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Les trajectoires de développement de la cybervictimisation perçue à l'adolescence et les facteurs de risque associés

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Academic year: 2021

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Les trajectoires de développement de la

cybervictimisation perçue à l’adolescence et les facteurs

de risque associés

Mémoire

Sarah-Jeanne Viau

Doctorat en psychologie

Docteur en psychologie (D.Psy.)

Québec, Canada

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Les trajectoires de développement de la

cybervictimisation perçue à l’adolescence et les facteurs

de risques associés

Mémoire

Sarah-Jeanne Viau

Sous la direction de :

Michel Boivin, directeur de recherche

Anne-Sophie Denault, codirectrice de recherche

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III Résumé

La présente étude propose de documenter la prévalence de la cybervictimisation dans un échantillon représentatif de la population québécoise, le degré de convergence entre la cybervictimisation et les formes traditionnelles de victimisation par les pairs, les trajectoires de cybervictimisation pour divers groupes d'adolescents et les facteurs de risque qui y sont associés. L’échantillon composé de 1396 adolescents provient de l'Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ). Les diverses formes de victimisation par les pairs ont été mesurées à 12, 13 et 15 ans, et les facteurs de risque à 12 ans. La cybervictimisation présente une prévalence relativement faible à tous les âges étudiés en comparaison avec la victimisation traditionnelle. L’association entre la victimisation traditionnelle et la cybervictimisation est faible à 12 ans, et modérée à 13 et 15 ans. Ajoutons que deux groupes de jeunes empruntent des trajectoires différentes de cybervictimisation, soit une trajectoire faible et croissante, et une trajectoire modérée et croissante. Différents facteurs de risques sociodémographiques, individuels et environnementaux sont associés à ces trajectoires. Lorsque la variance partagée entre tous ces facteurs est prise en compte, le sexe féminin, les symptômes dépressifs et la victimisation traditionnelle peuvent prédire l’appartenance aux trajectoires. Ainsi, les jeunes visés par les cyberagresseurs seraient notamment ceux qui auraient déjà des difficultés d’adaptation et qui seraient la cible d'agressions de la part de leurs pairs en face à face. Ces résultats pourraient avoir des implications pour les interventions qui visent à diminuer la violence en milieu scolaire.

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IV

TABLE DES MATIÈRES

Résumé ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV

Liste des tableaux ... VI Liste des figures ... VII

Remerciements ... VIII

INTRODUCTION ... 1

1. Utilisation des médias électroniques chez les jeunes et victimisation ... 4

2. Subir des agressions par voies électroniques : concept unique ou manifestation du concept général de victimisation? ... 6

2.1 Différences entre la cybervictimisation et la victimisation dite traditionnelle .... 6

2.3 Études empiriques comparatives entre la victimisation traditionnelle et la cybervictimisation ... 9

3. Prévalence de la victimisation par les pairs ... 13

4. Les facteurs de risque de la cybervictimisation ... 16

5. Trajectoires de victimisation traditionnelle et de cybervictimisation ... 21

6. Synthèse des connaissances actuelles sur la cybervictimisation ... 22

7. Objectifs ... 24

MÉTHODE ... 26

Participants et procédure ... 26

Mesures ... 27

Facteurs sociodémographiques (T1) ... 28

Cybervictimisation et victimisation traditionnelle (T1 à T3) ... 28

Facteurs de risque psychosociaux individuels ... 29

Facteurs de risques environnementaux (T1) ... 31

Stratégies d’analyses statistiques ... 32

RESULTATS ... 35

Analyses descriptives ... 35

Objectif 1 : Taux de prévalence dans l’échantillon ... 36

Objectif 2 : Convergence entre la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle ... 38

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V

Objectif 3 : Les trajectoires de cybervictimisation... 41

Objectif 4 : Les facteurs de risque associés à l’appartenance aux trajectoires de cybervictimisation ... 42

CONCLUSION ... 47

1. Les taux de cybervictimes chez les adolescents québécois ... 47

2. Cybervictimisation et victimisation traditionnelle ... 51

3. Les trajectoires de la cybervictimisation... 53

4. Les facteurs de risque de la cybervictimisation ... 54

5. Limites de l'étude ... 57

6. Portée des résultats de l'étude ... 60

Références ... 63

Annexe A ... 79

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VI

Liste des tableaux

Tableau 1 Données descriptives sur les variables et items portant sur la victimisation…... 35

Tableau 2 Données descriptives sur le statut socio-économique et les facteurs de risque à 12 ans ……… 36

Tableau 3 Corrélations entre les types de victimisation pour les jeunes de 12 ans…... 39

Tableau 4 Corrélations entre les types de victimisation pour les jeunes de 13 ans……... 40

Tableau 5 Corrélations entre les types de victimisation pour les jeunes de 15 ans……... 40

Tableau 6 Corrélations entre les facteurs de risque et les trajectoires de cybervictimisation... 44 Tableau 7 Régression logistique des facteurs de risque liés aux trajectoires de

cybervictimisation………... .

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VII

Liste des figures

Figure 1 Probabilité d’être cybervictimisé en fonction de l'âge pour les deux

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VIII

Remerciements

Je tiens d’abord et avant tout à remercier mon directeur de thèse, M. Michel Boivin, pour m’avoir accueilli parmi ses étudiants, et avoir supervisé mon mémoire doctoral. Je suis très reconnaissante d’avoir pu bénéficier sa longue expérience en développement social de l’enfant, ainsi qu’en rédaction scientifique. Je le remercie également de m’avoir accordé son temps lorsque j’ai ressenti le besoin de discuter de mon parcours universitaire. Sans cela, j’aurais probablement emprunté une voie professionnelle différente de celle que je suis actuellement. Je remercie également de tout cœur ma codirectrice, Mme Anne-Sophie Denault, qui a été une ressource indispensable pour mes analyses et pour la rédaction de mon mémoire. Son implication et son soutien auprès de moi m’ont donné du courage à toutes les étapes de mon projet. Je tiens aussi à souligner l’implication de Mme Ginette Dionne, qui est membre de mon comité de thèse. Elle m’a donné des recommandations qui ont permis d’orienter mon mémoire, et a toujours eu une attitude encourageante à mon égard.

Dans le groupe de recherche sur l’inadaptation psychosociale chez l’enfant (GRIP), j’ai pu bénéficier de la présence de nombreux professionnels qui m’ont été d’une très grande aide. À ce sujet, je souhaite particulièrement mentionner les statisticiennes Hélène Paradis et Bei Feng, qui m’ont apporté un support immense pour les analyses statistiques. Je souhaite aussi mentionner Nadine Dubois-Forget et Marie-Noël St-Pierre, qui mettent de la vie dans le groupe de recherche et qui ont rendu mes journées au laboratoire plus agréables. Merci également aux étudiants du GRIP, particulièrement Geneviève, Elham, Gabrielle, Philippe, Catherine, Jeffrey, Vicky et Sabrina. Votre présence agrémentait toujours mes journées de travail.

Merci finalement à mes amis Marie-Ève, Rhéa, Valérie, Alexandra, Marie-Pierre, Jenny-Lee, Alix, et j’en passe, à mon amoureux David, et à mes parents, Lise et André, qui me motivent dans mes études, et m’accompagnent dans ces années de doctorat qui ne sont pas toujours faciles ! Votre compagnie rend mon quotidien plaisant, ce qui compte beaucoup pour moi. Je ne peux pas oublier que sans vous, même mes études auraient moins de sens.

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1 INTRODUCTION

Depuis une trentaine d'années, la nécessité de mieux comprendre les relations interpersonnelles dysfonctionnelles chez les jeunes a amené plusieurs auteurs à étudier la victimisation par les pairs (Smith, 2009). L'intérêt pour ce phénomène déborde la recherche académique. Au Québec, la reconnaissance de son importance se manifeste notamment par les efforts du gouvernement pour contrer la violence dans les écoles. Les stratégies utilisées incluent notamment une campagne nationale d'information et de sensibilisation en matière d'intimidation, ainsi que le projet de loi no 58, qui prévoit l'obligation pour chaque établissement scolaire d'élaborer un plan de lutte contre l’intimidation (Ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport, s.d). Cette problématique, à laquelle notre société est de plus en plus sensible, se caractérise par un contexte où une victime est, de façon répétée, la cible de comportements manifestés dans le but de lui causer du tort, et ce, alors qu'elle n'a pas le pouvoir de se défendre adéquatement (Smith, 2009). La victimisation par les pairs se distingue de l'agression simple par le caractère répétitif des attaques (Cassidy, Faucher, & Jackson, 2013). Le déséquilibre de pouvoir et l'intention de causer du mal en sont aussi des dimensions importantes. Dans le présent mémoire doctoral, la victimisation réfère au fait de subir des actes d'agressions et l'intimidation, au fait de perpétrer ces actes d’agression ciblée.

