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La liberté contractuelle à l’entrée des négociations se présente sous deux aspects principaux. Tout d’abord, elle implique une liberté dans la forme de l’invitation à entrer en négociation (§ 1), puis dans le choix d’accepter ou non une invitation à négocier un contrat (§ 2).

§ 1 : Liberté dans l’invitation à entrer en négociation

L’invitation à entrer en négociation se fait à travers une offre de négociation ou de pourparlers. Il est important de ne pas la confondre avec l’offre de contracter ou d’autres initiatives contractuelles. La doctrine s’accorde à distinguer l’offre de pourparlers de l’offre de contrat. Ainsi pour les professeurs Lluelles et Moore, l’offre de contrat « est une initiative, provenant d’un des éventuels contractants, certaine et non équivoque, tendant directement vers la conclusion d’un contrat »173. De plus, elle doit « contenir en son sein tous les germes du contrat à conclure »174.

En revanche, l’offre de pourparlers intervient en amont de l’offre de contracter. Comme l’ont souligné les professeurs Jobin et Vézina, « [s]i la proposition oblige la personne à qui elle est faite à une négociation, à une demande de renseignements ou de précisions sur ces éléments, elle ne constitue pas alors une offre véritable, mais une simple invitation [à engager des pourparlers] »175. Ainsi, l’acceptation d’une offre de négocier ne peut conduire à la conclusion

173D. LLUELLES et B. MOORE, préc., note 27, n° 275, p. 154.

174Id. Voir également : Jean PINEAU, Danielle BURMAN et Serge GAUDET, Théorie des obligations, 4e éd. par

J. PINEAU et S. GAUDET, Montréal, Éditions Thémis, 2001, n° 39, p. 96 et 97.

175J.-L. BAUDOUIN, P.-G. JOBIN, Les obligations, 7e éd. par P.-G. JOBIN et N. VÉZINA, préc., note 31, n°

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quasi instantannée du contrat envisagé dans la mesure où elle ne contient pas les éléments essentiels de ce contrat. C’est ce qui ressort de l’analyse des professeurs Larroumet et Bros :

« [i]l y aura toujours cette différence entre les deux notions que l’offre de contracter permet la formation du contrat lorsqu’une acceptation intervient, alors que l’offre d’entrer en pourparlers ne le permet jamais, parce que, ne comportant pas la précision de l’offre de contracter, il n’y a pas de conclusion possible du contrat sans une négociation en vertu de laquelle les éléments essentiels du contrat émergeront pour aboutir à l’accord des volontés »176.

En raison de la liberté contractuelle dans les pourparlers, l’invitation à entrer en négociation peut se faire de différentes manières. Un individu intéressé à faire affaire avec un tiers peut ainsi lui soumettre une offre de négociation dont il choisira la forme. Cette invitation peut se faire par téléphone, courriel électronique, courrier postal ou encore en personne. En effet, « the initial approach may then take the form of a telephone conversation, a newspaper advertisement, or an invitation to tender. It may also consist in (…) door-to-door selling »177.

Parfois toutefois, cette offre de négociation est beaucoup moins personnalisée. C’est le cas des offres publicitaires ou des petites annonces. Les offres publicitaires ou les petites annonces sont des documents publicitaires. Ils ont été définis par les professeurs Ghestin, Loiseau et Serinet comme des documents « délivrés avant la formation du contrat afin d’inciter à la conclusion de celui-ci »178. La professeure Labarthe élargit la notion de « documents »,

176Ch. LARROUMET et S. BROS, préc., note 26, n° 248, p. 219.

177Pierre LEGRAND jr., « Precontractual Relation in Quebec Law : Towards a Theorical Framework », dans

Ewoud H. HONDIUS (dir.), Precontractual Liability : reports to the XIIIth Congress, International Academy of Comparative Law, Montreal, Canada, 18-24 August 1990, Deventer, Kluwer, 1991, p. 273, à la p. 277.

178J. GHESTIN, Traité de droit civil, La formation du contrat, t. 1 « Le contrat - Le consentement », 4e éd. par J.

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traditionnellement de nature écrite, en précisant qu’ « en théorie, rien n’empêche de considérer des documents graphiques, voire des documents oraux »179 comme des documents.

Les professeurs Jobin et Vézina donnent deux exemples concrets d’offre de négociation de ce type en évoquant la situation pour laquelle une personne « met une annonce dans un journal pour engager un employé domestique ou quelqu’un pour garder ses enfants »180.

