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CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE L’UNIVERSITÉ ENTREPRENEURIALE : VERS

1.3 L’Université Entrepreneuriale

1.3.2 Les transformations observées

Par ailleurs, à la lumière des caractéristiques essentielles de l’Université entrepreneuriale telles que définies par Etzkowitz et al. (2000) et selon les études empiriques ayant porté leur regard sur le phénomène, la définition théorique de l’Université entrepreneuriale serait associée à certains changements significatifs concrets de la tendance mondiale actuelle favorisant l’introduction d’une culture entrepreneuriale dans la sphère universitaire et laissant ainsi entrevoir une dominance de la socio-économie sur les préceptes propres à l’université traditionnelle.

Entre autres, les années 1980 et 1990 ont vu apparaître dans les universités ce qu’on appelle des bureaux de valorisation de la recherche, dont les visées sont de fournir aux professeurs-chercheurs universitaires l’information nécessaire en matière de valorisation de la recherche universitaire, ainsi que de les encadrer dans l’ensemble de leurs démarches auprès de l’industrie (notamment au niveau de la prise de brevet), de sorte qu’en bout de ligne, les résultats de recherche prometteurs puissent bénéficier d’une valorisation commerciale à la hauteur de leur potentiel initial (FQPPU, 2000). Presque toutes les institutions universitaires québécoises possèdent aujourd’hui ce type

d’organismes regroupés généralement sous l’appellation de BLEU (Bureaux de liaison entreprises- universités). Selon les statistiques recueillies par la Table des BLEU du Québec, en 1998, les activités des Bureaux de valorisation de la recherche se concentrent essentiellement sur le dépôt de brevets, la négociation de licence d’exploitation, la création d’entreprises dérivées et la gestion de contrats de recherche avec le privé (FQPPU, 2000).

Dans le même ordre d’idée, on note depuis plusieurs décennies maintenant une préséance certaine accordée à la gestion de la propriété intellectuelle dans les universités nord-américaines, phénomène tout à fait inédit au regard de la sphère universitaire (FQPPU, 2002), et qui s’étendrait maintenant en Europe et en Asie. On remarque effectivement que bon nombre d’universités ont accordé une attention soutenue depuis quelques années à redéfinir, ou carrément mettre en place, diverses politiques en matière de propriété intellectuelle, de sorte que celles-ci soient plus précises et davantage adaptées à l’intensification des activités de valorisation de la recherche. Les politiques et règlements élaborés dans les années 1970 sont bien souvent désuets au regard des nouvelles réalités économiques, ce qui commande le remodelage de certains d’entre eux afin d’englober toutes les éventualités en matière de valorisation. C’est donc à juste titre que les notions et pratiques associées à l’octroi de licence et à la création d’entreprises dérivées ont été progressivement ajoutées aux politiques relatives au transfert technologique des universités et que les Bureaux de valorisation de la recherche ont été créés spécifiquement pour prendre en charge la gestion de la propriété intellectuelle de l’institution universitaire.

Alors que la prise de brevet était autrefois le fait de l’industrie privée soucieuse de protéger le fruit de ses investissements en R&D, la littérature empirique permet de constater sans l’ombre d’un doute que l’époque actuelle est marquée par l’adoption par les universités de comportements traditionnellement associés à la sphère privée à cet égard (Henderson, Jaffe et Trajtenberg, 1998; Cockburn et Henderson, 1995). Comme le fait remarquer Foray (2000), il ne s’avère pas surprenant de nos jours de constater le dépôt, par une institution universitaire, de brevets sur des inventions réalisées dans ses laboratoires de recherche, ceci dans le but éventuel d’en retirer des profits commerciaux. À cet effet, le phénomène est particulièrement remarquable dans le domaine biopharmaceutique.

Enfin, l’étude menée par Burton R. Clark (1998) auprès de cinq universités de taille moyenne en Europe témoigne également des transformations en cours dans les institutions à l’échelle globale

depuis une vingtaine d’années. Ses observations ont permis d’identifier cinq grandes trajectoires de transformation élaborées par ces établissements afin de répondre aux demandes grandissantes de la société en matière d’implication économique. Il en vient à la conclusion que ces petites et moyennes universités traditionnelles, sans être tout à fait représentatives des grandes universités pour lesquelles le changement est beaucoup plus lent, ont pris avantage de leur passé pour modeler leur futur de façon innovatrice, et ce, sans compromettre pour autant leur héritage intellectuel et leurs principes séculaires. Cette étude se révèle donc pertinente en ce sens qu’elle illustre bien la tendance à l’œuvre dans les universités contemporaines.