Les études antérieures portant sur la victimisation par les pairs se sont penchées sur ses diverses formes, en distinguant notamment les formes verbale, physique, indirecte et relationnelle. Ces formes de victimisation sont souvent observées en milieu scolaire puisqu’elles impliquent des contacts réguliers entre les élèves. La victimisation verbale réfère à des attaques verbales proférées par le biais de mots, de phrases ou de sons, (p.ex., se faire crier des noms, se faire dire des choses blessantes) et la victimisation physique, à des comportements menaçant l'intégrité physique de la victime (p.ex., se faire pousser, se faire frapper) (Hawker & Boulton, 2000). La victimisation relationnelle, quant à elle, réfère à des comportements qui visent les relations interpersonnelles ou le sentiment d'acceptation par les autres (Crick et al., 1999), comme l'exclusion sociale ou la propagation de rumeurs (Crick & Grotpeter, 1995). Un exemple fréquent d'exclusion sociale est d'empêcher un enfant de se joindre à un groupe dont il souhaite être un membre. Finalement, la victimisation indirecte est un type d’agression discrète,

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perpétrée à l’insu de la victime. Certains comportements peuvent être à la fois qualifiés de victimisation indirecte et de victimisation relationnelle, par exemple le fait de discréditer un autre enfant à son insu (Hawker & Boulton, 2000).

À ces diverses formes de victimisation s'ajoute une nouvelle forme d'agression répétée qui a progressivement attiré l'attention des médias, de la communauté scientifique internationale et du gouvernement québécois au cours dernières années : la cyberintimidation (Smith, 2009; Cassidy et al., 2013; Olweus, 2012; Tokunaga, 2010; Direction générale des politiques du ministère de la Famille, & Direction générale des affaires policières du ministère de la Sécurité publique, 2015). Ce phénomène réfère à des attaques qui ont lieu par voie électronique, notamment par internet et par téléphone. Ainsi, des insultes envoyées par courriel, mais également par message texte, sont considérées comme de la cyberintimidation.

Être victime de cyberintimidation est un phénomène qui peut avoir des conséquences néfastes. Comme pour la victimisation traditionnelle (pour une revue, voir Gini & Pozzoli, 2009; Reijntjes, Kamphuis, Prinzie, & Telch, 2010; Reijntjes et al., 2011), une méta-analyse récente a pu associer la cybervictimisation à des symptômes somatiques et à des problèmes internalisés, soit le stress, les idéations suicidaires, les symptômes dépressifs, l'anxiété et la solitude. Ce phénomène serait également lié à des difficultés externalisées, notamment à des problèmes de conduite, ainsi qu'à une plus forte consommation de drogues et d'alcool (Kowalski, Giumetti, Schroeder, & Lattanner, 2014). Toutefois, ces études ne tiennent pas compte du fait que plusieurs cybervictimes sont également victimes de formes plus traditionnelles d’intimidation, ce qui rend l'interprétation des corrélations observées difficile; il est alors impossible d’évaluer si les symptômes observés sont le résultat de la cyberintimidation ou simplement le reflet d’agressions plus traditionnelles. Certains chercheurs ont tenté de cerner l'association unique entre la cyberintimidation et ses conséquences potentielles.

Ainsi, Olweus (2012) a comparé l'estime de soi de jeunes cybervictimisés à celle de victimes traditionnelles, de victimes intimidées des deux façons et de jeunes non-victimisés. Les résultats indiquent que l'estime de soi des cybervictimes était semblable à celle des victimes

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traditionnelles, mais plus négative que celle des non-victimes. Les jeunes doublement victimes présentaient l’estime de soi la plus faible. Les travaux de Dempsey, Sulkoski et Nichols (2009), ainsi que ceux de Juvonen et Gross (2008) indiquent que la cyberintimidation est reliée à l'anxiété sociale et ce, même lorsque la victimisation traditionnelle est prise en compte. Menesini, Calussi et Nocentini (2012) ont aussi observé des contributions uniques de la cyberintimidation et de la victimisation traditionnelle à la manifestation de symptômes anxieux et dépressifs, de symptômes somatiques et des comportements agressifs et délinquants. Enfin, Gradinger, Strohmeier et Spiel (2009) ont rapporté plus de symptômes dépressifs et somatiques chez les victimes qui vivent à la fois de la cybervictimisation et de la victimisation traditionnelle que les non-victimes. Les victimes traditionnelles uniquement ne rapportaient pas plus de symptômes que les non-victimes. Ces doubles victimes rapportaient aussi que les cyberagressions vécues auraient eu un impact plus important sur eux et se seraient traduites par une plus grand évitement leur école (Cross, Lester, & Barnes, 2015). Ces études, ainsi que plusieurs autres (p. ex., Machmutow, Perren, Sticca, & Alsaker, 2012; Fredstrom, Adams, & Gilman, 2011; Perren, Dooley, Shaw, & Cross, 2010; Tennant, Demaray, Coyle, & Malecki, 2015) indiquent toutes que la cyberintimidation est reliée de façon unique à plusieurs problèmes d'ajustement psychosociaux.

Les études longitudinales menées sur le sujet se font rares. Certaines ont montré que la cyberintimidation prédit la présence de symptômes dépressifs, une utilisation problématique d'internet (Gámez-Guadix, Orue, Smith, & Calvete, 2013) et une augmentation de l'agression instrumentale chez la victime (Schultze-Krumbholz, Jäkel, Schultze, & Scheithauer, 2012). Cependant, la plupart des études n'ont pas pris en compte la possibilité que les cybervictimes étaient aussi victimisées selon des moyens plus traditionnels. Les quelques études qui l'ont fait ont observé que la cybervictimisation est liée à une augmentation des symptômes dépressifs (Machmutow et al., 2012; Landoll, 2012; Cole et al., 2016 ), des pensées négatives sur soi et de la réactivité à la victimisation (Cole et al., 2016). Mis à part l’étude de Cole et ses collaborateurs (2016), qui portait sur les enfants et les jeunes adolescents âgés entre 8 et 13 ans, les études longitudinales mentionnées ont étudié des adolescents âgés de 13 ans ou plus qui fréquentaient l’école secondaire.

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Étant donné le possible effet négatif de la cybervictimisation sur l'adaptation psychologique, il est primordial d’en mieux comprendre les tenants et les aboutissants. Dans la première partie de ce mémoire, nous présenterons une recension de la littérature qui abordera les types de comportements qui caractérisent la cybervictimisation, les différences entre la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle, ainsi que les difficultés à opérationnaliser ce phénomène à des fins de recherche. Par la suite, nous discuterons de la pertinence de considérer la cyberintimidation comme une forme d'agression différente de l’intimidation traditionnelle. Nous passerons également en revue les connaissances actuelles sur la prévalence, les facteurs de risque et les trajectoires de la cybervictimisation, avant de présenter les objectifs spécifiques du mémoire doctoral. La deuxième partie portera sur la méthode, les analyses effectuées et les résultats. En dernier lieu, nous discuterons ces résultats à la lumière des études précédentes faites sur le sujet.

1. Utilisation des médias électroniques chez les jeunes et victimisation

L'exposition potentielle aux relations d'abus dans les médias électroniques a augmenté chez les jeunes alors qu'ils sont devenus des utilisateurs de plus en plus fréquents de ces moyens de communication (Smith et al., 2008). Aujourd'hui, le cyberespace fait partie intégrante de leur vie. Aux États-Unis, entre 99% et 100% de la population âgée entre 12 et 24 ans utilise internet (USC Annenberg school center for the digital future, 2013). Une enquête effectuée au Canada en 2007 indiquait également que la presque totalité (96%) des jeunes de 12 à 17 ans utilisait internet (Zamaria & Fletcher, 2008) et il semble que la majorité des jeunes Québécois ont dès l'école primaire des activités à l'ordinateur qui ne sont pas surveillées par leurs parents (Beaumont, Leclerc, Frenette, & Proulx, 2014). Internet n'est pas le seul médium électronique à être très utilisé par les adolescents. Les téléphones cellulaires sont également très populaires, avec 78% des Américains ayant entre 12 et 17 ans qui en possèdent un (Madden, Lenhart, Duggan, Cortesi, & Gasser, 2013). Une étude canadienne qui a eu lieu il y a quelques années a observé que plus de la moitié des jeunes de 11 à 15 ans déclaraient avoir leur propre téléphone cellulaire et qu'une proportion de 40% l'utilisait à l'école (Cassidy, Jackson, & Brown, 2009). Étant donné que l’on observe une utilisation de plus en plus courante des moyens de communication électronique, il est possible que ces taux soient plus élevés aujourd'hui.

