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Les dictionnaires enregistrent un savoir figé et reconnu.

C’est dire que la date de la parution entérine un usage déjà affirmé. Ils s’accordent81 pour avancer que le mot ‘climacté-rique’ se rapporte à l’année critique pour l’homme, mais égale-ment pour les villes et les Etats. Cotgrave, qui reste un diction-naire indispensable à la connaissance de la langue française du XVIe siècle, explique de manière technique :

Climactere : com. Climatericall, whence ; L’an climactere : The Climatericall year, every seventh, or ninth, or the 63 yeare of a mans life ; all very dangerous, but the last, most. Climacterie de 63 ans. The climatericall, or dangerous yeare of 63. at which age divers worthy men have died82. Toutes les définitions de l’année climactérique aux XVIe et XVIIe siècles pourraient presque se résumer à ces lignes de Cotgrave : il s’agit de multiples de sept et neuf, en particulier la multiplication de sept et de neuf, soixante-trois.

A la fin du XVIIe siècle, l’Académie est plus allusive (Nicot était resté silencieux83), puisque elle ne précise pas de quelle année il s’agit :

Climacterique. adj. de tout genre. Le C. du milieu ne se prononce point. Il n’a d’usage que dans ces phrases. An climacterique, année climacterique, et signifie : Une certaine année que l’on croit fatale, soit dans la vie des hommes, soit dans la durée des Estats et des Villes. Il est mort dans son année climacterique, dans sa climacterique. Les Estats ont leurs années climacteriques aussi bien que les hommes84.

« Fatale » répondant ici à « dangerous » là, l’usage témoigne d’une réelle inquiétude liée à l’entrée dans la soixante-

troisième année de sa vie. Le dictionnaire de l’Académie ajoute l’âge climactérique politique, période critique pour les Etats, nous y reviendrons.

Au XVe siècle, Niccolò Perotti n’ouvrait aucune entrée à

« climacter » ou « climactericus », sans que son lien fort avec les Epigrammes de Martial puisse expliquer seul cette absence85. Domenico Nanni Mirabelli, dans son Florilegium magnum, enregistrait « Annus », en donnant comme à son habitude une définition philologique et des références philosophiques et, si nécessaire, bibliques et patristiques. Pourtant il ne dit rien de l’année climactérique dans son édition de 150386. Ambrogio Calepino, en revanche, s’arrêta bien sur climax, d’où clima-tericus, dès les premières éditions de son dictionnaire latin87. Il cite la lettre de Pline le Jeune à Calvisius, le livre VII de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien et Censorinus, mais non Aulu Gelle88. Au cours du siècle, le savoir climactérique ne viendra souvent que de la consultation, voire de la copie d’une notice composée par un lexicographe. Quand Hermann Weinsberg (1517-1597)89, juriste et conseiller à Cologne, connu pour son immense livre de raison, le Boich Weinsberg, parlera de son âge climactérique, le 3 janvier 1580, il ne fera que reprendre Calepino sans le citer, bien sûr90.

Ces lacunes éveillent un premier soupçon : ce ne serait qu’au début du XVIe siècle que les humanistes s’intéressèrent à l’année critique, après Ficin peut-être. Ce sont en effet les continuateurs de Nanni Mirabelli, réordonnant et complétant la matière du florilège, qui ajoutèrent une entrée pour l’année climactérique91 : « comme si on parlait d’année des degrés », les degrés étant sept ou neuf et leurs multiples, le degré le plus important étant le soixante-troisième, nous le savons déjà.

Comme autorités, ils citent Aulu Gelle et l’empereur Auguste, deux des références que l’on croise régulièrement avec Pline.

La notice sur l’année climactérique s’achève sur une référence au livre « miracles occultes de la nature » du médecin Lievens Lemmens que nous retrouverons92.

Précisons que Robert Estienne s’inscrit dans ce courant en éditant en 1536 son Thesaurus linguæ latinæ. Il ouvre deux entrées à climacter et à climactericus93. Aulu Gelle et Pline sont les autorités citées, Pline étant toutefois corrigé. Ce ne sont plus LIIII années, mais LXIII qui ne peuvent être dépassées94.

Comme c’est le chiffre de soixante-trois qui importe à Aulu Gelle, Estienne amende Pline. La mention de Suidas in fine n’apporte rien de plus95. Au contraire, à consulter l’édition grecque de Suidas ou sa traduction latine, on est étonné de ne rien trouver sous la vedette κλίμαξ, κλιμακτὴρ n’étant pas même retenu96. De fait, Suidas enregistre le mot avec un η ini-tial : κλημακτὴρ97, mais sans développement aucun sur une année climactérique.