D’un point de vue analytique, on constate ainsi qu’un double flux d’influence est désormais créé entre les universités et la société et ses divers acteurs, puisque la distance existant entre les sphères institutionnelles est considérablement réduite. La séparation subsistant entre l’enseignement, la recherche et les activités entrepreneuriales s’avère ainsi beaucoup moins considérable que dans le passé. Cette plus grande proximité des sphères universitaire, industrielle et gouvernementale a bien entendu un impact significatif sur les tâches académiques, de même que sur les politiques mises en œuvre par l’institution pour s’adapter aux nouveaux impératifs socio-économiques (Etzkowitz et al., 2000).

Encouragés par la création de bureaux de valorisation de la recherche, ainsi que par les programmes mis en œuvre par les gouvernements afin de stimuler les activités de nature entrepreneuriale, les chercheurs universitaires ressentent également l’influence de ce modèle. De plus en plus de chercheurs universitaires examinent aujourd’hui le potentiel économique et technologique de leurs résultats de recherche, ce qui passe nécessairement par la protection de la propriété intellectuelle comme source de revenus substantiels venant palier la diminution du financement public en recherche. L’étude de D.L. Kleinman (1998) démontre effectivement que c’est la perspective de retirer éventuellement des revenus des brevets qui motivent bon nombre d’universitaires à protéger leur découverte, particulièrement dans le secteur biopharmaceutique. Un double mode cognitif semble ainsi avoir émergé au sein de la communauté académique, au sens où les chercheurs se préoccupent désormais de contribuer à l’avancement des connaissances fondamentales, tout en produisant des inventions pouvant être brevetées et commercialisées (Etzkowitz et al., 2000; Rappert et Webster, 1997; Etzkowitz et Webster, 1998). À l’échelle institutionnelle, la recherche et la formation comme fonctions universitaires traditionnelles seraient plus fréquemment examinées sous l’angle de leur dimension commerciale pour l’université, ce critère relevant autrefois de

considération de deuxième ordre (Etzkowitz et Webster, 1998). Ces quelques constatations permettent ainsi de remarquer que la commercialisation de la recherche universitaire est associée de façon incontournable à ce que la littérature qualifie d’ « Université entrepreneuriale ». Il ressort d’ailleurs de la littérature récente sur la question que la commercialisation de la recherche est fortement corrélée à l’entrepreneurship académique, de même qu’au développement économique régional et à la gestion de la propriété intellectuelle, laissant ainsi entrevoir clairement le lien étroit unissant ces diverses réalités (Milot, 2005).

La commercialisation de la recherche correspond à plusieurs types d’activités, dont il est possible d’estimer la portée actuelle au Québec et au Canada grâce aux enquêtes et sondages réalisés par l’AUTM (Association of University Technology Managers) et Statistique Canada (1999) (FQPPU, 2000). Effectivement, lorsqu’il est question de valoriser les résultats d’une recherche réalisée en laboratoire, trois options s’offrent habituellement aux universités : la prestation de services (contrat de recherche et activités de consultation), l’octroi de licences d’exploitation à des entreprises déjà existantes, et enfin, la création d’entreprises dérivées (Jones-Evans et Klofsten, 1998).

Selon l’enquête menée par la FQPPU en 2000 auprès de professeurs universitaires québécois, les contrats de recherche représenteraient le type d’activités de commercialisation le plus fréquent. Les données disponibles révèlent que la recherche contractuelle correspond à plus de 5 000 contrats dans les universités canadiennes en 1999, engendrant une valeur de plus de 315 millions de dollars (Statistique Canada, 1999). On y apprend également que les divers paliers gouvernementaux constituent le principal client bénéficiant de ce type de contrat avec 140 millions de dollars, suivi des entreprises privées avec 107 millions de dollars, soit le tiers de la valeur totale des contrats de recherche réalisés en milieu universitaire (FQPPU, 2000).

Par opposition, les activités de consultations sont plus difficilement quantifiables puisque les politiques des universités canadiennes en matière de propriété intellectuelle sont trop éclectiques pour permettre une appréciation juste de l’ampleur de ce type de transfert de savoirs vers la société. L’enquête de Statistique Canada permet tout de même d’apprendre que 29% des institutions universitaires canadiennes exigent une déclaration obligatoire des activités de consultation de leur corps professoral, sur un total de 84 établissements interrogés. En contrepartie, les exigences des autres universités canadiennes en matière de déclaration des activités de consultation du corps professoral se révèlent plus ou moins contraignantes, puisque 44% d’entres elles demandent

« parfois » à leurs professeurs de déclarer leurs activités de consultation, et 14% d’entre elles ne l’exigent jamais. Dans la même veine, la FQPPU, dans son rapport portant sur la commercialisation de la recherche universitaire au Québec (2000), révèle que la consultation, avec les contrats de recherche, constituaient de loin les activités de commercialisation les plus fréquentes. Sur un échantillon de 26 professeurs universitaires impliqués dans des activités de commercialisation, 20 d’entre eux effectuent, ou ont effectué, des activités de consultation ou des contrats de recherche à intervalle plus ou moins régulier, pour des montants variants de 10 000 dollars dans les domaines des arts et des lettres, jusqu’à des sommes dépassant parfois largement les 150 000 dollars par an pour les professeurs des sciences de la santé.