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La disponibilité de ces médias électroniques a ouvert la voie à un nouveau phénomène potentiellement délétère. En effet, les messages textes, appels téléphoniques, courriels, salles de chat, sites web et jeux en ligne peuvent tous être utilisés dans le but d’intimider autrui (Kowalski et al., 2014; Smith et al., 2008). Dans le contexte de leur utilisation, plusieurs comportements peuvent être considérés comme de la cyberintimidation. Ceux-ci incluent notamment (a) le harcèlement, notamment l'envoi répétitif de messages méchants et insultants; (b) le dénigrement, qui consiste en l'envoi ou la publication de rumeurs dans le but de causer des dommages à la réputation d’autrui (Willard, 2007), en des commentaires publics désobligeants ciblant du contenu mis en ligne par une personne, par exemple une photo (Slonje, Smith et Frisén, 2013), et en le partage en ligne d'informations ou d'images embarrassantes; (c) l'exclusion d'une personne d'un groupe en ligne en ayant un motif malveillant; et (d) l'imposture, soit le fait qu'une personne prétende en ligne être sa victime (Willard, 2007).

Tout comme pour l'intimidation traditionnelle, la cyberintimidation peut être effectuée de façon directe ou indirecte (Sumter, Valkenburg, Baumgartner, Peter & van der Hof, 2015). Les motifs possibles des agressions électroniques rapportés par les jeunes sont nombreux, comme nuire aux relations interpersonnelles des autres, faire des représailles (Crosslin & Golman, 2014; Rafferty & Vander Ven, 2014), ressentir de la jalousie (Pelfrey & Weber, 2014; Denmark, 2014) et un avoir désir de pouvoir (Pelfrey & Weber, 2014). Des escalades de violence sont également possibles dans le cyberespace parce que la communication électronique est plus limitée que la communication en face à face et qu'elle peut mener à des malentendus (Pelfrey & Weber, 2014).

Des enquêtes auprès des victimes et des agresseurs révèlent que les appels téléphoniques sont le médium d'intimidation le plus courant. Suivent la messagerie instantanée, les messages textes, puis les courriels et l'envoi de photos ou de vidéos. Les deux médiums les moins fréquemment utilisés pour l’intimidation sont le site web et la salle de chat (Fredstrom, Adams, & Gilman, 2011; Slonje & Smith, 2008). Une étude plus récente et détaillée a analysé le taux de victimisation selon les moyens de communication et a révélé qu’une majorité de participants étaient victimisés par le biais de messages textes, suivi en ordre décroissant par les sources Twitter, Facebook, Instagram et YouTube. Les attaques provenaient rarement de la messagerie

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instantanée et des salles de chat (Whittaker & Kowalski, 2014). En somme, plusieurs comportements d'agression peuvent être considérés comme de la cyberintimidation, et ceux-ci peuvent se manifester par de nombreux moyens, même si certains médias semblent être plus fréquemment utilisés que d'autres. Les technologies de la communication évoluant rapidement, il est toutefois possible que l’utilisation des médias à des fins d’agression change avec le temps.

2. Subir des agressions par voies électroniques : concept unique ou manifestation du concept général de victimisation?

2.1 Différences entre la cybervictimisation et la victimisation dite traditionnelle

Certains éléments propres aux interactions par téléphone ou par internet permettent de distinguer la cybervictimisation de la victimisation traditionnelle. Premièrement, les victimes d’intimidation dite traditionnelle ont la possibilité d’un répit lorsqu'elles quittent l’espace conflictuel, par exemple lorsqu’elles se retrouvent à la maison. Ce n'est pas le cas des victimes de cyberintimidation qui sont facilement joignables par téléphone ou par internet lorsqu'elles sont à l'extérieur de leur établissement scolaire (Slonje & Smith, 2008). Par exemple, les insultes ou commentaires désobligeants que subissent les victimes traditionnelles lorsqu'elles se trouvent dans les couloirs, salles de classe et cours d'école prennent automatiquement fin lorsque les agresseurs ne sont plus présents physiquement. Par contre, les cybervictimes peuvent continuer de se faire insulter par messages textes ou courriel à leur domicile.

Deuxièmement, les cyberagresseurs peuvent facilement agir sans se faire reconnaitre. L'anonymat caractérise également la victimisation traditionnelle de type indirect (Slonje & Smith, 2008), mais la dissimulation de l'identité est plus aisée dans le cyberespace. Par exemple, étant donné la facilité de se créer différents comptes sur internet avec l’aide de pseudonymes, il peut être tout simplement impossible de retrouver l'auteur de courriels menaçants si celui-ci tient à rester inconnu. Selon Cassidy et ses collègues (2013), cet aspect pourrait amener des individus qui n'oseraient pas intimider en face à face à devenir des agresseurs. Le fait que la cyberintimidation permet de ne pas avoir à confronter la victime est d'ailleurs un des motifs donnés par les jeunes pour s'adonner à ces comportements (Varjas, Talley, Meyers, Parris, &

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Cutts, 2010). Des professeurs, des élèves et des parents ont aussi désigné l'anonymat comme une particularité de ce type d'agression (Compton, Campbell, & Mergler, 2014; Crosslin & Golman, 2014). En outre, on a souligné que l'absence de contact direct dans le cyberespace fait en sorte qu’il n’est pas possible de voir la réaction de la victime face aux agressions, ce qui pourrait désinhiber les agresseurs (Cassidy et al., 2013; Bryce & Fraser, 2013). Dans cet ordre d'idées, Cassidy et ses collègues (2009) ont rapporté que 23% des jeunes interrogés ont admis avoir commis en ligne des actions qu'ils n'auraient pas faites en face à face.

Troisièmement, l'auditoire visé peut être beaucoup plus important dans le cyberespace (Slonje & Smith, 2008). En effet, internet permet de mettre en relation des individus provenant de partout dans le monde et l'information mise en ligne peut être vue par un nombre incalculable de personnes. Ainsi, au mois de mars 2016, Facebook avait 1.65 milliard d'utilisateurs actifs (Facebook, 2016). Une étude qui a examiné la proportion de jeunes qui ont été témoins de cybervictimisation, tous médias électroniques confondus, a rapporté que plus de la moitié des participants l'avaient été dans la dernière année (Whittaker & Kowalski, 2014). Ce large auditoire pourrait causer plus de dommages et amener plus de détresse chez les victimes que lorsque la victimisation a lieu en face à face (Dooley, Pyzalski, & Cross, 2009). La possibilité d'être agressé en permanence, ainsi que le potentiel d'anonymat des agresseurs et d'avoir pour témoin plusieurs personnes sont tous des éléments qui inquiètent particulièrement les cybervictimes (Davis, Randall, Ambrose, & Orand, 2015).

2.2. Difficultés liées à l’opérationnalisation de la cybervictimisation

D'autres particularités propres à la cybervictimisation causent actuellement un débat quant à son opérationnalisation. Certains chercheurs pensent que les éléments de répétition et de déséquilibre de pouvoir présents dans la définition de la victimisation traditionnelle sont pertinents à la cybervictimisation et l'incluent conséquemment également dans la définition de cette dernière (p. ex., Kowalski et al., 2014; Beran, Rinaldi, Bickham, & Rich, 2012; Dilmac, 2009; Holfeld & Grabe, 2012; Li, 2008; Popovic-Citic, Djuric, & Cvetkovic, 2011; Riebel, Jäger, & Fischer, 2009; Ševčíková, Šmahel, & Otavová, 2012; Sourander et al., 2010;

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Vandebosch & Van Cleemput, 2008). Cependant, ce ne sont pas tous les chercheurs qui sont de cet avis.