C’est un Genevois d'adoption qui va donner l’entrée la plus complète pour l’année climactérique, Henri Estienne qui s’arrête longuement sur κλιμακτὴρ dans son Thesaurus lin-guæ græcæ de 157298, il n’en avait pas fait de même dans son Dictionarium medicum de 156499. C’est que les médecins grecs antiques n’avaient pas fait grand cas des années climacté-riques. Dans son grand œuvre du dernier tiers du XVIe siècle, l’helléniste passe en revue Pline, Censorinus, Aulu Gelle, Julius Firmicus, et d’autres auteurs qui, s’ils n’ont rien dit de l’année climactérique, ont évoqué les multiples de sept, à l’instar de Varron. Entrée la plus aboutie des lexicographes et des philologues de la Renaissance, je la traduis entièrement :

Klimaktèr, èros, ho, échelon de l’échelle, klimaktères (dit Hésychios), les degrés de l’échelle, explication qu’on attri-bue également à Pollux, mais chez lui on le trouve écrit klimatères et ce en trois endroits. On appelle aussi klimak-tères les échelons des échelles dans Ezéchiel, chapitre 21 [= 40, versets 22. 26. 31. 34. 37]. || Klimactères, Années graduelles. Pline, au chapitre 49 du livre VII de l’Histoire naturelle, qu’on appelle De la variété des naissances, écrit : Or on dit que les longévités sont rares, puisqu’aux heures particulières des jours lunaires, à la septième et à la neuvième heure ( qu’on observe aussi bien la nuit que le jour), naît une foule de gens qui mourront selon une loi graduelle des années, années qu’on appelle les années climatériques : généralement, ceux qui sont nés ainsi ne dépasseront pas 54 ans. Censorinus, au chapitre 5 [= 14]

Du jour natal, écrit : Or de nombreux auteurs ont rap-porté qu’il y avait une année climatérique plus critique que toutes les autres, à savoir la quarante-neuvième qui compte sept fois sept ans. Julius [Firmicus] Maternus ( comme on le transmet) dit que la 63e année de vie est la plus dangereuse, puisque les deux nombres sept et neuf

sont décrétoires et nuisibles, et très puissants pour arrêter la vie quand ils sont conjoints. En effet, neuf fois sept ou sept fois neuf font soixante-trois ; et à cause de cela surtout cette année est appelée climactérique, c’est-à-dire par pas et par degrés, puisque en commençant par le septième, la vie de l’homme avance quasi par degrés. Sont égale-ment appelées climactériques la cinquante-quatrième et d’autres plus petites, toutes les fois qu’elles sont multiples de sept ou de neuf. Jusque là, voyez la dépendance avec Aulu Gelle, livre III, chapitre 10, et livre XV, chapitre 7, Marcus Varron affirmant que des périodes dangereuses qui menacent la vie et le sort des hommes, que les astro-logues (Chaldæi) appellent climactériques, ce sont les sep-ténaires qui sont les plus graves. Puisqu’il a été observé et expérimenté depuis longtemps dans la mémoire des hommes, que chez presque tous les vieillards la soixante-troisième année de vie ne survient pas sans quelque dan-ger et calamité, soit une maladie sérieuse du corps, soit la fin de la vie, soit un mal-être spirituel. A cause de cela ceux qui s’adonnent à l’étude de ces choses et aux mots qui les caractérisent appellent cette année de la vie climac-térique. De même Aulu Gelle, là même, ajoute les mots de la lettre d’Auguste à Gaius : ‘Salut, mon Gaius, mon cher enfant si charmant, toi que, par ma foi, j’aimerais tou-jours avoir auprès de moi, en particulier en des tou-jours tels qu’aujourd’hui, mes yeux réclament mon Gaius, toi qui, où que tu fusses en ce jour, as célébré, je l’espère, joyeux et en bonne santé, mon soixante-quatrième anniver-saire. En effet, comme tu le vois en me lisant, nous avons échappé à l’année climactérique commune à tous les vieil-lards, la soixante-troisième année.’ Cela Pline le Jeune le mentionne dans la lettre 44 : Tu vis ton époque climacté-rique, mais tu y échappes. D’où l’on considère que cela est mis pour un temps défavorable et difficile, comme aussi Suidas explique que les moments climactériques sont diffi-ciles proposant cet exemple-ci, il n’est pas possible d’entrer dans ces années climactériques sans grandes difficultés.

