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CHAPITRE I PROBLÉMATIQUE L’UNIVERSITÉ ENTREPRENEURIALE : VERS

1.4 La conciliation des différentes missions universitaires : mission possible?

1.4.1 Trois enjeux fondamentaux

Dans la foulée des nombreuses appréhensions à l’égard de l’Université entrepreneuriale, il est possible de relever trois enjeux majeurs auxquels fait dorénavant face l’institution universitaire. Tout d’abord, l’université fait face à un éclatement potentiel de ses valeurs fondamentales et de son identité traditionnelle au fur et à mesure où les activités de commercialisation prennent de la popularité au sein de la communauté universitaire. La montée d’activités entrepreneuriales laisse entrevoir la multiplication de situations potentielles de conflits d’intérêts venant de fait miner l’intégrité scientifique des chercheurs, particulièrement ceux visés par notre étude. La notion de conflit d’intérêts se révèle effectivement un enjeu central pour les professeurs impliqués dans des projets d’entreprises dérivées (Tuunainen, 2005; Rappert et Webster, 1997; Rappert et al, 1999). En effet, comme le souligne l’éditorialiste Paule Des Rivières, les conflits de rôle du professeur- entrepreneur et la mise en en cause de la fonction critique des universités dans la participation des professeurs à la création d’entreprises dérivées sont des problématiques bien réelles : « Un nombre croissant de chercheurs universitaires mettent sur pied leur propre entreprise, tout en continuant de travailler, temporairement du moins, pour leur institution. Cette pratique s’inscrit dans un ensemble

de changements tout à fait majeurs pour l’université, son rôle, sa place dans la société. Elle contient également les germes de conflits d’intérêts qui méritent la plus grande attention, dès maintenant […] » (Des Rivières, 2000).

D’autre part, une menace semble également planer au-dessus de la liberté universitaire (Farquhar, 2001), qui est le propre des professeurs-chercheurs universitaires depuis des siècles, puisque les activités de commercialisation et les partenariats avec l’industrie nuiraient à l’autonomie des chercheurs dans la réalisation de leurs activités de recherche (FQPPU, 2000; Conseil supérieur de l’éducation, 2002). Ainsi, à une époque où les universités sont sollicitées plus que jamais afin de contribuer au développement socio-économique national, de quelle façon l’institution universitaire peut-elle éviter que sa crédibilité scientifique et critique ne soit remise en doute en raison de ses partenariats avec l’industrie? Les universités ont-elles mis en œuvre des mécanismes institutionnels afin de gérer les situations potentielles de conflit d’intérêts? Les chercheurs font-ils preuve de responsabilités en cette matière? Comment gèrent-ils le conflit de rôle évoqué dans la littérature lors d’un projet d’entreprise dérivée? La recherche fondamentale et libre est-elle en péril?

Ensuite, l’université fait face à la question fort pertinente de déterminer sa position en matière de dissémination des savoirs. Traditionnellement, l’un des volets de la mission universitaire consiste à assurer une large diffusion des connaissances développées en ses murs dans l’ensemble de la société, proclamant ainsi la connaissance comme bien public devant demeuré accessible à tous (Foray, 2000). Or, la privatisation des savoirs qui accompagnent les activités de commercialisation de la recherche universitaire vient nécessairement remettre en doute ce principe universitaire. Servant de mécanismes d’incitation à l’investissement auprès de l’industrie, de plus en plus de restrictions accompagnent l’octroi de droits de propriété intellectuelle, limitant de fait la libre circulation des savoirs dans la collectivité (Foray, 2000; Romer, 1993; Amable, Barré et Boyer,1997). De même, la tendance avouée des universités à prendre des brevets en leur nom afin de récolter éventuellement des bénéfices financiers de la recherche publique soulève bien des débats : l’Université ne va-t-elle pas à l’encontre même de ses valeurs en adoptant des comportements la rapprochant de la sphère industrielle? Le volet associé à la dissémination des savoirs est-il compromis avec l’avènement d’un paradigme entrepreneurial dans la recherche universitaire? Est-il approprié pour une institution universitaire de posséder des parts dans une compagnie privée ou encore de recevoir des redevances d’activités commerciales? La situation

actuelle laisse place à la confusion puisque l’université affiche des propos et des comportements quelque peu discordants en cette matière.

Enfin, l’institution universitaire doit également s’interroger sur le rôle qu’elle souhaite jouer dans la société contemporaine. Face à une demande de plus en plus intensive des gouvernements de l’industrie afin de faire fructifier économiquement ses travaux de recherche, l’université voit son volet « service à la collectivité » prendre du gallon. Certes, l’université est appelée à s’impliquer davantage dans le développement socio-économique. Cependant, cette réalité s’accompagnerait de la nécessité d’effectuer un choix : soit 1) elle adopte entièrement le modèle entrepreneurial, devenant en quelque sorte une quasi-entreprise d’incubation et accordant ainsi à ses chercheurs le loisir de consacrer l’ensemble de leur temps à la poursuite d’activités à caractère commercial ou encore 2) elle opte pour un modèle plus près de son identité traditionnelle, dans lequel elle pourrait appuyer la communauté d’une manière davantage désintéressée. D’une manière ou d’une autre, l’institution université doit exercer son rôle de leader et ainsi trouver une manière de réconcilier les pressions venant affaiblir son identité fondamentale (Schein, 2001; Farquhar, 2001). Dans quelle avenue l’université doit-elle se diriger dans l’avenir afin de préserver sa mission et son rôle, tout en répondant aux nouvelles exigences formulées par le milieu? A-t-elle une marge de manœuvre en ce sens? À cet égard, Clark (1998) est d’avis que les universités contemporaines, souffrant d’un déséquilibre important entre les demandes externes formulées à leur endroit et leurs capacité structurelle à y répondre, doivent atténuer leur fragilité actuelle en trouvant elles-mêmes les solutions institutionnelles aux défis qui se posent à elles.

Il nous apparaît clair que l’institution universitaire fait actuellement face à la nécessité d’effectuer un arbitrage entre les divers volets de sa mission, et que cela doit avoir un impact significatif sur la réalité vécue concrètement par les chercheurs-entrepreneurs. De toute évidence, les enjeux auxquels est confrontée l’université doivent nécessairement prendre la forme de constants dilemmes à solutionner par le professeur universitaire tout au long du processus de valorisation d’une découverte. De quelle façon un chercheur compose-t-il avec les multiples influences souvent contradictoires auxquelles il est soumis au cours de son projet d’entreprise dérivée? Quelles sont les motivations nourrissant un tel projet? De quelle manière vit-il le « conflit de rôles » proposé dans la littérature? De quelle façon aborde-t-il la notion de conflit d’intérêts? Quels sont les principaux défis auxquels un chercheur doit faire face lors de la création d’une entreprise dérivée? Que pense-t- il de la possibilité d’inclure officiellement la commercialisation de la recherche dans la mission

universitaire? Autant de questions auxquelles nous nous proposons de trouver réponse dans le cadre de notre étude.