Enfin, les études statistiques menées par Statistique Canada (1999) et par l’AUTM (1998) mettent à l’avant-plan le fait que les projets d’entreprises dérivées occupent de plus en plus d’espace dans le champ de la commercialisation de la recherche universitaire (FQPPU, 2000), confirmant le lien direct unissant l’importance grandissante accordée à la propriété intellectuelle dans les activités universitaires et la tendance entrepreneuriale en émergence dans ce type d’établissement (Milot, 2005).

Bien qu’il s’avère difficile d’estimer le nombre d’entreprises démarrées par des professeurs- chercheurs, en raison de la multiplicité de définitions plus ou moins englobantes du terme « entreprise dérivée », il demeure que certaines statistiques sont tout de même révélatrices de la tendance actuelle. En effet, l’enquête menée par l’AUTM en 1998 auprès de 179 établissements universitaires aux États-Unis et au Canada indique que 2578 entreprises dérivées ont été formées depuis 1980 sur les territoires américain et canadien, dont 364 en 1998 uniquement (AUTM, 1998). De ce nombre important, 15,9% des spin-offs ont été créées au Canada, ce qui démontre un niveau d’activité appréciable dans le cas des universités canadiennes. De son côté, l’enquête annuelle de Statistique Canada sur la commercialisation de la propriété intellectuelle dans l’enseignement supérieur nous informe de la situation au Québec : en 1999, 41 entreprises dérivées ont été créées en territoire québécois, ce qui correspond à 9% du nombre total d’entreprises dérivées mises sur pied au Canada lors de la même année, soit 454.

Par ailleurs, cette même étude nous éclaire également sur la distribution sectorielle et sur l’année d’incorporation des entreprises dérivées. Ainsi, on apprend que la création d’entreprises dérivées est beaucoup plus fréquente dans les secteurs dits de haute technologie, soit les biotechnologies (22%)

et le domaine de la santé (24%), ainsi que le secteur des sciences appliquées (17%) (Statistique Canada, 1999). De même, il apparaît que le phénomène soit plutôt récent dans les universités, puisque 40% des entreprises dérivées ont été créées entre les années 1995 et 1999. Ces données nous révèlent donc que la plupart des spin-offs ne possèdent que quelques années d’existence.

Parallèlement, l’octroi de licences d’exploitation, phénomène étroitement lié à la commercialisation de la recherche, fait également partie du nouveau paysage de l’institution universitaire. Une licence est un « accord conclu avec un client en vue de l’utilisation de la propriété intellectuelle de l’établissement universitaire moyennant le versement d’un droit ou d’autres avantages » (Comité consultatif sur les sciences et la technologie, 1999 : 40), tels des redevances ou un pourcentage de capital-action. Sur un total de 1109 licences actives en 1999, 218 d’entre elles constituaient de nouvelles licences octroyées par les universités (Statistique Canada, 1999). De même, on remarque une hausse significative du montant total versé en redevances aux universités, passant de 15,6 millions de dollars en 1998 à 18,8 millions de dollars en 1999. Ces chiffres montrent une tendance nette vers une plus grande volonté des universités de rentabiliser leur propriété intellectuelle. Au Québec, la propension est la même, les données révélant que 244 nouvelles licences furent octroyées à des entreprises privées uniquement en 1999.

Les données obtenues par les enquêtes de l’AUTM et de Statistique Canada s’inscrivent tout à fait en convergence avec les propos tenus dans la majorité des ouvrages portant sur l’Université entrepreneuriale. Si l’ensemble de la problématique associée au rôle des universités dans la socio- économie, associée de près à la préséance de la commercialisation de la recherche, nous préoccupe, il demeure néanmoins que c’est le cas spécifique des entreprises créées par des professeurs- chercheurs universitaires afin de commercialiser le fruit de leurs travaux de recherche qui nous intéresse d’une façon toute particulière. Attardons-nous donc à définir de façon plus attentive cette réalité, tant théoriquement qu’empiriquement.