Vettius Valens au livre Des contradictions rend compte de la loi climactérique en renvoyant anciennement aux rois Pétosiris et Necepsus, par ce titre, Au sujet du mou-vement septénaire ou novénaire des années climactériques.

Voyez aussi Suétone dans la vie d’Auguste, Ermolao Bar-baro dans ses Corrections de Pline et Jean Brodeau dans ses Miscellanées. D’OÙ Klimaktèrikos, masc., climacté-rique, comme année climactéclimacté-rique, temps climactérique ;

desquels voyez au mot précédent Klèmaktères. De même on dit que le nombre climactérique est celui vers lequel nous montons par degrés ou comme par des escaliers une marche à la fois. Tel est le nombre qui résulte de neuf novénaires. En effet trois fois l’unité font le ternaire ; trois fois le ternaire, le novénaire ; or neuf fois le novénaire donnent quatre-vingt-unième, qui est un nombre climac-térique qui passe rarement sans danger pour la vie. On dit en effet qu’au jour anniversaire de cette année sont morts le philosophe Platon, Diogène le Cynique, Denys Héracléotes et le géomètre Eratosthène100.

Dans sa longue notice, Henri Estienne s’appuie d’abord sur les grammairiens Hésychios d’Alexandrie du VIe siècle et Julius Pollux du IIe siècle, plus bas ce sera Suidas, avant d’en venir aux auteurs qui ont parlé des années climactériques. On remarque qu’il les cite fidèlement, corrige Pline, parlant de la neuvième heure, et non de la quinzième, associée à la sep-tième, mais qu’il se trompe, ou ses protes lisant mal la copie, dans les numéros des chapitres d’Ezéchiel et de Censorinus (ici IIIII pour XIIII ?). Il se réfère aussi à Varron – tel qu’Aulu Gelle l’avait cité dans le livre III des Nuits attiques –, se référant à ses Hebdomades vel De imaginibus qui sont perdues. Henri Estienne cite encore l’ouvrage de Vettius Valens d’Antioche Sur les contradictions, connu alors sous ce titre plutôt que sous celui d’Anthologie. On ne lit toutefois aucune critique sur une quelconque superstition, au contraire, on peut remarquer le soin du philologue à donner citations et références, ajou-tant même in fine quelques philosophes grecs célèbres morts le jour de leurs quatre-vingt-un ans, dont Platon, Diogène le Cynique, le philosophe stoïque Denys d’Héraclée (Heracleotes) et l’astronome Eratosthène. On l’a vu avec Théodore de Bèze et on le verra encore, après la mort de Calvin, à Genève, on considérait les âges climactériques avec gravité certes, mais avec beaucoup d’attention.

Après Cotgrave qui nous a servi de Cicerone dans la consultation des dictionnaires, et Robert Estienne, nous pouvons ouvrir d’autres dictionnaires faisant place aux langues vernacu-laires. Le Dictionarium latinogermanicum du Zurichois Johann Fries, dont la première édition date de 1556, la troisième de 1574101, propose deux entrées à ‘climacter’ et ‘climactericus’102 :

Climacter, climacteris, pen. prod. m. g. Die seigel an der leiter oder staegen. Climatericus, penul. corr. Adject. ut Climactericus annus. Gell. Ein unglücklich gefaarlich jar.

Das in einer gefaarlichen staffen ist. Climactericum tem-pus. Plin. iunior. Habes climactericum temtem-pus. Du hast ein widerwaertige zyt deiner kranckheit.

En comparant avec les textes d’Aulu Gelle et Pline le Jeune, on pourrait constater que le lexicographe zurichois ne traduit pas mot à mot ses sources latines. Fries ne fait toutefois que reprendre exactement la notice de Robert Estienne, dont le Dictionarium Latinogallicum fut régulièrement réédité tout au long du siècle : en 1561, à Paris, chez Charles Etienne ; en 1570, dans une édition partagée entre Sébastien Honorati et François Estienne, mais au seul nom du second en 1591103.

Il n’est enfin pas étonnant que le mot n’apparaisse pas, un siècle plus tard, dans le Glossarium mediæ et infimæ latinitatis de Charles Dufresne, sieur Du Cange (1678), le Du Cange, puisque nous avons dit que l’usage médiéval de l’année cli-mactérique était quasi inexistant et que le mot avait déjà acquis son sens moderne et était utilisé dans l’Antiquité.

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