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Chapitre 4 : La conscience de soi comme modérateur des effets d’amorçage

1. Le soi et l’amorçage comportemental

a. Définition du concept de soi

Le concept de soi peut être défini comme « l’expérience de l’individu d’être présent en tant qu’une personne qui possède sa propre identité, délimitée, auto gouvernée et vivante, avec une certaine uniformité et une organisation de soi cohérente » (Kircher et al., 2002, p. 683). James, à la fin du 19ème siècle, a distingué deux aspects fondamentaux, le « je » (soi en

tant que sujet, connaisseur) et le « moi » (soi en tant qu’objet, connu). Le « je » organise et interprète les expériences, il a conscience de son unicité et de sa continuité dans le temps. Le

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« moi » contient les connaissances à propos de soi, les évènements de l’histoire de vie, les traits de caractère, l’apparence physique, les relations à autrui, le rôle dans la société, etc. Le concept de soi a été envisagé de différentes manières avant d’aboutir à un certain consensus concernant sa nature dynamique et multidimensionnelle (e.g., Markus & Kunda, 1986). Par certains aspects, le soi est relativement stable. Il est en effet constitué d’un ensemble de conceptions chroniquement accessibles (e.g., « je suis une femme », « je suis Française ») mais il est également malléable dans le sens où il peut varier en fonction des éléments du soi rendus accessibles par la situation sociale dans laquelle se trouve l’individu (e.g., « je suis bavard et extraverti seulement avec mes amis »). En effet, chacune des conceptions du soi peut être activée à un moment particulier, en raison de facteurs rendus saillants par la situation. Le soi présente donc une variabilité contextuelle qui rend l’accessibilité des caractéristiques qui lui sont liées sensible aux motivations induites par la situation immédiate (Markus & Kunda, 1986). De plus, le soi englobe une grande variété de conceptions de soi comme par exemple les sois positifs et négatifs, les sois espérés, les sois redoutés, les sois idéaux, ou encore les sois possibles (e.g., Greenwald & Pratkanis, 1984; « possible selves »; Markus & Nurrius, 1986).

Ces nombreuses représentations du soi qui coexistent en mémoire font qu’il existe une grande complexité dans les réseaux concernant les informations à propos du soi (e.g., Higgins, 1987; Prentice, 1990; Showers, 1992). Puisque les connaissances liées au concept de soi complet (i.e., les identités et les représentations qui en font partie) sont diverses, elles ne peuvent, cognitivement, pas être toutes accessibles en même temps (e.g., Higgins & Bargh, 1987; Markus & Wurf, 1987). Un sous-ensemble particulier de ces informations va être activé et accessible en mémoire de travail à un moment donné : le soi de travail (e.g., Markus & Wurf, 1987; Niedenthal & Beike, 1997) ou le soi actif (Wheeler et al., 2007). Certains

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éléments font partie du concept de soi de travail de manière permanente (aspects schématiques du soi; Markus, 1977) alors que d’autres aspects n’en font partie que lorsque des caractéristiques de la situation augmentent leur accessibilité. En fonction du contexte, le contenu du concept de soi de travail est temporairement modifié (e.g., Markus & Wurff, 1987; Mischel & Shoda, 1995). Le soi varie donc en fonction des connaissances à propos du soi qui sont actives à un moment donné en mémoire de travail, selon les indices provenant de la situation sociale immédiate (e.g., Banaji & Prentice, 1994). C’est parce que les contenus du soi de travail changent que le concept de soi apparaît comme malléable (DeSteno & Salovey, 1997). L’organisation et le contenu de celui-ci sont flexibles. Donc, « le concept de soi de travail est une structure temporaire constituée d’éléments issus des conceptions de soi, organisée selon une configuration déterminée par les évènements sociaux en cours » (Markus & Kunda, 1986, p. 859). Le concept de soi de travail est une configuration particulière des représentations issues du concept de soi global (i.e., du concept de soi chronique, Wheeler et al., 2007) qui régule les actions et les réactions de l’individu. Les structures actives dans le concept de soi de travail sont la base sur laquelle l’individu initie l’action, l’observation, le jugement et l’évaluation de ses propres actions (e.g., Wheeler et al., 2007). Le soi joue donc un rôle clé dans la production et la régulation des actions (e.g., Cross & Markus, 1990). En effet, un certain nombre de recherches montrent l’importance du concept de soi de travail dans la direction de l’attention, la perception, la motivation et le traitement de l’information (e.g., Higgins, 1987; Kihlstrom & Cantor, 1984; Markus & Nurius, 1986). L’information liée au soi est donc plus susceptible d’affecter les processus cognitifs et motivationnels qui mènent à l’action. Ainsi, le caractère actif et multifacette de la structure du concept de soi en fait un important médiateur et régulateur du comportement de l’individu dans le sens où il est impliqué dans le traitement de l’information sociale (e.g., Markus & Wurf, 1987). Si les

