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Objectif 4 : Les facteurs de risque associés à l’appartenance aux trajectoires de

1. Les taux de cybervictimes chez les adolescents québécois

Le premier objectif de cette étude était de dresser un portrait descriptif de la cybervictimisation dans un échantillon représentatif de la population adolescente québécoise. Le taux de cybervictimes observé « depuis le début de l’année scolaire » dans l'échantillon varie de 7,1 à 15,3% selon l’âge, ce qui apparait plus faible que ce qui a été obtenu dans plusieurs autres études du même type, incluant les études canadiennes qui ont évalué la cybervictimisation sur la base des trois derniers mois (Wade & Beran, 2011; 22% et Mishna et al., 2012; 50%). Une étude effectuée au Québec auprès de jeunes âgés de 14 à 20 ans révèle aussi un taux de cybervictimes supérieur à celui obtenu ici (Cénat et al., 2014; 22,9% dans les 12 derniers mois). Pour mesurer la cybervictimisation, cette dernière étude avait retenu un item semblable à celui

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qui a été utilisé dans la présente étude. À l’instar de notre étude, l'échantillonnage était également stratifié.

Cette différence dans les taux pourrait s'expliquer en partie par le fait que les prévalences que nous avons obtenues se rapportent à une période plus courte que celle couverte par Cénat et al. (2014). Cette explication ne peut toutefois pas être invoquée pour expliquer l’écart avec d’autres études canadiennes, notamment celles de Wade et Beran (2011) et Mishna et al. (2012), qui rapportent des taux plus élevés de cybervictimisation chez les jeunes âgés entre 10 et 17 ans pour des périodes de temps inférieures à la présente étude. Une seconde explication est que les taux sont possiblement plus élevés chez les adolescents âgés de plus de 15 ans. En effet, les résultats de la présente étude révèlent une augmentation générale de la cybervictimisation avec l'âge. Cette tendance a également été observée par Mishna et al. (2012), qui rapportent plus de cybervictimisation chez les participants plus âgés. Puisque, contrairement à la nôtre, les études de Cénat et al. (2014), de Mishna et al. (2012) et de Wade et Beran (2011) incluent des participants âgés de plus de 15 ans, les différences observées entre les taux de prévalence pourraient être attribuables à cet écart d’âge. Dans la présente étude, les taux de cybervictimisation ont plus que doublé entre 12 et 15 ans, de sorte qu’une projection des taux jusqu'à 18 ans avec une évolution semblable correspondrait à ceux obtenus par Cénat et al. (2014), c’est-à-dire au-dessus de 20%.

Enfin, il est possible que les différences de prévalences obtenues entre la présente étude et les autres études canadiennes soient liées à la mesure du phénomène. D’une part, Wade et Beran (2011) et Mishna et al. (2012) ne mentionnaient pas explicitement aux participants qu’ils mesuraient la cybervictimisation. D’autre part, ils ont utilisé plusieurs items pour mesurer ce type de victimisation. Par exemple, Wade et Beran (2011) ont demandé aux jeunes combien de fois depuis les trois derniers mois ils s'étaient fait injurier alors qu'ils se trouvaient sur internet. Dans notre étude, un seul item référant à plusieurs exemples non exhaustifs de cybervictimisation a été retenu. Par exemple, à 12 ans, la définition de la cybervictimisation était incluse dans l'item et mentionnait que cette dernière avait lieu quand une personne utilisait un moyen technologique pour faire du mal. Il était aussi mentionné que cette forme d’agression permettait qu'une image ou une opinion soient diffusée partout et que l'origine était souvent

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anonyme. Étant donné la formulation de cet item, il est possible que les adolescents de 12 ans n’aient pas considéré certaines agressions, comme celles qui ne sont pas publiques (p. ex. : les messages textes). Puisque Wade et Beran (2011) et Mishna et al. (2012) ont utilisé plusieurs items se référant à diverses modalités d'agressions, il est possible que leurs répondants aient pris en compte une plus grande variété d'expériences de cybervictimisation comparativement à ceux de la présente étude, ce qui se traduit par des taux de cybervictimes plus élevés.