Un des défis d’opérationnalisation de la cybervictimisation vient du fait qu'un acte unique d'agression sur le web peut être répété plusieurs fois sans que l'agresseur initial ne soit directement impliqué (Cassidy et al., 2013; Menesini & Spiel, 2012; Slonje, Smith, & Frisén, 2013; Menesini et al., 2012). Par exemple, une photo compromettante mise en ligne a le potentiel d'être partagée indéfiniment. L'étude de Slonje, Smith et Frisén (2012) illustre ce fait. Dans cette dernière, 10% des participants qui affirmaient avoir reçu du matériel à des fins de cyberintimidation rapportaient l’avoir transféré à des amis. La répétition est un aspect important de la définition de la victimisation traditionnelle parce qu’elle suscite une inquiétude quant aux gestes futurs de l'agresseur (Patchin & Hinduja, 2015). Or, certaines agressions électroniques isolées peuvent aussi créer une appréhension chez la victime, notamment en ce qui regarde leur possible reprise par d’autres personnes sans que la victime n'en soit témoin.

Certains aspects conférant un plus grand pouvoir à l'agresseur en contexte de face à face, tels que la force physique et le statut social, peuvent ne pas avoir autant d'importance dans le cyberespace (Cassidy et al., 2013; Slonje et al., 2012; Wingate, Minney, & Guadagno, 2013). On a proposé que les écarts dans les habiletés en informatique puissent refléter un déséquilibre de pouvoir, mais les connaissances requises pour agresser une personne en ligne ou par téléphone sont minimales. L'incapacité de la victime à faire cesser les attaques pourrait être ce qui atteste le plus du pouvoir ou de la domination de l'agresseur sur la victime, car cet aspect suscite un sentiment d'impuissance (Dooley et al., 2009).

Les incertitudes actuelles concernant la façon dont la cybervictimisation devrait être opérationnalisée ne sont pas les seules à engendrer un débat. En effet, certains chercheurs vont même jusqu'à remettre en question l’utilité d’en faire un concept distinct. La prochaine section abordera les données empiriques qui appuient ou réfutent cette conceptualisation de la cybervictimisation.

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2.3 Études empiriques comparatives entre la victimisation traditionnelle et la cybervictimisation

Plusieurs études portant sur l’association entre la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle vont à l'encontre d'une vision de l’agression électronique comme un concept à part entière. Des études ont respectivement rapporté que 60% et 62 % des cybervictimes étaient également des victimes traditionnelles (Schneider, O’Donnell, Stueve, & Coulter, 2012; Kowalski, Morgan, & Limber, 2012). Dans trois échantillons analysés par Olweus (2012), le taux de cybervictimes qui s’avouaient aussi des victimes traditionnelles était encore plus élevé, soit de 88%, 91% et 93%. Dans une analyse par classes latentes, trois classes distinctes de victimes ont été identifiées (Barboza, 2015); l’une d'entre elles représentait des victimes traditionnelles seulement, mais les deux autres regroupaient des victimes traditionnelles et des cybervictimes présentant des fréquences d'agression différentes. Il est notable qu'aucune classe ne contenait uniquement des cybervictimes. De nombreuses autres études ont permis d'établir la présence d'un chevauchement statistique marqué entre la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle (p.ex., Cross et al., 2015; Hase, Goldberg, Smith, Stuck, & Campain, 2015; Ybarra, Diener-West, & Leaf, 2007; Juvonen & Gross, 2008), dont celle de Smith et al. (2008) qui s'est intéressée aux agresseurs et qui indique que plusieurs agresseurs en ligne sont des agresseurs traditionnels. Notons cependant que la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle sont habituellement toutes deux auto-rapportées. Le fait que ces mesures soient complétées par le même évaluateur, soit le jeune lui-même, pourrait avoir pour effet d’augmenter la variance partagée entre ces variables.

Selon ces résultats, les deux types de victimisation semblent être liés. Pour cette raison, Olweus (2012) soutient que la cybervictimisation ne devrait pas être étudiée isolément, mais plutôt dans le contexte de la victimisation en général. Cassidy et ses collèges (2013) abondent et soutiennent que le médium par lequel les actes d'agression ont lieu est moins important que l'agression en soi. Juvonen et Gross (2008) sont également d’avis que le cyberespace est simplement une extension virtuelle du milieu scolaire plutôt qu’un environnement distinct. Le cyberespace serait donc un autre contexte où peuvent s’exprimer les actes d'agression destinés à des cibles précises. Ceci est appuyé par plusieurs études qualitatives qui ont examiné la

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perception des jeunes quant à la cybervictimisation. Pelfrey et Weber (2014) rapportent que les participants à leur étude ne trouvaient pas que le terme cybervictimisation était un bon mot pour définir les agressions électroniques car à leurs yeux, ils reflètent le même phénomène que les agressions en face à face. De façon similaire, Crosslin et Golman (2014) rapportent qu'une proportion significative des participants à leur étude croyait que le terme cybervictimisation était inapproprié et lui préférait ''attaques'', un mot plus englobant. Cette continuité entre le cyberespace et les interactions physiques a aussi été jugée par des participants dans l'étude de Boyd (2012). Selon eux, une vision du cyberespace comme étant différent de la réalité serait celles des adultes et non des jeunes.

Ces arguments empiriques justifient une remise en question d’une distinction franche entre la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle. Même si en principe le cyberespace est un terrain plus propice à l'anonymat que les établissements scolaires, ce seul aspect ne justifie pas de distinguer les deux types de victimisation pour la majorité des victimes. De façon plus précise, au plus le tiers des cybervictimes ne connaissent pas l’identité de leur agresseur (entre 11% et 35%; Smith et al., 2008; Slonje & Smith, 2008; Dehue, Bolman. & Völlink, 2008; Ackers, 2012). De plus, les agresseurs proviennent le plus souvent de la même école que la victime (Smith et al., 2008; Slonje & Smith, 2008).

Ce dernier point illustre que les cyberagressions pourraient être coordonnées avec des agressions qui ont eu lieu en milieu scolaire (Raskauskas & Stoltz, 2007; Cassidy et al., 2013), par exemple une agression physique qui a été filmée puis téléchargée sur internet (Spears, Slee, Owens, & Johnson, 2009). En fait, les agressions électroniques font fréquemment suite à des problèmes ayant débuté à l'école (Denmark, 2014; Cassidy et al., 2009; Rafferty & Vander Ven, 2014), comme des relations amoureuses ou d'amitié qui se seraient envenimées (Boyd, 2012). Des agressions pourraient également commencer lors d'interactions électroniques à distance, mais se poursuivre en face à face (Pelfrey & Weber, 2014). Ces études démontrant une coordination entre les cyberagressions et les agressions prenant place à l’école ont majoritairement examiné des évènements vécus à l’adolescence (i.e., à école secondaire). Toutefois, les travaux de Denmark (2014), Cassidy et al. (2009) et Pelfrey & Weber (2014) se rapportent à la fin de l’enfance (i.e., à la fin du cours primaire). Cette coordination entre

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victimisation traditionnelle et cybervictimisation pourrait expliquer les résultats de l'étude de Gradinger, Yanagida, Strohmeier, et Spiel (2014), qui rapportent qu'un programme d'intervention visant une diminution de la victimisation traditionnelle, le «ViSC social competence program», avait aussi diminué les agressions électroniques, même s'il ne contenait pas d'éléments spécifiques à ce type de victimisation. Gradinger et al. (2014) ont d'ailleurs suggéré que les mécanismes impliqués dans les deux types d'agressions sont semblables et le reflet de problèmes systémiques à l'école.

L’idée que la cyberintimidation est une forme d'agression distincte est aussi remise en question par ceux qui l'associent fortement à un autre type d’intimidation traditionnelle, soit l’agression indirecte ou relationnelle (Cassidy et al., 2013; Piazza & Bering, 2009; Shariff & Goulin, 2005; Jackson, Cassidy, & Brown, 2009). Jackson et ses collègues (2009) ont même affirmé que la cyberintimidation serait une forme d'agression relationnelle. Ainsi, les messages (par exemple, les messages textes et les remarques dénigrantes mises en ligne sur un site web ou un blog), ou encore les contenus visuels envoyés par téléphone ou internet ont le potentiel d'être transmis à autrui. L'intention implicite de l'agresseur est donc d'exclure la victime, et/ou de nuire à son statut social auprès de ses pairs.

Toutefois, les études qui montrent que le cyberagresseur est connu d’une majorité des jeunes victimes peuvent être invoquées pour réfuter cette dernière possibilité. En effet, la victimisation indirecte implique par définition l'anonymat de l'agresseur. Des cas de cybervictimisation directe ont également été rapportés, par exemple, une jeune fille qui se faisait harceler électroniquement par son ancien petit ami sans qu'il ne tente de cacher son identité (Spears et al., 2009). Toutefois, dans cette même étude, les élèves et les enseignants interrogés mentionnaient que la victimisation indirecte et la cybervictimisation leur semblaient différentes. La plupart des jeunes dans l'étude de Cassidy et al. (2009) affirmaient la même chose.

