II. Cas particulier de coévolution : les interactions plantes-bactéries phytobénéfiques
II.3 Les symbioses mutualistes
II.3.2 Les symbioses plantes-bactéries
La fixation biologique de l'azote qui consiste en la réduction de l'azote atmosphérique
(N2) en ammoniaque (NH3) a une importance majeure dans le fonctionnement de la biosphère.
Elle apparaît comme l'un des processus fondamentaux parmi les cycles biogéochimiques se déroulant dans le sol. A côté des microorganismes fixant librement l'azote atmosphérique, tels les Azospirillum, les Azotobacter…, le sol recèle des protéobactéries et actinobactéries
capables de noduler les légumineuses et les plantes ligneuses, respectivement. Toutes ces bactéries possèdent une nitrogénase, complexe enzymatique catalysant la réduction du diazote (N2) en ammoniaque (NH3), capables de fixer l'azote à leur profit et celui de la plante avec laquelle elles entrent en symbiose. L'importance agronomique et écologique de ces symbioses
fixatrices de N2 est considérable.
A. Les symbioses rhizobiacées-fabacées
La symbiose entre les bactéries fixatrices d’azote de la famille des rhizobiacées (Rhizobium, Ensifer (ex-Sinorhizobium), Bradyrhizobium, Mesorhizobium, Azorhizobium,
Methylobacterium, Phyllobacterium, Ochrobacterium, Blastobacter, Devosia) et les
fabacées(plantes légumineuses : pois, soja, haricot, trèfle…) est une des interactions
symbiotiques plantes-bactéries les plus étudiées à ce jour (van Rhijn et Vanderleyden 1995 ; Moulin et al. 2001 ; Masson-Boivin et al. 2009). Ce type de symbiose entraine la formation
par l’hôte de structures particulières localisées au niveau des racines, les nodosités colonisées
par les bactéries symbiotiques et où les échanges nutritifs entre les partenaires s’effectuent (Figure 9). Les espèces de Rhizobium qui peuvent infecter les plantes possèdent généralement des plasmides de grande taille appelés plasmides symbiotiques (pSym) qui hébergent des gènes essentiels pour la nodulation (gènes nod) et la fixation d'azote (gènes fix, nif ; Batut et
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Figure 9 : Variations morphologiques dans la symbiose entre bactéries diazotrophes et légumineuses.
Les bactéries forment des nodosités sur les racines [(a) Cupriavidus taiwanensis–Mimosa pudica] et
occasionnellement sur les tiges des légumineuses [(b) Azorhizobium caulinodans–Sesbania rostrata,
(c) Bradyrhizobium sp. ORS322–Aeschynomenea fraspera, et (d) Bradyrhizobium sp. ORS278–
Aeschynomene sensitiva]. Les nodosités se présentent sous différentes formes, c’est à dire rondes [(e)
Sinorhizobium fredii–soja], coralloïdes [(f) Methylobacterium nodulans–Crotalaria perrottetii] ou
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En ce qui concerne l'origine évolutive de l'association symbiotique entre les rhizobiacées et les légumineuses, deux théories ont été proposées. Pour la première théorie, la symbiose aurait évolué à partir de bactéries diazotrophes du sol qui se seraient associées aux plantes en exploitant en partie les voies de signalisation développées lors de la coévolution du végétal avec les mycorhizes. En effet les voies de signalisation de la colonisation du partenaire végétal sont partagées entre les bactéries, les champignons mycorhiziens (Dénarié et Gianinazzi-Pearson 1997) et les nématodes (Weerasinghe et al. 2005). L'existence de mutants de plantes incapables d'entrer en symbiose avec des rhizobiacées et avec des champignons endomycorhiziens corrobore cette idée (Hirsch et al. 2001). Dans la deuxième théorie, les ancêtres des bactéries symbiotiques seraient des bactéries phytopathogènes. Cette hypothèse est avancée en raison d'une part de la proximité phylogénétique entre symbiote et pathogène (Agrobacterium est une rhizobiacée), et d'autre part de l'existence d'homologies locales entre les plasmides Vir et Sym (Terefework et al. 2000).
La divergence entre les différents genres de rhizobiacées est estimée à 200-300
millions d’années, c'est-à-dire bien avant celle entre les monocotylédones et les dicotylédones ou l'apparition des légumineuses. De plus, depuis 10 ans, la capacité de souches de bétaprotéobactéries Burkholderia (Moulin et al. 2001) et Ralstonia (Chen et al. 2001) et de
l’alphaprotéobactérie Methylobacterium (Sy et al. 2001) à former des nodosités fixatrices d'azote en symbiose avec des légumineuses a été décrite (Moulin et al. 2001). Bien que les bétaprotéobactéries soient phylogénétiquement éloignées des alphaprotéobactéries, leurs gènes de nodulation sont phylogénétiquement proches. Ces observations suggèrent que la capacité des bactéries à noduler les légumineuses a été acquise après la divergence des différents genres et a été transmise horizontalement (Hirsch et al. 2001).