La liberté contractuelle, appliquée spécifiquement à la phase précontractuelle, permet non seulement aux individus le choix dans la forme de l’invitation à entrer en négociations, mais aussi celui d’accepter ou de refuser une telle invitation.

§ 2 : Liberté d’accepter une invitation à négocier

La liberté contractuelle permet aux individus d’accepter ou de refuser une invitation à négocier un contrat181. La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises ce principe. Dans l’affaire Christie v. York Corp.182, la Cour suprême a énoncé que :

« the general principle of the law of Quebec is that of complete freedom of commerce. Any merchant is free to deal as they may choose with any individual member of the public. It is not a question of motives or reasons for deciding to deal or not to deal ; he is free to do either »183.

179Françoise LABARTHE, La notion de document contractuel, t. 241, coll. « Bibliothèque de droit privé », Paris,

L.G.D.J., 1994, n° 135, p. 100. Voir également : Anne DANIS-FATÔME, Apparence et contrat, t. 414, coll. « Bibliothèque de droit privé », Paris, L.G.D.J., 2004, n° 406-428, p. 254-265.

180J.-L. BAUDOUIN, P.-G. JOBIN, Les obligations, 7e éd. par P.-G. JOBIN et N. VÉZINA, préc., note 31, n°

178, p. 295.

181B. LEFEBVRE, préc., note 73, à la p. 122. 182Christie v. York Corp., [1940] S.C.R. 139. 183Id., p. 142.

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Ce fut également le cas dans l’affaire plus récente Vachon c. Lachance184. Dans cet arrêt de la Cour supérieure, Marthe Vachon, agente immobilière, annonçait ses mandats dans des journaux locaux, dont l’hebdomadaire ʺCourrier Frontenacʺ au sein duquel Lucille Lachance exerce la fonction d’éditrice. Toutefois, à partir de l’été 1993, suite à la création d’un nouveau journal à vocation publicitaire, ʺl’Hebdo en régionʺ, Marthe Vachon cesse de publier ses mandats au sein de ʺCourrier Frontenacʺ et agit même comme représentante aux ventes d’espaces publicitaires de ʺl’Hebdo en régionʺ. Quelques mois plus tard, en raison du manque de succès de cet hebdomadaire, Marthe Vachon souhaite contracter à nouveau avec ʺCourrier Frontenacʺ afin d’y publier ses mandats. Or, le journal refuse de contracter et même d’engager toute négociation de contrat avec Marthe Vachon en raison des faits et gestes déloyaux et malhonnêtes ainsi que de la campagne de dénigrement que cette dernière aurait mené envers l’entreprise. Ce refus de ʺCourrier Frontenacʺ de publier le nom, la photo, les mandats, ainsi que toute demande qui concernait directement Marthe Vachon a, selon elle, conduit à la cessation de ses activités d’agente immobilière à l’été 1994. C’est pourquoi elle saisit la Cour supérieure au motif que l’interdiction de publication lui a été imposée sans raison valable, et ce, dans le seul but de lui nuire et d’anéantir sa carrière. Elle fonde son action sur les articles 6 et 7 du Code civil du Québec. Selon Marthe Vachon, ʺCourrier Frontenacʺ, en refusant de négocier un contrat potentiel et de contracter avec elle aurait commis un abus de droit inconciliable avec la bonne foi. Elle réclame donc des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Le juge de la Cour supérieure, Gérard Lebel, rejette l’action formée par la demanderesse. Il indique que compte tenu du principe « de la liberté de commerce, on ne peut exiger ici des

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défenderesses qu’elles aient néanmoins maintenu des relations d’affaires avec madame Vachon »185. Au juge Lebel d’ajouter que « sous réserve bien sûr du principe général de la bonne foi, au stade précontractuel il n’existe, à proprement parler, aucune obligation de négocier »186.

Le principe suivant lequel, en vertu de la liberté contractuelle au moment des pourparlers, les individus ne sont pas obligés d’accepter une invitation à négocier, est de jurisprudence constante. Il s’agit d’un principe interprété largement puisqu’il s’applique, on le voit dans l’affaire Vachon c. Lachance, même avec un ancien partenaire. Le positionnement des juges quant à cette question est donc assez libéral.

