II. Cas particulier de coévolution : les interactions plantes-bactéries phytobénéfiques
II.4 Les symbioses associatives
Les microorganismes vivant librement dans la rhizosphère peuvent également avoir un effet bénéfique sur la plante (van der Heijden et al. 2008). Les symbioses associatives concernent les bactéries PGPR, qui peuvent stimuler la croissance des plantes, augmenter leur rendement ou réduire leur agression par des pathogènes (Lugtenberg et Kamilova 2009 ;
Figure 10). Nous traiterons de manière séparée l’impact du génotype végétal sur les PGPR
phytostimulatrices et phytoprotectrices, bien que certains microorganismes présentent les
40
Figure 10 : Interactions entre les plantes et les bactéries PGPR dans la rhizosphère. Inspiré de
Richardson et al. 2009.
II.4.1 Les PGPR phytostimulatrices
Les PGPR phytostimulatrices influencent la croissance des plantes (i) en améliorant la
biodisponibilité de certains nutriments, par exemple en fixant l’azote atmosphérique
(Bloemberg et Lugtenberg 2001) ou en solubilisant le phosphate (Richardson et al. 2009), (ii) en synthétisant des phytohormones comme des auxines, cytokinines, gibbérellines, ou de
l’acide abscissique (Steenhoudt et Vanderleyden 2000 ; Vessey 2003 ; Barea et al. 2005), (iii) en modulant le développement des plantes, grâce à une activité 1-aminocyclopropane-1-carboxylate (ACC) désaminase, qui va entrainer une élongation racinaire, (iv) en facilitant la mise en place ou le fonctionnement des symbioses mutualistes entre les racines et les
bactéries fixatrices d’azote (Remans et al. 2007) ou les champignons mycorhiziens (Garbaye
41
Certaines de ces propriétés phytobénéfiques sont différentiellement exprimées selon
l’espèce ou la variété de plante (Combes-Meynet 2010 ; Remans et al. 2009). Elles peuvent également avoir un effet contrasté selon le cultivar étudié. Cela a été montré dans le cas de la
production par une souche du genre Pseudomonas d’acide indole acétique, une phytohormone
de la classe des auxines, dont l’effet sur la croissance racinaire était positif pour le cassis mais
négatif pour le griottier (Dubeikovsky et al. 1993). Ceci suggère qu’il peut exister un spectre
d’hôte d’action chez les bactéries PGPR, comme décrit pour les microsymbiotes. La
colonisation et l’impact de l’inoculation de bactéries phytostimulatrices en conditions
contrôlées est variable selon le génotype de plante étudié. Cela a été montré pour les
principaux genres bactériens phytostimulateurs identifiés à ce jour, comme
Gluconacetobacter (Munoz-Rojas et Caballero-Mellado 2003), Pseudomonas (Liddycoat et al. 2009), ou Azospirillum (Baldani et Döbereiner 1980 ; Moutia et al. 2010). Ces bactéries
phytostimulatrices ont donc des propriétés qui théoriquement aident à la croissance des plantes, mais la réponse des plantes à leur inoculation peut être variable. Les systèmes
plantes-PGPR ne sont donc pas généralisables au niveau du genre bactérien ou de l’espèce
végétale étudiés. Nous pouvons supposer qu’il existe un spectre d’hôte chez les bactéries
phytostimulatrices, comme observé chez les symbioses mutualistes.
II.4.2 Les PGPR phytoprotectrices
Dans certains sols, on voit apparaître une propriété émergente de résistance du sol à la
maladie. Cette résistance est la capacité d’un sol à permettre le développement de plantes saines (faible niveau de maladie) alors que le pathogène est présent et que les conditions climatiques sont favorables au développement de la maladie (Baker et al. 1974 ; Elad et Freeman 2002 ; Kyselkova et al. 2009). Ainsi, des PGPR phytoprotectrices favorisent la croissance des plantes en réduisant le niveau de certaines maladies. Pour cela, elles peuvent agir (i) par antagonisme en produisant des antibiotiques délétères pour les pathogènes (Sharifi-Tehrani et al. 1998, Mazurier et al. 2009), (ii) par interférence avec des signaux, en détruisant les molécules signal des pathogènes (Lugtenberd et Kamilova 2009), (iii) en activant la résistance systémique induite de type ISR des plantes, qui augmentera la résistance
végétale à l’attaque de pathogènes (van Loon 2007), ou (iv) en contrôlant la croissance des pathogènes par la compétition pour les éléments nutritifs, comme par exemple, la compétition pour le carbone (Lemanceau et al. 1988) et la compétition pour le fer dont la biodisponibilité dans le sol est très faible (Lemanceau et al. 2009).
