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LIENS MÉCANISTIQUES ENTRE LES LIPIDES INTRAMUSCULAIRES ET LA RÉSISTANCE À L’INSULINE

Le lien qui unit les lipides intramusculaires et la résistance à l’insuline n’est pas encore complètement élucidé. Pour qu’une théorie soit valide, elle doit expressément tenir compte du paradoxe de l’athlète évoqué précédemment selon lequel des individus entraînés de façon chronique ont autant de lipides intramusculaires que les patients DT2, tout en présentant une bonne sensibilité à l’insuline. Il est toutefois probable que plusieurs mécanismes soient impliqués simultanément, de même que certaines pistes abordées précédemment (localisation intracellulaire des TG, proportion de fibres musculaires oxydatives, etc.). La prochaine section discutera donc de certaines pistes concernant les mécanismes d’action impliqués dans l’association entre les lipides intramusculaires et le développement de la résistance à l’insuline.

3.1 Cycle de Randle

Proposé en 1963, le cycle de Randle est un modèle de régulation de l’homéostasie du glucose et des acides gras libres dans lequel la compétition dynamique des substrats énergétiques entraîne l’utilisation préférentielle de l’un aux dépens de l’autre, en fonction de leur abondance111. Cette théorie implique que la disponibilité des substrats en elle-même a un rôle

direct dans la régulation du métabolisme et du flux des acides gras et des glucides, conjointement au contrôle hormonal exercé par le système endocrinien (insuline/glucagon).

Cette théorie a été appuyée au fil des années par de nombreuses études112. Il a été démontré

que l’augmentation des réserves de TG intramyocellulaires résultant de diètes riches en gras s’accompagne d’une hausse de la lipolyse à l’exercice même en l’absence de lipolyse du tissu adipeux85, suggérant l’utilisation préférentielle des lipides intramusculaires lorsqu’ils sont

abondants. Des études utilisant une infusion de lipides ont rapporté des changements significatifs dans l’oxydation des lipides (+ 40 %), l’oxydation du glucose (- 40 % à - 63 %) et dans la captation du glucose (- 46 %)113,114. Dans le muscle squelettique spécifiquement,

Walker et coll. rapportaient une diminution significative de la captation de glucose par le muscle de l’avant-bras à la suite d'une infusion de lipides115. La résistance à l’insuline du muscle

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musculaire, ce qui entraînerait une augmentation de leur oxydation tout en diminuant par le fait même la captation et l’oxydation du glucose par le myocyte.

Le cycle de Randle a ainsi longtemps été proposé comme lien mécanistique entre l’abondance de lipides dans le muscle squelettique et la résistance à l’insuline. Il suppose une augmentation des rapports acétyl-CoA/CoA et NADH/NAD+ qui entraîne plusieurs changements notamment en inhibant les hexokinases et la phosphofructokinase112, respectivement impliqués dans la

captation et l’utilisation du glucose (oxydation/glycolyse)116.

Cependant, plusieurs études indiquent que d’autres mécanismes sont responsables de la résistance à l’insuline dans le muscle squelettique, et impliquent plutôt un défaut dans la cascade de signalisation de l’insuline117,118. Il a été rapporté que la résistance à l’insuline dans

le muscle squelettique pourrait être due à une altération dans la translocation de GLUT4, relocalisée dans un compartiment plus dense de la membrane cellulaire et devenant impossible à mobiliser par le biais de l’insuline119. Le délai de plusieurs heures observé entre

l’infusion de lipides et la résistance à l’insuline113,114 sème également un doute voulant que le

cycle de Randle soit à lui seul responsable de la résistance périphérique à l’insuline120,121.

3.2 Métabolites lipidiques : céramides, acyl-CoA et diacylglycérols

L’accumulation de métabolites intermédiaires lipotoxiques dans le myocyte est en ce moment la piste la plus acceptée pour expliquer le lien entre la résistance à l’insuline du muscle squelettique et son infiltration de lipides ectopiques (figure 1). Plus spécifiquement, les céramides, les diacylglycérols (DAG) et les acyl-CoA intracellulaires semblent perturber la cascade de signalisation de l’insuline de manière directe et indirecte122. Dans ce modèle, les

TG ne sont pas responsables du développement de la résistance à l’insuline, mais sont plutôt un marqueur de l’accumulation de ces métabolites dans le myocyte chez les sujets sédentaires122.