Même si la majorité des recherches ont observé un fort recoupement entre les cybervictimes et les victimes traditionnelles, une étude française a récemment rapporté le contraire. En effet, une faible proportion des participants qui étaient des victimes traditionnelles, des agresseurs traditionnels ou bien les deux à la fois avaient le même statut dans le cyberespace.

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Par exemple, seulement 22% des jeunes classés comme des cyberagresseurs étaient également des agresseurs traditionnels (Kubiszewski, Fontaine, Potard, & Auzoult, 2015). Dans le but de tester si l’intimidation verbale, physique, relationnelle et la cyberintimidation sont des formes différentes d'intimidation, Varjas, Henrich et Meyers (2009) ont mené une analyse factorielle confirmatoire sur des items mesurant ces concepts. Les résultats indiquent que tous les facteurs sont corrélés, mais que la cyberintimidation est le facteur le moins lié aux autres. Dempsey, Sulkowski et Nichols (2009) ont également mené ce type d'analyse. À nouveau, la cyberintimidation s’est révélé un facteur latent distinct des types d’intimidation traditionnelle, qu'ils soient de nature directe ou relationnelle. Selon ces auteurs, cela signifie qu'il faut voir la cyberintimidation comme un phénomène unique, qui peut affecter les jeunes qui ne sont pas des victimes traditionnelles.

Sumter et al. (2015) ont obtenu un résultat particulièrement intéressant avec des analyses factorielles exploratoires et confirmatoires. À l'instar des études précédentes, la victimisation par voie électronique et la victimisation en face à face ont été modélisées comme des facteurs différents. Cependant, les deux types de victimisation eux-mêmes divisés en formes directe et indirecte, pour un total de quatre facteurs. Ainsi, la cybervictimisation insidieuse, par exemple lorsque des jeunes en ligne agissaient dans une insouciance méprisante de l’autre, se situait sur un construit différent de celui associé à un affront électronique plus direct. À noter également, les travaux de Calvete, Orue, Estévez, Villardón et Padilla (2010), qui ont observé que l'agression relationnelle n'était pas associée à la cyberagression chez leurs participants.

D'autres arguments en faveur du caractère unique de la cyberintimidation sont proposés par Menesini (2012) qui fait valoir que même si la cyberintimidation semble être une expression particulière de l’intimidation à laquelle elle est fortement associée, les deux formes sont associées de façon unique à la santé physique et psychologique. Par exemple, l'implication comme cybervictime ou cyberagresseur est associée de façon unique aux symptômes dépressifs et à l'idéation suicidaire lorsque les formes d’intimidation traditionnelle sont prises en compte (Bonanno & Hymel, 2013). De plus, si la cybervictimisation semble souvent commencer à l'école, ce n'est pas nécessairement toujours le cas. Par exemple, un jeune qui joue à un jeu en

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ligne et qui performe mal peut provoquer des agressions verbales de la part des autres joueurs (Rafferty & Vander Ven, 2014).

En somme, les écrits scientifiques présentent des arguments et des faits qui s’opposent, c’est-à-dire qu’ils appuient ou réfutent le caractère unique de la cybervictimisation vis-à-vis la victimisation dite traditionnelle. Or, la façon dont les chercheurs conçoivent un construit a une très forte influence sur la conception de leurs études. C'est notamment ce qui guide la formulation des questions de recherche et la construction des mesures employées. Une mauvaise représentation d'un construit peut ainsi influencer la validité et l'utilité des résultats d'une étude. D’une part, le regroupement d’items se rapportant à la victimisation traditionnelle et à la cybervictimisation pourrait avoir une meilleure validité générale que les mesures distinctes des deux construits. D’autre part, ce regroupement pourrait mener à des conclusions moins nuancées sur le plan pratique que des études qui distinguent ces deux types de victimisation. Ainsi, une étude visant à évaluer l’effet d’une intervention devrait en principe pouvoir distinguer ses effets potentiels sur la cyberintimidation et sur la victimisation traditionnelle, mais seulement si ces deux concepts peuvent être mesurés distinctement. C'est pourquoi il importe que davantage d'études se penchent sur cette question.

3. Prévalence de la victimisation par les pairs

Les études démontrent qu'entre 30% et 60% des jeunes rapportent avoir été agressés de façon traditionnelle, autrement dit de façon verbale, physique, relationnelle ou indirecte, durant le semestre ou l'année en cours. Toutefois, les taux se rapportant aux jeunes qui ont été agressés plus d'une fois au cours de ce laps de temps sont plus bas, variant entre 6% et 15% (Card & Hodges, 2008). Pour ce qui est des cyberagressions, des prévalences rapportées par certaines études sont plus faibles. Olweus (2012) a suivi longitudinalement deux échantillons d'élèves américains et suédois. Pour être classé comme une victime, il fallait avoir été cybervictimisé au moins deux ou trois fois par mois au cours des derniers mois. Selon le temps de mesure et le pays, entre 2, 9% et 5% des jeunes étaient ainsi considérés comme cybervictimes. Toutefois, les taux de victimisation verbale étaient trois fois plus élevés, variant entre 9,3% et 18,4%. Slonje et Smith (2008) ont rapporté des prévalences de 11,7%, quant à l’expérience d’être cyberagressé

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au moins une fois depuis les derniers mois. Les participants de l'étude de Smith et al. (2008) avaient de leur côté affirmé dans 15,6% des cas avoir été agressé électroniquement une fois ou deux au courant des derniers mois, et dans 6,6% des cas, avoir été agressé plus souvent.

Des prévalences assez semblables sont observées lorsque les participants sont interrogés quant à leur participation à la victimisation par voies électroniques sur une plus longue période, soit au cours de la dernière année. Pour cet intervalle de temps, Wolak, Mitchell et Finkelhor (2006) ont obtenu un taux de 9%. Dans une étude effectuée par Smith et al. (2008), la prévalence de la cybervictimisation était un peu plus élevée, soit de 14,1%. Ces taux sont encore nettement inférieurs à ce qui est rapporté par les participants lorsqu'on les interroge sur la victimisation traditionnelle. En effet, dans l'étude de Smith et al. (2008), 3,1% des participants ont révélé avoir été agressé en face à face pendant la dernière année.

Pour la cyberintimidation vécue au cours de la vie entière, les prévalences sont plus alarmantes. Un pourcentage assez faible de victimisation subie fréquemment, soit de 7,1%, a été obtenu en Autriche auprès de jeunes âgés entre 14 et 19 ans (Gradinger, Strohmeier et Speil, 2009). À nouveau, la victimisation traditionnelle (formes verbale et physique) était beaucoup plus commune, avec une prévalence de 54,7%. Un pourcentage relativement faible a aussi été apporté au Royaume-Uni, chez des jeunes ayant entre 11 et 14 ans, soit 11% (Ackers, 2012). Cependant, un taux aussi élevé que 20% des jeunes âgés entre 11 et 19 ans interrogés par le NCH (2005) a dit avoir déjà été cyberintimidé au moins une fois. De plus, dans l'étude de Li (2006) effectuée au sein de trois différentes écoles au Canada, environ la moitié des élèves entre la 7e et la 9e année étaient classifiés comme des victimes traditionnelles et 25% comme des cybervictimes.

D'autres études effectuées auprès de jeunes Canadiens ont obtenu de fortes prévalences de cyberintimidation. Les études mesurant la victimisation ayant eu lieu au moins une fois au cours des trois derniers mois ont obtenu des taux de 50% (Mishna, Khoury-Kassabri, Gadalla, & Daciuk, 2012) et de 22% (Wade & Beran, 2011). Pour la victimisation vécue au moins une fois au cours de la vie entière, les résultats variaient entre 25% et 58% (Beran & Li, 2005; Li, 2007; Li, 2008). Deux études ont été effectuées à notre connaissance sur de jeunes Québécois.