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caractéristiques environnementales (e.g., amorçage comportemental) sont capables de modifier le concept de soi de travail en rendant saillant certains éléments constitutifs du soi (i.e., activation biaisée; Wheeler et al., 2007) ou en intégrant l’amorce au concept de soi (i.e., expansion du soi; Wheeler et al., 2007), alors l’amorce serait susceptible de modifier le comportement.

b. Attention vers soi et amorçage comportemental

Des travaux ont mis en relation le concept de soi et l’amorçage comportemental. Par exemple, DeMarree et Loersch (2009) examinent les facteurs attentionnels comme des déterminants des modifications observées dans le concept de soi et au niveau du comportement après un amorçage comportemental. Les auteurs proposent que l’orientation de l’attention vers soi (vs. vers une autre cible) entraîne une assimilation de l’amorce au concept de soi, qui se reflète dans le comportement et dans les auto-perceptions. Toutefois, ces propositions sont inférées à partir des jugements réalisés par les participants eux-mêmes (i.e., jugement de soi-même vs. d’une autre cible sur un certain nombre de caractéristiques). De plus, les processus par lesquels l’amorce influence le comportement ne sont pas testés. De même, DeMarree et al. (2005) démontrent que lorsque les sujets sont amorcés avec le concept d’agressivité, leur comportement est affecté par l’amorce s’ils sont dans une situation dans laquelle les auto-perceptions sont pertinentes pour diriger l’action. Mais là encore, les processus qui sous-tendent ces effets ne sont pas testés directement. En effet, l’influence de l’amorçage est évalué à travers des mesures implicites des attitudes des participants (i.e., les participants se sentent plus agressifs ou plus chanceux) et non pas à l’aide de mesures comportementales. Les mécanismes sous-jacents à ces effets ne sont pas identifiés. En revanche, lorsque l’attention des sujets est dirigée vers autrui (vs. vers soi-même), l’amorçage du stéréotype de « voyous » les amène à ressentir de l’anxiété avant une interaction sociale et

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à avoir un comportement d’évitement lors de celle-ci (s’assoir plus loin d’une autre personne). Cet effet n’est pas retrouvé quand l’attention est dirigée vers soi (Wyer, Calvini, Nash, & Miles, 2010). Dans ces travaux, le contenu de l’amorce semble être attribué à tort à ce qui est au centre de l’attention au moment de l’amorçage (i.e., soi ou autrui). C’est ce mécanisme de mauvaise attribution qui expliquerait l’influence de l’amorçage comportemental sur le comportement (Loersh & Payne, 2011). L’orientation attentionnelle semble donc être un facteur modérateur de l’influence des amorces sur les réponses affectives et comportementales, elle serait capable d’amplifier ou de diminuer les effets d’amorçage comportemental. Plus précisément, la conscience de soi a été invoquée comme potentiel modérateur des effets d’amorçage comportemental.