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Chapitre 2 : Principales propositions théoriques de l’amorçage comportemental

1. Lien perception-comportement

Une des explications des effets d’activation automatique du comportement repose sur le principe de l’action idéomotrice (Carpenter, 1876; James, 1890) et invoque l’accessibilité mentale comme processus explicatif de ces effets. Selon le principe de l’action idéomotrice, le simple fait de penser à un comportement ou de le percevoir augmente automatiquement la probabilité de s’y engager et ce, de manière passive, c’est-à-dire même si l’action est indépendante des intentions conscientes. L’impulsion d’une action suscitée par la pensée se reflète dans le comportement effectif, sans intervention de la volonté. Ce mécanisme d’expression directe de la pensée sur le comportement est possible car les structures mentales qui servent à imaginer et à se représenter des comportements sont liées à celles qui servent à produire ces comportements (Gallese, Fadiga, Fogassi, & Rizzolatti, 1996). Il y aurait un chevauchement entre les zones du cerveau servant à la représentation des comportements et celles permettant leur production. Plusieurs travaux de neurophysiologie vont dans le sens du principe de l’action idéomotrice, en montrant par exemple que le fait de penser à un mot ou à un geste entraîne la même activation dans le cortex cingulaire antérieur que lorsque le mot est effectivement prononcé ou que le geste est exécuté (Paus, Petrides, Evans, & Meyer, 1993). De la même manière, le fait de simuler mentalement une action conduit à l’activation des mêmes neurones dans le cortex prémoteur que l’exécution de celle-ci. L’imagination d’une action (e.g., courir) a donc des conséquences neurophysiologiques comparables à celles observées lorsque l’on s’engage réellement dans le comportement (Jeannerod, 1994). Les programmes moteurs seraient actifs lors de l’imagination d’un comportement, tout autant que lors de sa réalisation (e.g., Decety, Jeannerod, Germain, & Pastene, 1991; Jeannerod, 1997). De ce fait, la perception d’indices associés à des actions spécifiques (e.g., voir une poignée de

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porte) activerait les comportements correspondants (e.g., un mouvement de préhension) (e.g., Tucker & Ellis, 1998). Par extension, un concept, même abstrait, comme l’intelligence, peut amener un individu à agir de façon plus intelligente (Dijksterhuis & van Knippenberg, 1998). Les caractéristiques situationnelles déclencheraient automatiquement un comportement car elles augmenteraient l’accessibilité mentale du comportement, ce qui conduirait les individus à s’y engager (Bargh & Chartrand, 1999; Holland et al., 2005). Le comportement serait guidé via un lien direct « perception-comportement », et reflèterait ainsi le concept activé (Dijksterhuis & Bargh 2001). Par exemple, les effets de l’amorçage d’une catégorie sociale sur les réponses comportementales sont médiatisés par l’activation des caractéristiques stéréotypiques de cette catégorie (e.g., les personnes âgées associées à la rigidité mentale) (Bargh et al., 1996). Les individus disposent de différentes informations représentées en mémoire (e.g., traits de personnalité, comportements, buts, attributs physiques, affects) qui sont organisées en réseaux (Carlston & Smith, 1996) et sont interconnectées. La présentation d’une information active un certain nombre d’informations en mémoire, qui en activent elles- mêmes d’autres par diffusion de l’activation (Collins & Loftus, 1975). L’exposition à un concept social (e.g., les personnes âgées) active les caractéristiques qui y sont reliées et les représentations comportementales sous-jacentes (e.g., la lenteur), lesquelles influencent en retour le comportement (e.g., la vitesse de marche) en adéquation avec le concept activé (Bargh, 2006; Bargh et al., 1996; Dijksterhuis & Bargh, 2001). Ce processus peut se dérouler de manière passive et involontaire (i.e., traitement passif de l’information, Shiffrin, & Schneider, 1977).

La médiatisation du lien entre perception et comportement par l’accessibilité mentale des caractéristiques liées au concept activé a toutefois été remise en question. Kawakami et al. (2002) examinent l’importance de l’activation des caractéristiques stéréotypiques dans le lien

1ère partie – Chapitre 2

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entre l’amorçage d’une catégorie sociale et le comportement automatique. Ils démontrent que l’amorçage comportemental entraîne une augmentation de l’accessibilité mentale de la catégorie amorcée. Contrairement à l’hypothèse de Bargh et al. (1996), cette accessibilité ne médiatise toutefois que partiellement les effets de l’amorçage sur le comportement. Selon Kawakami et al. (2002), les réponses comportementales se produisent indépendamment de l’augmentation de l’accessibilité du stéréotype. Les effets de l’amorçage seraient plutôt dus à des réseaux en mémoire. Ces réseaux ne sont pas seulement associés aux caractéristiques de personnalité mais aussi à des caractéristiques physiques, des attentes, des attitudes, des sentiments et des comportements sociaux (Andersen & Klatzky, 1987; Deaux & Lewis, 1984). D’après ces auteurs, l’activation d’une catégorie diffuse à d’autres réseaux, différentes associations stéréotypiques, dont des représentations comportementales qui y sont fortement associées.

Cette explication purement passive des effets de l’amorçage comportemental présente néanmoins quelques limites. Tout d’abord, le lien entre les cognitions et le comportement n’y est pas spécifié; c’est-à-dire qu’il n’y a pas de prédiction précise quant au comportement moteur qui sera activé par une représentation mentale donnée (e.g., le trait agressif peut se manifester à travers divers comportements). Une autre critique adressée à ce modèle est qu’il ne détermine pas l’amorce qui, parmi la multitude d’amorces potentielles présentes dans l’environnement, exercera un effet sur le comportement (e.g., Doyen, Klein, Simons, & Cleeremans, 2014; Newell & Shanks, 2014). Confronté à la catégorie des personnes âgées, un individu peut être amené à se déplacer plus lentement mais également à se montrer bienveillant envers autrui (les deux caractéristiques faisant partie du stéréotype de cette catégorie). De plus, l’activation de concepts est plus ou moins forte selon les individus (Dijksterhuis, Aarts, Bargh, & van Knippenberg, 2000; Gawronski, Ehrenberg, Banse,

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Zukova, & Klauer, 2003) et une même amorce peut activer des concepts différents et avoir des conséquences différentes en fonction des individus (Wheeler & Berger, 2007). Il a notamment été montré que le stéréotype de noir américain était susceptible de provoquer une réponse comportementale agressive (i.e., « fight ») ou un comportement de distanciation (i.e., « flight »), selon que les participants se trouvaient dans un endroit confiné ou ouvert (Cesario, Plaks, Hagiwara, Navarrete, & Higgins, 2010). Des facteurs individuels et contextuels sont donc susceptibles de moduler l’effet de l’amorçage et d’aboutir à un phénomène d’assimilation ou de contraste. Le contexte active non seulement un certain nombre de comportements de façon automatique, mais sert aussi de filtre pour faciliter ou inhiber ces comportements. Cette explication des effets d’amorçage en termes de lien direct perception- comportement s’avère limitée dans la mesure où les objectifs des individus et plus largement, la motivation, peuvent déterminer la nature du comportement exprimé en réponse à une amorce spécifique. Des modèles théoriques plus récents (i.e., le modèle de l’inférence située, Loersch & Payne, 2011; la théorie du soi actif, Wheeler, DeMarree, & Petty, 2007) proposent des solutions à ces limites.