À 13 et 15 ans, le contenu des items était différent et ne mentionnait pas que la cybervictimisation peut être publique et anonyme. Des exemples incluaient notamment les insultes reçues sur un cellulaire ou sur internet. Bien que la mesure soit plus précise, il est possible encore une fois que les participants n’aient pas eu en tête toutes les cyberagressions vécues au moment de compléter l’item. En effet, la cybervictimisation perçue par les adolescents pourrait différer de celle mesurée dans les études. Par exemple, certains jeunes ne considèrent pas qu'ils ont été cybervictimisés, même s’ils ont été victimisés de façon électronique (Crosslin & Golman, 2014). Selon certains chercheurs, les adolescents ont tendance à limiter la cybervictimisation à des agressions publiques et manifestées sur internet (Pelfrey & Weber, 2014; Boyd, 2012). Ainsi, il est possible que des participants aient omis de rapporter les agressions ne correspondant pas à ces critères. Étant donné que les items retenus par Wade et Beran (2011) et Mishna et al. (2012) ne référaient pas explicitement à la cybervictimisation, ce biais ne se retrouverait pas dans leur étude. Le fait qu'une seule question ait été retenue pourrait aussi influencer les taux obtenus. Dans l'étude de Slonje et Smith (2008), les jeunes ont rapporté de plus hauts taux de cybervictimisation lorsqu’ils répondaient à plusieurs questions détaillées sur ses sous-types (p. ex., les courriels et les messages textes) que lorsqu’ils répondaient à seul un item avec des exemples de cybervictimisation.

Un deuxième résultat important de la présente étude se rapporte aux prévalences plus élevées de victimisation traditionnelle (physique, verbale et relationnelle) comparativement à celles de cybervictimisation. Cet écart a été documenté de façon constante dans les études antérieures (p.ex., Olweus, 2012; Gradinger, Strohmeier & Speil, 2009; Smith et al., 2008). Par ailleurs, nos résultats indiquent aussi que toutes les formes de victimisation traditionnelle étudiées diminuent entre 12 et 15 ans, alors que les taux de cybervictimisation augmentent, un

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patron également observé par Cole et al. (2016) pour des jeunes âgés de 8 à 13 ans. On pourrait s'attendre à ce que beaucoup d'agresseurs aient recours aux moyens de communication électroniques parce qu’ils ont des caractéristiques attrayantes. Ils offrent notamment la possibilité de dissimuler facilement son identité lors de leur utilisation et de ne pas avoir à affronter directement la réaction de la victime (Cassidy et al., 2013). Il semble pourtant que même si les agressions électroniques deviennent des options progressivement plus envisagées avec l’âge, ce sont les agressions en face à face qui restent les plus fréquentes à tous les âges étudiés.

Les résultats indiquent aussi que le taux de cybervictimisation varie selon des facteurs sociodémographiques autres que l'âge, soit le milieu socioéconomique et le sexe. Ces résultats convergent avec plusieurs études antérieures qui révèlent que les filles sont plus souvent cybervictimisées que les garçons (p.ex., Festl et al., 2013; Walrave & Heirman, 2011). La grande variabilité des prévalences obtenues par les études portant sur ce type d'agression pourrait donc être en partie tributaire de la présence de différences dans la constitution des échantillons. Il est en effet possible que les disparités quant aux tranches d'âge étudiées, à la provenance des participants et à la représentation des sexes influencent les taux de victimes. Cependant, le rôle de ces facteurs n'est pas toujours examiné, sinon même mentionné (p. ex., Wade & Beran, 2011; Mishna et al., 2012). Ces résultats laissent entendre qu’il faudrait documenter ces aspects dans les études de prévalence, notamment pour donner une meilleure idée des échantillons auxquels les résultats peuvent se généraliser.

Le fait que les jeunes utilisent plus les moyens de communication électroniques avec l’âge (Lenhart, Purcell, Smith, Zickuhr, 2010; Steeves, 2014) pourrait aussi expliquer pourquoi ils sont plus souvent victimes de cyberagressions. Quoique le taux d’utilisation de moyens de communication électroniques n’ait pas été mesurée ici, plusieurs auteurs ont observé que plus les jeunes passent du temps en ligne, plus ceux-ci sont à risque d’être engagés dans activités de cybervictimisation à titre d’agresseurs et de victimes (e.g., Mishna et al., 2012; Festl et al., 2013; Zhou et al., 2013). Les plus fortes prévalences de ces agressions chez les filles pourraient aussi s’expliquer par le fait qu'elles utilisent plus fréquemment ces médias (Beaumont et al., 2014; Dufour et al., 2016). Il serait donc important que les prochaines études prennent en compte le

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temps d’utilisation des médias électroniques, afin de vérifier si cette variable explique l’association avec l'âge et le sexe.

En bref, la présente étude et celle de Cénat et al. (2014) sont les seules à notre connaissance à avoir examiné les prévalences de cybervictimes au Québec. Les taux de cybervictimisation obtenus ici sont plus faibles que ceux qui ont été rapportés dans d'autres études canadiennes. Ceci pourrait s'expliquer par la période de temps couverte par ces études et par les caractéristiques des participants. Le fait que les instruments de mesure de la cybervictimisation varient selon les études pourrait également avoir fait varier les taux obtenus. Quoique les taux de cybervictimes sont relativement faibles, ceux-ci augmentent entre 12 et 15 ans. Les adolescents plus âgés et les filles pourraient potentiellement être plus fréquemment la cible d'agressions électroniques parce qu'ils utilisent plus souvent les téléphones cellulaires et passent plus de temps sur internet.

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