L’état du droit positif est le même dans d’autres systèmes juridiques et notamment en France où la doctrine a précisé que la liberté de choisir son cocontractant potentiel « implique la faculté de ne pas motiver le choix de tel contractant plutôt que tel autre et même celle de ne pas communiquer les critères selon lesquels ce droit est exercé »187. Cette possibilité a d’ailleurs une valeur constitutionnelle découlant de la liberté d’entreprendre188.

185Id., par. 55.

186Id., par. 24.

187M. FABRE-MAGNAN, préc., note 55, n° 64, p. 76. Voir également : Com. 7 avr. 1998, Bull. civ. IV, n° 126,

RTD civ. 1999.78, obs. Mestre, J.C.P. E. 1999.IV.169, note Mousseron, affaire pour laquelle la Cour de cassation souligne qu’un concédant a le droit de traiter avec le contractant de son choix, sans être tenu de motiver sa décision ni de communiquer les critères selon lesquels ce choix est exercé.

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De plus, « [c]ette liberté berce (…) la conclusion des contrats de confiance en permettant aux futurs partenaires de se choisir en considération de facteurs individuels »189. Pour ce faire, il est nécessaire de recueillir des informations sur la personne du partenaire potentiel. Néanmoins, les juges français ont précisé l’étendue de cette « curiosité précontractuelle ». Ils ont ainsi considéré que :

« si le droit de choisir son cocontractant, composante essentielle de la liberté contractuelle (…), confère nécessairement à celui qui envisage de conclure un certain droit de regard, voire de curiosité, sur la personne de son partenaire, encore faut-il que cette curiosité demeure dans les limites du raisonnable et ne vienne pas porter atteinte à la vie privée du candidat au contrat »190.

Des tempéraments sont toutefois à apporter à la liberté contractuelle dans l’entrée éventuelle en négociation. Ainsi, on ne peut refuser d’entrer en pourparlers avec un individu lorsque ce choix est basé sur des considérations discriminatoires ou lorsque l’on a préalablement conclu un contrat de négociation, un pacte de préférence ou encore une promesse de contrat avec l’individu en question.

En effet, la liberté de choisir son cocontractant potentiel est reconnue au Québec « sous réserve des dispositions relatives à l’interdiction de la discrimination, prévues par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne191 »192. L’article 12 de la Charte dispose

189Grégoire LOISEAU, « Contrats de confiance et contrats conclus intuitu personae », dans Valérie-Laure

BÉNABOU et Muriel CHAGNY (dir.), La confiance en droit privé des contrats, coll. « Thèmes et commentaires. Actes », Paris, Dalloz, 2008, p. 97, aux p. 99 et 100.

190Jacques MESTRE et Bertrand FAGES, « Curiosités précontractuelles, (TGI Carpentras, 9 juin 1999, Epoux

Bouzelmat c. Commune de Gigondas, inédit ; Paris, 5e ch. A, 8 mars 2000, SARL Repères c. SARL LDM

Consultants, inédit) », RTD civ. 2000.562, 562.

191Charte québécoise des droits et libertés de la personne, LRQ, c. C-12.

192Paul-André CRÉPEAU et Élise CHARPENTIER, Les principes d’Unidroit et le Code civil du Québec :

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effectivement que « [n]ul ne peut, par discrimination, refuser de conclure un acte juridique ayant pour objet des biens ou des services ordinairement offerts au public ».

Par ailleurs, il arrive que dans certains cas, les parties soient obligées d’entrer en pourparlers et de négocier le contrat définitif. C’est le cas après la signature d’un contrat obligeant à négocier. Comme le soulignent les professeurs Larroumet et Bros, « alors qu’on est toujours libre de refuser d’entrer en pourparlers, ce qui est une conséquence de la liberté contractuelle, il n’en va pas de même lorsqu’on a accepté d’assumer l’obligation de négocier »193 .