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Les études sur des cultures de cellules et sur des modèles animaux ont permis de préciser les mécanismes moléculaires par lesquels ces métabolites exercent possiblement un rôle sur la résistance à l’insuline. Les acyl-CoA et les DAG causeraient la résistance à l’insuline par l’activation de la protéine kinase C (PKC)123. La PKC désactive le récepteur de l’insuline,

induisant ainsi une perturbation majeure à la base de la cascade de signalisation123. Une étude

menée in vitro a démontré que l’incubation de cellules musculaires avec des activateurs de la PKC induit une résistance à l’insuline alors que les inhibiteurs de la PKC semblent l’inverser124.

Les céramides semblent causer des perturbations à différents niveaux dans la cascade de signalisation de l’insuline, notamment en interférant avec la translocation des protéines transporteuses de glucose GLUT4 par l’inhibition de la protéine kinase B (PKB)123.

Figure 1. Représentation schématique de la résistance à l’insuline musculaire.

Adapté de Anne-Marie Bayol et collaborateurs125.

Des études corroborent ces observations chez l’humain. Les niveaux d’acyl-CoA à longue chaîne corrèlent avec la résistance à l’insuline chez l’humain126. De plus, les niveaux de

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lient également les DAG musculaires à la résistance à l’insuline98,128. Notamment, il a été

rapporté qu’une infusion de 20 % de TG induisait une hausse significative des réserves de DAG intramusculaires, accompagnée d’une hausse de l’activité de PKC et d’une diminution de la sensibilité à l’insuline128.

Cependant, d’autres études rapportent des résultats plus difficiles à réconcilier129-131. Ainsi,

Amati et coll. ont rapporté que les céramides étaient augmentés chez des sujets obèses par rapport à des athlètes et à des sujets sédentaires de poids normal, mais que les DAG étaient augmentés de 50 % à 100 % chez les athlètes par rapport aux deux autres groupes et étaient plutôt associés à la sensibilité à l’insuline131. Des observations comparables ont été rapportées

par Coen et coll. qui suggéraient que les céramides, et non les DAG, jouaient un rôle dans la résistance à l’insuline129. À l’inverse, une étude d’Itani et coll. rapportait une augmentation

marquée des DAG à la suite d’une infusion de lipides entraînant la résistance à l’insuline alors que les niveaux de céramides ne changeaient pas significativement128. Bergman et coll. ont

observé que les DAG situés dans la membrane, et non dans le cytosol, étaient les seuls significativement associés à la résistance à l’insuline et que leurs niveaux étaient diminués chez les athlètes132, fournissant une piste d’explication à la disparité de ces observations.

Il a également été suggéré que l’activité physique serait protectrice contre la résistance à l’insuline induite par les métabolites lipotoxiques en favorisant la synthèse de TG au détriment des autres espèces de lipides133. Schenk et Horowitz ont rapporté qu’une seule séance

d’exercice protégeait les sujets contre la résistance à l’insuline induite par une infusion de lipides et d’héparine administrée le lendemain de l’entraînement133. Ces observations

s’accompagnaient d’une plus grande abondance de diacylglycérols acyltransférase (DAGT)1 (+ 25 %), qui catabolisent la dernière étape de formation de TG à partir d’acyl-CoA et de DAG134, et de glycérol-3-phosphate mitochondrial (+ 35 %), une autre protéine impliquée dans

la synthèse de TG133. L’abondance de ces deux protéines chez les sujets ayant participé à

l’entraînement était parallèle à une augmentation 50 % plus importante de TG intramyocellulaires et à une diminution significative des DAG et non significative des céramides133. Un mécanisme similaire avait été proposé pour expliquer la protection accordée

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3.3 Peroxydation des lipides

Piste beaucoup moins étudiée dans le lien entre les lipides intramusculaires et la résistance à l’insuline, la peroxydation des lipides est néanmoins une autre avenue intéressante. Une étude d’Ingram et coll. a démontré qu’il y avait un lien entre l’accumulation de lipides intramusculaires, la résistance à l’insuline et l’accumulation de 4-hydroxynonénal, un marqueur de la peroxydation des lipides135. Une étude de Russell et coll., réalisée en 2003, a démontré que

des sujets obèses avaient des niveaux de peroxydation plus de cinq fois plus élevés que des sujets entraînés en endurance, malgré une quantité de lipides intramyocellulaires similaire136.

Les sujets entraînés présentaient également une peroxydation diminuée de 45 % par rapport aux sujets témoins minces136. Alors que la peroxydation est probablement augmentée chez les

sujets obèses à cause du temps de résidence des lipides intramyocellulaires136, elle est sans

doute diminuée chez les sujets entraînés en endurance par le biais d’une augmentation de la défense antioxydante137. Il reste donc énormément à faire afin d’élucider le rôle de la

peroxydation des lipides dans la résistance à l’insuline, mais ces observations pourraient fournir une autre piste plausible afin d’expliquer le paradoxe de l’athlète.

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