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Les changements des modes de gouvernance comme réponse à la tension sur les ressources naturelles

B. La libéralisation de l'accès aux ressources publiques par le privé.

C'est du constat de l'échec de cette approche de développement participative que des projets de développement misant sur les agents privés que vont se développer des approches qui libéralisent l'accès à des ressources qui sont considérées comme à caractère domanial (inaliénable et imprescriptible). Ainsi dans les trois pays l'encouragement de l'accès privé aux ressources naturelles va-t-il être encouragé.

Ainsi au Maroc, même si les terres collectives restent assez importantes, notamment au niveau des terres de parcours, l'appropriation privative de ces terres est encouragée de plus en plus notamment à travers le Plan Vert. Par ailleurs l'accès aux ressources en eau et par la même à la mise en valeur se libéralise permettant ainsi la mise en place par des investisseurs privés parfois en association avec des opérateurs étrangers d'exploitations intensives sur des terres collectives et avec des ressources en eau puisées dans les nappes profondes.

En Algérie, ce sont des concessions sur des zones de parcours collectifs avec des aménagements pour l'irrigation qui sont mis en place et proposé aux promoteurs privés.

En Tunisie, c'est de l'échec des projets de mise en valeur sous forme collective avec une mobilisation de la ressource par les pouvoirs publics et une réforme agraire à l'intérieur des périmètres en question que l'accès aux ressources est devenu plus libéral. Cette politique relativement récente a permis le développement d'une agriculture irriguée à base de capitaux souvent extérieur au monde rural et à la société locale. Ce choix politique se traduit à la fois par une différenciation exclusion, mais aussi souvent par une gestion minière de la ressource. Il est associé à l'encouragement de la privatisation des terres collectives sous forme de grandes exploitations (ranching).

Cette forme de libéralisation de l'accès aux ressources renforce le dualisme de l'agriculture dans les trois pays. Ainsi en Tunisie où les politiques de développement agricole et rural ont permis d'atténuer le dualisme agricole hérité de la période coloniale à travers le développement d'une agriculture familiale fortement intégrée au marché, l'option d'encourager l'accès libre aux ressources, même s'il reste soumis au contrôle de l'administration renforce le risque de rompre cet équilibre et de renforcer le dualisme.

Au Maroc, les choix contenus dans le Plan Vert peuvent aussi être interprétés comme une orientation privilégiant les entreprises agricoles et l'accès libre aux ressources naturelles et notamment les ressources en sol. Cette orientation qui risque à long terme d'accentuer le dualisme qui caractérise déjà l'agriculture marocaine.

7. Conclusion

L'analyse de l'évolution sur la longue période des modes de gestion des ressources naturelles a permis de mettre en évidence plusieurs tendances lourdes, à savoir la prédominance de la propriété privée et de l'accès privatif à certaines ressources, la dégradation assez générale des ressources dont la situation de fragilité devrait s'aggraver sous l'effet du changement climatique et enfin la difficulté de mettre en place une forme de gouvernance qui concilie entre mobilisation des ressources pour le développement économique et durabilité.

• L'importance prise par la propriété privée ;

Au terme de ce long processus on assiste dans les pays de la région à la prééminence de la propriété privée qui devient la forme dominante avec une régression générale des modes de faire valoir traditionnels et de la propriété collective. Cette tendance dépasse par ailleurs le cadre de la gestion des ressources en sol et touche de plus en plus les autres ressources (eau, forêt, parcours) même si la forme domaniale reste dominante dans certains cas (forêt et eau) et que les parcours sont largement sous le contrôle des communautés locales sous forme de ressources collectives.

• La crise des ressources naturelles ;

Cette tendance à la généralisation de la privatisation de la gestion des ressources naturelles, si elle a donné des résultats sous forme d'intensification de la production et de création d'une agriculture familiale relativement bien intégrée au marché et contribuant fortement à la couverture de la demande nationale voire à l'effort d'exportation, semble rencontrer ses limites dans les régions arides, là où les conditions naturelles constituent un obstacle difficilement franchissable à l'intensification par la mise en culture et par l'arboriculture en sec, voire par l'irrigation. Ces politiques ont alors conduit dans les trois pays à la dégradation des ressources naturelles sous l'effets des conditions naturelles contraignantes, une mobilisation excessive et une usage souvent inadéquat.

• Le recours à la collective pour une gestion durable des ressources naturelles

C'est donc face à l'échec de ces tentatives de pousser la privatisation aux limites de la résilience des systèmes et leur traduction par une dégradation qui risque d'être irréversible des sols que des formes de gestion collectives sont remises à l'ordre du jour et sont reprises par des projets de développement de grande envergure.

Ces projets se heurtent toutefois à la difficultés de mise en place d'une gouvernance locale due à la fois à des questions d'organisation sociale et d'autre part à la faible autonomisation des communautés locales qui ont depuis longtemps perdu leur réelle cohésion sociale autour du patrimoine foncier et qui restent dépendant du pouvoir politique.

En effet ce processus de reconnaissance de la prééminence de la communauté dans la gestion des ressources naturelles et dans le développement pastoral et rural se heurte d'une part à la réalité même de la tribu ou de la fraction de tribu comme organe représentatif de la communauté et comme acteur porteur d'un projet territorial de développement. En effet à la fois le fonctionnement même des communautés basé sur des allégeance de nature tribale et les formes modernes qu'elles sont appelées à endosser dans le cadre des projets de développement dans un environnement institutionnel renouvelé peuvent ne pas s'avérer compatibles et par ailleurs les autorités locales ont tout fait pour marginaliser et étendre leur tutelle à ces structures réduisant d'autant leur capacité de prise d'initiative.

En effet, il nous semble que le second obstacle est celui de la volonté des pouvoirs politiques de mettre en place une réelle décentralisation avec une dévolution de la prise de décision aux communautés locales et le transfert en parallèle des moyens financiers qui vont avec.

Dans ces conditions, la greffe institutionnelles qui cherche à insérer des formes de gestion moderne (les coopératives pastorales ou les groupes de développement) sur une assise traditionnelle (miaad et conseils de gestion) risque fortement de connaître un rejet du fait de la réalité de la base tribale et de sa pertinence comme forme représentative homogène des communautés locales et du fait de la faible volonté des pouvoirs politiques de mettre en place les conditions d'une réelle autonomisation de ces collectivités locales.

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