Généralement, une telle obligation est prévue dans un contrat de négociation194 ou un accord de principe195 conçu par le Dictionnaire de droit privé comme un « [c]ontrat par lequel les parties s’engagent à poursuivre leur négociation dans le but de former le contrat définitif »196, ou dans une lettre d’intention, définie comme un contrat dans lequel « son auteur déclare son désir – son intention – de poursuivre une négociation et de parvenir à un accord plus ou moins déterminé, ou de préciser un point de cette négociation ou bien encore de faire le point sur la

Sérinet estiment qu’il « suffit ici d’évoquer (…) le principe fondamental de non-discrimination pour illustrer immédiatement le fait que cette conséquence de la liberté contractuelle n’est qu’un principe aux nombreuses et importantes exceptions » (J. GHESTIN, Traité de droit civil, La formation du contrat, t. 1 « Le contrat - Le consentement », 4e éd. par J. GHESTIN, G. LOISEAU et Y.-M. SERINET, préc., note 163, n° 246, p. 185). Voir

aussi le professeur Fages pour qui « [l]e droit de choisir son cocontractant ne doit pas dégénérer en une discrimination portant atteinte aux valeurs universelles d’égalité et de respect » (B. FAGES, préc., note 55, n° 66, p. 79).

193Ch. LARROUMET et S. BROS, préc., note 26, n° 298, p. 262.

194Pour une définition précise de la notion de contrat de négociation : Infra, p. 64-67. 195Infra, p. 68-69.

196CENTRE DE RECHERCHE EN DROIT PRIVÉ ET COMPARÉ DU QUÉBEC, préc., note 43, « Accord de

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négociation en cours »197. Bien entendu, tout dépendra de la manière dont un tel document a été rédigé. Ainsi, « [p]lus [le rédacteur du document] aura précisé et détaillé l’objet de son intérêt ou de son intention, plus les conditions du contrat projeté vont se dessiner et, par conséquent, plus l’existence d’un engagement de négocier sera aisément constaté »198. Ceci existe aussi en France où « le juge peut également inviter les parties à renouer le dialogue et

c’est alors un moment de la négociation qui échappe aux parties »199.

De plus, la liberté de ne pas négocier peut aussi être contrainte dans le cadre d’un pacte de préférence. Nous le verrons, un pacte de préférence est un « accord en vertu duquel une partie s’engage, pour le cas où elle déciderait de passer un contrat, d’offrir d’abord au contractant de passer ce contrat »200. De ce fait, une partie qui a préalablement conclu un pacte de préférence et qui décide de passer un contrat ne peut refuser d’entrer en négociation avec le bénéficiaire du pacte. Comme le précisent les professeurs Larroumet et Bros, le pacte de préférence « fixe un point d’ores et déjà acquis, en conférant au bénéficiaire un droit à la négociation, pour le cas où [la négociation] s’ouvrirait »201. Ce type d’avant-contrat202 fait donc peser sur les parties une obligation de résultat, engager les négociations, et une obligation de moyen, celle de mener les pourparlers de façon loyale et raisonnable. Néanmoins, dans le cadre d’un pacte de préférence, aucune obligation de conclure le contrat définitif ne pèse sur les parties

197J. M. MOUSSERON, M. GUIBAL et D. MAINGUY, préc., note 82, n° 401, p. 238. 198D. MAZEAUD, préc., note 82, 45.

199I. BEYNEIX et L.-C. LEMMET, préc., note 54, 1.

200J.-L. BAUDOUIN, P.-G. JOBIN, Les obligations, 7e éd. par P.-G. JOBIN et N. VÉZINA, préc., note 31, n°

189, p. 305.

201Ch. LARROUMET et S. BROS, préc., note 26, n° 295, p. 257. Dans le même sens : B. FAGES, préc., note 55,

n° 68, p. 80.

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prenantes. Cette obligation de négocier avec le bénéficiaire du pacte n’est opposable au promettant qu’à partir du moment où il décide d’agir. Il s’agit néanmoins d’un tempérament important à la liberté de ne pas entrer en négociation.

La liberté de ne pas négocier peut enfin être contrainte par une promesse de contrat dans la mesure où, à travers la promesse de contrat, « [l]’une des parties ou les deux promettent alors de contracter à une date ultérieure et à des conditions déterminées »203.

Malgré le fait que la liberté de ne pas négocier est contrainte dans certains cas, elle reste un principe dont l’autorité n’est pas remise en cause en droit positif. En effet, bien qu’il arrive que des parties soient obligées d’entrer en pourparlers, elles ne seront pas obligées de conclure le contrat envisagé204. Ainsi, les parties ne peuvent être responsables en cas d’échec des négociations, question que nous étudierons ultérieurement205.

Nous l’avons vu, la liberté contractuelle intervient dès l’entrée en négociation, mais elle s’applique également lors du déroulement des pourparlers précontractuels.