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Une étude ayant été effectuée auprès 8194 élèves âgés entre 14 et 20 ans provenant de 34 écoles différentes a, de son côté, obtenu un taux de 22.9% sur une période d'un an (Cénat, Blais, Hébert, Lavoie, & Guerrier, 2014). Beaumont et ses collègues (2014) ont quant à eux étudié séparément 14958 élèves du primaire et 41221 élèves du secondaire. Entre la 4e et la 6e année du primaire, 8,1 % de participants disaient avoir été au moins une fois la cible d'insultes ou de menaces par courriel, 8% disaient avoir été au moins une fois la cible de messages humiliants ou de fausses rumeurs sur internet, et 5,4% au moins une fois la cible d'insultes ou de menaces par messages textes. Ces taux étaient respectivement de 10%, 9,1% et 7,8% chez les participants qui étaient au secondaire. Les taux de victimes totaux pour cette étude ne sont cependant pas rapportés.

La prévalence de la cyberintimidation varie donc énormément en fonction des études et il est essentiel de se questionner sur ce qui cause de telles disparités. Celles-ci pourraient être dues à des facteurs en lien avec la composition de l'échantillon, notamment l'âge des répondants, leur milieu socioéconomique et leur provenance. En effet, comme le soulignent Cross, Li, Smith et Monks (2012), l'ampleur du phénomène semble varier selon les pays. Les différences sont probablement également associées aux variations de méthodes de mesures utilisées. Non seulement les items utilisés pour mesurer la victimisation peuvent différer et varier en nombre, mais ils ne correspondent pas toujours à une définition précise de la cyberintimidation. Pour ajouter à la confusion, lorsqu'une définition est présentée, elle peut varier selon les auteurs (voir Kowalski et al., 2014, ainsi que Sabella, Patchin, & Hinduja, 2013 pour une discussion sur le sujet). Par exemple, l'étude de Li (2006), pour laquelle les prévalences obtenues étaient très élevées (25%), utilisait un questionnaire qui demandait directement à l'élève s’il avait été cyberintimidé. Par contre, le questionnaire d'Olweus (2012) donne préalablement une longue définition de la victimisation par les pairs qui précise les critères indiquant qu'une personne est réellement victime lorsque notamment, elle ne peut pas facilement se défendre et que les attaques sont répétées. Dans cette étude, les prévalences de cybervictimisation obtenues étaient beaucoup plus faibles (entre 2.9% et 5%).

Les indices temporels variables selon les instruments de mesure peuvent aussi faire varier les prévalences. Certaines études mesurent la cyberintimidation à l'échelle de la vie entière, alors que d'autres ne la mesurent que depuis les derniers mois. Étant donné la récente

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augmentation de l'utilisation des médias électroniques (Smith et al., 2008), l'année où l'étude a été effectuée doit aussi être prise en compte. Pour illustrer cette possibilité, mentionnons l'étude de Wolak et al. (2006) qui reprend une étude réalisée en 2000, dans laquelle le taux de victimisation rapporté était plus bas (6% versus 9%). D'autres auteurs rapportent aussi une augmentation du taux de cyberintimidation depuis les dernières années (Cassidy et al., 2013; Cassidy et al., 2009). Il est également possible que les taux rapportés varient selon l’âge des participants, tout comme la fréquence et la nature des agressions interpersonnelles varient avec l’âge (Due et al., 2005; Smith, Madsen, & Moody, 1999).

Les résultats rapportés ici indiquent que la majorité des études ayant porté sur le sujet ont découvert que la cyberintimidation est moins fréquente que la victimisation traditionnelle. Malgré ce fait, l'augmentation apparente des taux de cyberagression rapportée par certains souligne la nécessité de continuer à évaluer la fréquence relative des deux types de victimisation. De plus, les importantes différences de prévalence indiquent que d'autres études doivent être faites sur le sujet afin d'avoir une idée plus précise du nombre de cybervictimes.

4. Les facteurs de risque de la cybervictimisation

Des études antérieures ont démontré que certains individus sont plus à risque que d'autres d'être cybervictimisés. Celles-ci ont identifié certaines caractéristiques individuelles et environnementales pouvant prédire le fait de subir ce type d'agression. En ce qui concerne les facteurs individuels, des études indiquent que les plus jeunes adolescents semblent être les plus souvent visés. Slonje & Smith (2008) ont rapporté que des jeunes anglais âgés entre 12 et 15 ans fréquentant des écoles secondaires étaient plus victimisés que des jeunes âgés entre 15 et 20 ans fréquentant le collège. Effectuée aux États-Unis, l’étude de Schneider et al. (2012) rapporte aussi une moins grande fréquence de cybervictimisation de la 9e à la 12e année, soit entre 14-15 ans et 17-18 ans. Certaines études ont cependant constaté une plus forte victimisation avec l’âge (i.e., entre 11 et 19 ans ; Álvarez-García, Núñez Pérez, Dobarro González, & Rodríguez Pérez, 2015). Selon Tokunaga (2010), la cyberintimidation est la plus fréquente lorsque les élèves sont en 7e et en 8e année, soit au début du secondaire. Par contre, d'autres études n’observent pas d’association prédictive entre le niveau scolaire et la cyberintimidation (p.ex., Brown, Demaray,

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& Secord, 2014; Ackers, 2012). Tokunaga (2010) soutien qu’il pourrait y avoir une relation curvilinéaire entre l'âge et la fréquence des agressions. Cette possibilité est appuyée par les résultats obtenus par William et Guerra (2007). Ces derniers ont mesuré la fréquence des agressions en face à face et sur internet chez des élèves américains de divers niveaux scolaires. Pour les deux modes de victimisation, les niveaux d'agression augmentent entre la 5e et la 8e année, mais diminuent entre la 8e et la 11eannée.

Les différences sexuelles sont aussi associées à la cyberintimidation. Des études ont pu démontrer que les cyberagresseurs sont plus souvent de sexe masculin (p.ex., Li, 2006; Slonje & Smith, 2008; Wang, Iannotti, & Nansel, 2009). Pour ce qui est des victimes, les études ne sont pas toujours concluantes (p.ex., Smith et al., 2008; Ybarra & Mitchell, 2004; Didden & al., 2009; Juvonen & Gross, 2008; Topcu, Erdur-Baker, & Capa-Aydin, 2008). Toutefois, mis à part des études chinoises et turques qui ont trouvé que les garçons étaient plus souvent victimisés (Zhou, Tang, Tian, Wei, Zhang, & Morrison, 2013; Erdur-Baker, 2010), celles qui trouvent des différences sexuelles observent presque systématiquement que ce sont les filles qui sont le plus souvent des victimes (p.ex., Olenik-Shemesh, Heiman, & Eden, 2012; Dehue, Bolman. & Völlink, 2008; Kowalski & Limber, 2007; Walrave & Heirman, 2011; Smith et al., 2008; Festl, Scharkow, & Quandt, 2013; Schneider et al., 2012; Wang et al., 2009; Ackers, 2012). Ceci est intéressant, car dans un contexte de victimisation traditionnelle, les agressions sont plus dirigées envers les garçons (Smith et al., 2008). Ces résultats suggèrent que les caractéristiques des cybervictimes et des victimes traditionnelles pourraient différer, à tout le moins en ce qui concerne le sexe.

Récemment, une méta-analyse incluant 131 études transversales portant sur les caractéristiques psychosociales des jeunes agressés électroniquement a été menée (Kowalski et al., 2014). Selon cette méta-analyse, agresser ses pairs, être colérique, anxieux socialement, désengagé moralement et hyperactif serait tous des prédicteurs de la cybervictimisation. Des variables additionnelles incluses dans cette méta-analyse ont pu être associées avec la cyberintimidation, par exemple le stress, les symptômes dépressifs, les problèmes émotionnels et de conduite, ainsi qu'une moins bonne estime de soi.

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Les résultats d'une étude transversale plus récente indiquent aussi que la victimisation traditionnelle et l'estime de soi sont liées à la cybervictimisation (Álvarez-García et al., 2015). L'anxiété sociale, qui était également liée à ce type d'agression dans l'étude, n'avait cependant plus de valeur prédictive lorsque l'on contrôlait pour les autres variables incluses dans les analyses. L'étude a également identifié qu'un contrôle parental sur les activités en ligne des jeunes était lié à une plus forte victimisation électronique. Il est possible que cela s’explique par le fait que certains parents soient au fait que leur enfant se fait agresser électroniquement, et qu'ils tentent de mettre en place des moyens de protection. Une autre explication est possible. Une surveillance et une imposition de limites élevées pourraient être le reflet d'un style parental autoritaire, qui a été associé à la présence de plus de difficultés externalisées chez les adolescents (De la Torre-Cruz, García-Linares, & Casanova-Arias, 2014). Le lien entre le contrôle parental des activités en ligne et la victimisation pourrait donc être modéré par la présence de difficultés externalisées chez les jeunes. Notons toutefois que dans la méta-analyse de Kowalski et al. (2014), le contrôle parental de l'utilisation de la technologie n'était pas associé à la cybervictimisation.