L'une des caractéristiques majeures de la symbiose est sa spécificité. En effet, la
plupart des rhizobiacées n'est capable d'établir une symbiose fixatrice d'azote qu'avec un nombre limité d'espèces végétales, définissant son spectre d'hôte. Inversement, une espèce de légumineuse donnée ne pourra établir une association symbiotique qu'avec une ou plusieurs espèces ou genres de bactéries, définissant ainsi le spectre d'hôte de la légumineuse. Les variations du spectre d'hôte bactérien et des légumineuses sont très importantes. Ainsi les
associations peuvent être très spécifiques (aussi appelées spécialistes) dans le cas d’un seul
symbionte possible, jusqu’à généralistes, lorsque le spectre d'hôte est large. A titre d’exemple
pour le partenaire bactérien, nous pouvons citer Azorhizobium caulinodans qui ne s'associe qu'avec Sesbania rostrata (Dreyfus et al. 1988). Chaque espèce de rhizobiacées a souvent un
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généralement signifiées par le biovar, comme c’est le cas pour Rhizobium leguminosarum
colonisant le trèfle appelé alors biovar trifolii.
Il est cependant souvent difficile de déterminer quel est l’impact de la variété de plante
sur ces interactions. En effet, différents génotypes d’une même espèce de plante vont influencer la symbiose avec les rhizobiacées au niveau de la colonisation des bactéries (Drew et Ballard 2010), du nombre de nodosités formées ou la capacité à en produire (Sadowski et
al. 1988 ; Krishnan et al. 2003 ; Leon-Barrios et al. 2009 ; Drew et Ballard 2010 ;
Abi-Ghanem et al. 2011), de la quantité d’azote formé (Valverde et Ottabong 1997 ; Leon-Barrios
et al. 2009 ; Drew et Ballard 2010 ; Abi-Ghanem et al. 2011) ou du bénéfice de croissance
apporté par la symbiose (Valverde et Ottabong 1997 ; Drew et Ballard 2010).
Malgré les différences observées entre génotypes de plantes, à notre connaissance une seule étude a mesuré une relation directe entre le génotype de plante (distances génétiques) et la phylogénie du microsymbiote (Parker et Spoerke 1998), et a mise en évidence que les plantes proches phylogénétiquement recrutaient des populations bactériennes plus proches génétiquement. Une étude récente suggère que la symbiose Rhizobium-légumineuses ne serait
toutefois pas le résultat d’une coévolution mais d’une sélection des bactéries au cours du temps ayant une fonction phytobénéfique commune obtenue par transfert de gènes, sans
spécificité d’espèce (Martinez-Romero 2009). Il est donc nécessaire d’approfondir les
relations existant potentiellement entre la phylogénie des plantes et la phylogénie des
symbiotes afin de mieux comprendre l’influence qu’a pu avoir l’histoire évolutive dans ce cas
particulier de symbiose.
B Les symbioses Actinorhiziennes
Les symbioses actinorhiziennes concernent les actinobactéries fixatrices d’azote du
genre Frankia. Ces bactéries fixent l’azote en symbiose avec un large spectre de plantes
ligneuse dicotylédones, appelées actinorhiziennes, qui appartiennent à 25 genres répartis dans 8 familles dont les Bétulacées, les Myricacées et les Casuarinacées (Benson et Silvester 1993). Cette symbiose entraine également la formation de nodosités (dichotomes) où vont
avoir lieu les échanges de nutriments entre les deux partenaires de l’interaction (Kucho et al.
2010). D’après les pollens fossiles, les plantes actinorhiziennes seraient apparues il y a
presque 100 millions d’années (Oakley et al. 2004), mais rien n’indique qu’une symbiose avec les actinobactéries était déjà en place. Nous pouvons cependant penser que la symbiose avec les actinobactéries ait pu aider les plantes à coloniser des sols très pauvres en nutriments
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tels les moraines glaciaires. Ainsi après la dernière glaciation, l’aulne était la plante
dominante en Europe et Amérique du nord (Benson et Silvester 1993 ; Wall 2000). Toutefois, les gènes bactériens et les mécanismes moléculaires entrant en jeu dans la symbiose actinorhizienne sont encore mal compris notamment du fait que les bactéries du genre
Frankia sont souvent difficiles à cultiver et presque impossibles à manipuler génétiquement,
empêchant l’utilisation de mutants (Kucho et al. 2010).
L’influence de l’évolution des plantes actinorhiziennes est difficile à caractériser du fait du large spectre d’hôte de Frankia, avec sa capacité à entrer en symbiose avec des espèces
de plantes différentes. La relation entre l’évolution des plantes et les actinobactéries est peu
visible au niveau de l’espèce végétale, mais plus claire au niveau du genre (Huss-Danell 1991 ; Bautista et al. 2011). Différentes souches de Frankia ont récemment été caractérisées phylogénétiquement, et les résultats ont montré une concordance entre les génomovars de
Frankia étudiés et les plants hôtes de ces bactéries (Bautista et al. 2011). De plus, la
phylogénie de la plante et celle de son symbiote sont concordantes, les espèces végétales proches ayant des symbiotes proches phylogénétiquement (Jeong et al. 1999 ; Figure 8),
suggérant une influence de l’histoire évolutive sur les symbioses actinorhiziennes.