fait qu’on a pourtant toujours tendance à la considérer comme un fait acquis, ou à acquérir (Cyrulnik, 2000; Gilligan, 2008). La résilience recouvre des processus d’aménagement des traumatismes qui profitent à la fois à l’individu qui les pratique et à ses proches, et d’autres par lesquels l’ancienne victime d’un traumatisme « rebondit » aux dépens de ceux qui l’entourent (Cyrulnik, 2000). Le développement positif nécessite un bon degré d’efforts personnel. Certains facteurs relèvent de soi-même (et seulement de soi).

La résilience n’est pas une panacée. Elle aide, particulièrement dans l’adversité, quand les choses vont mal. Mais quand tout va bien, il est probable que l’enfant maltraité ne saura peut-être pas en profiter. Dans l’adversité, l’enfant réputé résilient s’en tire parfois mieux. Mais quand les choses vont bien, l’enfant non maltraité s’en tire souvent mieux (Tisseron, 2002;

Gilligan, 2008). On peut cependant se demander si les formes de résilience ancrées dans l’adversité relèvent du processus de résilience ou bien s’il s’agit de pseudo-résiliences ?

L’utilisation du concept de résilience doit faire preuve de prudences et de nuances puisque chaque individu étant fondamentalement différent, il en va de même par rapport aux réactions face aux épreuves rencontrées. Il s’agit d’un processus dont les responsabilités sont partagées individuellement et collectivement. Notons également que la résilience ne consiste pas à nier la détresse. Au contraire, il s’agit d’un long processus de reconstruction de soi qui implique à la fois le plus beau et le plus sombre de soi: rebondir implique nécessairement de toucher le sol.

Nous rejoignons de nombreux auteurs, dont Anaut (2002) pour laquelle, si l’on considère que la résilience s’appuie sur les expériences relationnelles et les possibilités de nouer des liens, cela lui confère un caractère variable selon les individus et chez un même individu, dans le cours de son développement. Nous ne pouvons donc pas négliger les possibilités de changement, notamment lors des périodes de crise, comme par exemple l’adolescence avec les remaniements psychiques et physiques qu’elle entraîne, mais aussi plus tard à l’âge adulte (accès à la parentalité, chômage, retraite, etc.).

Enfin, par ce qu’interactif et relationnel, le processus d’activation de la résilience ne peut être inférée que du seul point de vue des intervenants. Il faudra suivre, par observation directe, les interactions enfants-tuteurs pour parachever notre travail de reconstruction de ce processus. De plus, nous n’avons pu étudier les différences de stratégies d’activation de la résilience à l’échelle individuelle. Nous nous sommes contentés de décrire globalement ledit processus. Cependant, nous sommes convaincus qu’existent de nombreux attributs individuels qui conditionnent la mise en œuvre de l’activation, et qui demeurent à mieux comprendre.

Quelques questions qui découlent de cette étude

La science poursuit l’objectif de s’acheminer vers le but infini de découvrir des problèmes nouveaux, plus profonds, de proposer des réponses et de soulever des questions

nouvelles voire affinées Popper (1998). Dans cet ordre d’idées, nous sommes conscients que plusieurs questions découlent de cette thèse :

Au-delà des professionnelles eux-mêmes, quels sont les modes de gestion qui peuvent dans les environnements de travail permettre la résilience activée ?

Que savons-nous sur l’influence du placement sur le bien-être et le développement des enfants en milieu substitut ?

Étant donné que le soutien socioaffectif est insuffisant et que la présence d’un rapport de confiance avec l’entourage est nécessaire pour activer le processus de résilience. Comment cela varie-t-il en fonction des étapes de développement des enfants servis, de la sévérité et de la durée de la maltraitance subie, ainsi que de leurs trajectoires de placement?

Nous reconnaissons l’ensemble de ces questions fait partie des limites de notre études. Par exemple, la dimension environnementale n’a pas été pris en compte. Nous allons en tenir compte, avec d’autres chercheurs dans d’autres opérations de recherche, dans notre programmation de recherche future.

Pour ce qui est de l’influence du placement, au chapitre I, il est question entre autres des difficultés auxquelles sont confrontés les enfants au moment d’être placés. Les défis qu’ils rencontrent peuvent provenir aussi bien de l’expérience de placement que des suites des raisons initiales ayant motivé leur retrait du milieu familial. Avant d’être placé, l’enfant vit souvent dans un environnement familial propice au développement de troubles intériorisés (Goodman et al., 2004 ; Ford et al., 2007). L’influence du placement sur le bien-être et le développement des enfants en milieu substitut devrait définitivement faire l’objet d’études futures. Nous reconnaissons qu’il existe cette dimension-là, nous reconnaissons aussi que c’est une limite de notre étude. Idem pour la façon dont l’implication du soutien socioaffectif de l’enfant varie en fonction des étapes de développement des enfants. Nous allons en tenir compte dans d’autres opérations de recherche futures.