Les études portant sur les facteurs de risque de la cyberintimidation ne comportent souvent qu'un seul temps de mesure. Quelques-unes sont longitudinales et ces dernières indiquent que certaines caractéristiques individuelles mentionnées ci-haut prédisent la probabilité ultérieure de cyberintimidation. Parmi les caractéristiques identifiées dans les études longitudinales, on note les problèmes de comportement, une faible estime de soi, une humeur dépressive (Modecki, Barber, & Vernon, 2013; Gámez-Guadix et al., 2013; Yang et al., 2013), être soi-même cyberagresseur (Yang et al., 2013) et la consommation de psychotropes (Gámez-Guadix et al., 2013). L'anxiété sociale et la solitude sont, d'après les écrits scientifiques, deux autres caractéristiques qui prédisent le fait de subir de la cyberintimidation. Ces résultats peuvent s’expliquer par le fait que les enfants plus isolés et anxieux socialement pourraient avoir une plus grande difficulté à se défendre (Van den Eijnden, Vermulst, van Rooij, Scholte, & van de Mheen, 2014).

L'étude de Korchmaros, Mitchell, et Ybarra (2014), qui a été conduite sur un intervalle de deux ans, corrobore aussi que les problèmes de comportement sont des facteurs de risque de

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la cyberintimidation. Van Lier et al. (2012) ont de leur côté démontré que non seulement l'agression, mais aussi les comportements destructeurs et les problèmes oppositionnels prédisent la victimisation future. Les auteurs ont également pu établir que la consommation de psychotropes prédisait ce type de victimisation. Il faut cependant être prudent dans l'interprétation de ces derniers résultats, car cette étude incluait la sollicitation sexuelle non désirée dans sa définition de la cybervictimisation, ce qui n'est pas partagé par les autres études rapportées ici.

Ces résultats convergent avec les études sur la victimisation traditionnelle, qui ont également identifié les difficultés internalisées et externalisées comme des facteurs de risque de la victimisation (p. ex., Cook, Williams, Guerra, Kim, & Sadek, 2010). En fait, les études portant sur la victimisation traditionnelle ont pu identifier au moins deux types de victimes, soit les victimes dites passives et les victimes dites agressives. Alors que les victimes passives peuvent être retirées socialement, anxieuses et vulnérables émotionnellement, les victimes agressives ont des comportements perturbateurs ainsi que d’agression (Boivin, Petitclerc, Feng & Barker, 2010; Boivin & Hymel, 1997). Il serait donc possible que de tels sous-groupes existent également chez les cybervictimes. Des différences quant aux facteurs de risques individuels pourraient également exister entre la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle. Cross et al. (2015) ont trouvé qu'un plus faible sentiment de connexion avec l'école, plus de difficultés émotionnelles, plus de difficultés avec ses pairs et plus de problèmes de conduite augmentaient la probabilité d'être seulement cybervictimisé, ou bien cybervictimisé et victimisé de façon traditionnelle en même temps.

Des comportements et des caractéristiques personnelles sans lien direct avec l'adaptation psychologique et sociale pourraient aussi augmenter la probabilité d'être cybervictimisé. Soulignons notamment le fait d'utiliser internet à une grande fréquence (p. ex., Smith et al., 2008; Mishna et al., 2012; Festl et al., 2013; Zhou et al., 2013; Erdur-Baker, 2010; Vandebosch & Van cleemput, 2009; Hinduja & Patchin, 2008) et d'avoir des comportements en ligne à risque (Kowalski et al., 2014), par exemple dévoiler de l'information personnelle à des inconnus (Erdur-Baker, 2010). De plus, comme pour l'intimidation traditionnelle, l'appartenance à une minorité sexuelle est associée avec le fait d’être la cible de cyberintimidation (Wensley &

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Campbell, 2012; Cénat et al., 2014; Davis et al., 2015). L'étude de Schneider et al. (2012), dans laquelle les non-hétérosexuels étaient deux fois plus victimisés (33.1% vs 14.5%), illustre bien ce point. Cette même étude a aussi révélé la présence d'agressions plus fréquentes envers les jeunes rapportant une moins bonne performance scolaire ainsi qu'un moins fort attachement à l'école. La faible réussite scolaire a d'ailleurs aussi été identifiée comme facteur de risque dans l'étude longitudinale de Yang et ses collègues (2013). Des particularités individuelles qui ne sont habituellement pas examinées dans les études quantitatives ressortent dans les études qualitatives comme étant d'autres facteurs de risques possibles. Ces études ont trouvé que les cybervictimes et les autres jeunes ont souvent la perception que les agressions sont motivées par l' apparence physique (Davis et al., 2015; Denmark, 2014; Cassidy et al., 2009) et par le fait que les victimes sont différentes de la majorité, notamment quant à leurs intérêts (Davis et al., 2015; Ackers, 2012).

Les facteurs de risque environnementaux sont moins documentés dans les écrits scientifiques. Ceux-ci comprennent le climat scolaire (Kowalski et al., 2014), par exemple le nombre de cyberagresseurs dans la classe (Festl et al., 2013) et la sécurité perçue à l'école (Sourander & al., 2010). Le climat familial (Brighi, Guarini, Melotti, Galli, & Genta, 2012; Fanti, Demetriou, & Hawa, 2012), ainsi que le fait de ne pas vivre avec ses deux parents biologiques (Sourander & al., 2010) seraient aussi des facteurs de risque. Les quelques études prospectives menées à ce jour sur ce sujet indiquent qu'avoir une relation négative avec ses parents (Korchmaros et al., 2014) et vivre dans une famille monoparentale prédisent la présence ultérieure de plus de cybervictimisation (Fanti, Demetriou, & Hawa, 2012). Le soutien de la famille permettrait à l'inverse de diminuer les futures cyberagressions subies, mais il semble que cela ne soit pas le cas pour le soutien des amis, le soutien social à l'école (Kowalski et al., 2014) et le nombre d'amis (Wang et al., 2009). La qualité des relations d'amitié aurait un rôle protecteur contre les agressions traditionnelles (Hodges, Boivin, Vitaro, & Bukowski, 1999), mais son rôle quant à la cybervictimisation n'a pas été encore été documenté à notre connaissance. Les résultats d'une étude longitudinale (Hemphill, Tollit, Kotevski, & Heerde, 2014) et d’une méta-analyse (Kowalski et al., 2014) indiquent aussi que le fait de subir de la victimisation en face à face serait un prédicteur important de la cybervictimisation.

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Enfin, Cappadocia, Craig et Pepler (2013) ont mené un sondage détaillé sur la cybervictimisation auprès de 1972 jeunes sélectionnés à l'aide d'une méthode d'échantillonnage stratifiée de façon à obtenir un échantillon représentatif du Canada. Ce sondage corrobore les conclusions des études qui montrent que les symptômes dépressifs et la victimisation traditionnelle vécue prédisent la cyberintimidation ultérieure. Toutefois, le nombre d'amis n'était pas prédictif de ce type de difficultés. À l'opposé des autres études, la fréquence d'utilisation d'internet, les symptômes anxieux et somatiques, la relation avec les parents et un mauvais climat scolaire perçu n'étaient pas reliés à la cybervictimisation. Les auteurs soulignent le caractère inattendu de ces résultats et la nécessité de continuer à étudier les facteurs de risque de la cybervictimisation.

5. Trajectoires de victimisation traditionnelle et de cybervictimisation

Quoique le besoin d'étudier plus amplement les facteurs de risque de la cybervictimisation soit notable, la façon dont ce type d'agression évolue dans le temps pour divers groupes d'enfants est encore moins connue. Il serait pourtant important de s'y intéresser, car cela mènerait à une meilleure compréhension du développement d'une telle victimisation. Au cours des dernières années, quelques études se sont penchées sur les trajectoires de victimisation traditionnelle afin de documenter les changements dans la sévérité des abus dans le temps. Ces études ont permis d'identifier des classes distinctes de jeunes pour lesquelles l'évolution de la problématique n'est pas la même. Par exemple, dans l'étude de Barker, Arseneault, Brendgen, Fontaine et Maughan (2008), trois trajectoires représentaient le mieux l'évolution de l’intimidation perçue par des jeunes âgés de 13 à 16 ans; une première où le niveau de victimisation était faible et stable à travers le temps (85% de l'échantillon), une deuxième où le niveau était haut et augmentait avec le temps (5% de l'échantillon), et une troisième où le niveau était également haut, mais diminuait avec le temps (10% de l'échantillon). Trois trajectoires de victimisation traditionnelle ont également été identifiées par Boivin et al. (2010) auprès de jeunes du primaire. Leur étude rapportait une proportion similaire de jeunes avec un niveau de victimisation faible et stable (85,5%). Les résultats rapportaient également à nouveau un groupe pour lequel la victimisation était élevée et continuait d'augmenter avec le temps (10%)

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et un groupe pour lequel la victimisation était forte, mais diminuait légèrement avec le temps (4,5%).

La seule étude ayant examiné les trajectoires de cyberintimidation est celle de Sumter, Baumgartner, Valkenburg et Peter (2012). Dans cette étude, des données sur 1762 participants entre 12 et 17 ans ont été recueillies à quatre moments à des intervalles de six mois sur une période d’un an et demi au total. Un protocole longitudinal accéléré a été utilisé afin d'étudier les trajectoires sur un plus grand éventail d'âge entre 12 et 19 ans. Les résultats révèlent la présence de deux trajectoires pour ce type de victimisation. La première incluait la majorité des participants (78%) qui ne vivait à chaque temps de mesure que peu ou pas de victimisation. La seconde trajectoire incluait des participants victimisés de façon modérée (22%) et dont le niveau de victimisation était le plus élevé à 14 ans et diminuait ensuite graduellement. Des trajectoires jointes de cybervictimisation et de victimisation traditionnelle ont également été tracées. Les résultats indiquaient la présence de quatre trajectoires différentes, soit : (1) cybervictimisation et victimisation traditionnelle faibles, (2) cybervictimisation faible et victimisation traditionnelle modérée, (3) cybervictimisation et victimisation traditionnelle modérées, et (4) cybervictimisation modérée et victimisation traditionnelle forte. Malheureusement, la proportion de jeunes sur chacune de ces trajectoires n’est pas mentionnée dans l’article.

D'autres études sur les trajectoires de la cybervictimisation sont nécessaires. Les analyses de trajectoires permettent de vérifier si des groupes d’individus présentent des patrons de développement distincts (Nagin, 1999), et par la suite vérifier les facteurs et variables qui leur sont associés. Par exemple, plusieurs études portant sur la victimisation traditionnelle ont identifié des facteurs associés aux trajectoires de victimisation traditionnelle (p.ex., Boivin et al., 2010; Sullivan, Wilcox, & Ousey, 2010; Barker et al., 2008). Les études sur les trajectoires de la cybervictimisation devraient aussi en documenter les corrélats.

6. Synthèse des connaissances actuelles sur la cybervictimisation

La présente recension permet de constater que plusieurs facettes de la cybervictimisation doivent être mieux comprises, notamment la nature du construit, la prévalence de

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cybervictimisation, les facteurs de risque et l’évolution dans le temps. Premièrement, pour ce qui est de la nature de la cybervictimisation, certains résultats démontrent qu'il y a un important chevauchement entre les cybervictimes et les victimes traditionnelles (p.ex., Olweus, 2012), et d’autres résultats suggèrent le contraire (p.ex., Spears et al., 2009). Encore trop peu de recherches ont documenté empiriquement ce sujet pour qu'un consensus nuancé émerge quant à la nature distincte du construit de cybervictimisation. Des données empiriques supplémentaires à cet égard sont nécessaires afin d'éclaircir la nature de ce concept.

Deuxièmement, l’analyse de la recherche actuelle a mis à jour la grande variabilité dans les taux de prévalence de la cyberintimidation. Par exemple, ce taux varie entre 7,1% et 58% « au cours de la vie entière » (NCH, 2005; Gradinger, Strohmeier & Speil, 2009; Beran & Li, 2005; Li, 2007; Li, 2008, Li, 2006). Ceci pourrait s’expliquer par plusieurs différences méthodologiques entre les études. De plus, les caractéristiques sociodémographiques sont rarement pris en compte dans l’examen des taux de prévalence. Les taux pourraient notamment différer selon le sexe ou la situation familiale. Il importe de mieux documenter la prévalence de la cybervictimisation afin d’en préciser les facteurs qui influencent le taux de prévalence. Ceci permettrait entre autres d'avoir une meilleure idée des variables à considérer dans les études plus approfondies. Par ailleurs, une seule étude examinant les taux globaux de cybervictimisation a été publiée au Québec et il est très important de vérifier si les tendances observées peuvent être confirmées, d'autant plus que les taux de cybervictimisation rapportés étaient relativement élevés (i.e., près d'un quart des jeunes ont rapporté avoir été cybervictimisés; Cénat et al., 2014).

Troisièmement, concernant les facteurs de risque de la cybervictimisation, les facteurs individuels identifiés à ce jour incluent des facteurs sociodémographiques (eg., Tokunaga, 2010; Dehue, Bolman. & Völlink, 2008), et la présence de difficultés internalisées et/ou externalisées (p.ex, Modecki et al., 2013; Gámez-Guadix et al., 2013; Yang et al., 2013). Les facteurs environnementaux incluent le climat scolaire et familial (e.g, Korchmaros et al., 2014). Or, le manque d’études longitudinales limite notre compréhension actuelle des caractéristiques personnelles et environnementales associées au risque de cybervictimisation. Une étude longitudinale de la cybervictimisation permettrait de cerner les facteurs précoces qui prédisent une cybervictimisation ultérieure. De plus, dans la plupart des études, la cybervictimisation et

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ses facteurs de risque ne sont mesurés que par le biais de mesures auto-rapportées. Cette approche est sensible à la désirabilité sociale et les actes d'agression pourraient ainsi être sous-estimés (Menesini & Nocentini, 2009). Un moyen de pallier cette faiblesse est d'utiliser d’autres sources de mesure, surtout en ce qui a trait aux problèmes externalisés, notamment les enseignants (Johnston & Murray, 2003).

Quatrièmement, en ce qui regarde les trajectoires de cybervictimisation, à l’instar de Sumter et al. (2012), une approche longitudinale permet une meilleure compréhension du développement de la victimisation (voir Cross et al., 2015). Les études longitudinales du phénomène sont d’autant plus importantes que le nombre et la nature des trajectoires varient selon la méthode employée. Par exemple, en ce qui regarde la victimisation traditionnelle, le nombre de trajectoires rapportées varie entre trois (Boivin et al., 2010; Sumter et al., 2012; Barker et al., 2008), quatre (Sullivan et al., 2010; Lester, Cross, Dooley, & Shaw, 2013; Goldbaum, Craig, Pepler, & Connolly, 2003; Lester & Cross, 2014) et cinq (Biggs et al., 2010). De plus, l'évolution des trajectoires dans le temps peut varier. Des analyses de trajectoires sont donc nécessaires pour mieux comprendre l’évolution de la cybervictimisation et ses facteurs de risque, notamment ceux associés à l'appartenance à la trajectoire la plus sévère de victimisation (Sumter et al., 2012). À notre connaissance, aucune étude n’a examiné les facteurs reliés à l’appartenance à différentes trajectoires de cybervictimisation.

7. Objectifs

La présente étude comporte quatre objectifs. Le premier objectif est de tracer un portrait de la cybervictimisation dans un échantillon représentatif de la population québécoise et de vérifier sa prévalence en fonction de diverses variables sociodémographiques. Le deuxième objectif est d’examiner la correspondance entre la cybervictimisation et la victimisation traditionnelle afin d’éclairer la pertinence de les considérer de façon distincte. Le troisième objectif est d’évaluer la présence de trajectoires typiques de cybervictimisation afin d’illustrer comment ce type d'abus se développe dans le temps. Finalement, le quatrième objectif est d’examiner les facteurs de risque individuels et environnementaux associés à l’une ou l’autre des trajectoires préalablement identifiées.

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À notre connaissance, seule une étude a documenté la prévalence globale de la cybervictimisation chez les jeunes Québécois (Cénat et al., 2014). Aucune étude à notre connaissance n'a étudié les facteurs prédisant depuis l’enfance le fait de subir une trajectoire de cybervictimisation plus élevée et persistante à l’adolescence, ce qui permettra de mieux comprendre l'évolution de ce type d'agressions dans le temps. Cet effort de compréhension est une première étape vers d’éventuelles études d'interventions basées sur une connaissance empirique du phénomène.

Figure

Figure 1. Probabilité d’être cybervictimisé en fonction de l'âge pour les deux trajectoires (n =  1285)

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