42
Le génotype de plante est un facteur influençant certaines de ces propriétés
phytobénéfiques. C’est notamment le cas lorsque l’on s’intéresse à l’ISR, qui est une
stimulation des mécanismes de défense de la plante par les PGPR phytoprotectrices. La
reconnaissance de ces bactéries par les plantes va être variable selon l’espèce de plante
étudiée (van Wees et al. 1997 ; van Loon 2007), et selon la variété à l’intérieur d’une espèce
végétale (Liu et al. 1995), aboutissant à des niveaux de maladies différents entre ces différents génotypes.
La protection des plantes par des bactéries ayant une activité de biocontrôle des pathogènes a été fortement étudiée pour un genre bactérien capable de produire une large
gamme d’antimicrobiens, les Pseudomonas fluorescents (Haas et Défago 2005 ; Couillerot et al. 2009). Ces bactéries sont influencées par le génotype de plante rencontré au niveau de leur
colonisation racinaire (Okubara et al. 2004), de l’expression de gènes impliqués dans la
biosynthèse de métabolites ayant une activité antimicrobienne, notamment le cyanure
d’hydrogène, les phénazines et le 2,4-diacétylphloroglucinol (Jamali et al. 2009 ; Mazurier et
al. 2009 ; Rochat et al. 2010), ou de la quantité de certains de ces composés produits
(Okubara et Bonsall 2008).
II.4.3 Bilan
Ainsi l’étude des symbioses suggère qu’aussi bien au niveau des espèces qu’à celui
des variétés de plantes, le végétal à un impact sur le recrutement des microorganismes et la réalisation des fonctions microbiennes. Néanmoins, les processus qui ont généré ces différentes espèces et variétés sont très rarement pris en compte pour comprendre leurs
différences d’interaction avec le compartiment microbien. Etudier l’impact de l’histoire évolutive du végétal sur le recrutement et l’activité des bactéries PGPR est une piste
intéressante pour identifier les lignées les plus efficaces pour recruter les PGPR et mieux lutter contre les phytopathogènes.
III/ Impact de l’évolution des plantes sur les communautés microbiennes de
la rhizosphère
Les évolutions conjointes et prolongées entre deux ou plusieurs partenaires sont visibles et communes à la majorité des espèces vivantes. Chaque organisme vivant est au
43
interagit en permanence. C’est la somme de ces interactions, certaines positives et d’autres
délétères, qui va conditionner son fonctionnement et son développement. Ce contexte permet
la mise en place de phénomènes de coévolution à l’échelle des communautés en interaction
(Ley et al. 2008a). Si l’on se place dans le contexte d’évolution, on suppose qu’une
ascendance commune produit des similitudes écologiques entre espèces étroitement apparentées ayant des niches écologiques semblables (Freckleton et al. 2002 ; Wiens et al.
2005). Ceci peut être relié à l’observation de Darwin qui disait que la lutte pour l'existence est
la plus sévère entre espèces apparentées, car elles partagent les mêmes phénotypes et
spécificités de niche (Darwin 1859). Les interactions interspécifiques comprennent une part
substantielle de la niche totale de la plupart des espèces (Chase et Leibold 2003). Et logiquement cela suggère que deux espèces étroitement apparentées sont susceptibles d'interagir plus avec des partenaires similaires que des espèces éloignées, parce que les traits phénotypiques qui régulent les interactions sont souvent phylogénétiquement conservés (Sasal
et al. 1998 ; Jackson et al. 2004 ; Gilbert et al. 2007 ; Holmes et al. 2009). Cette hypothèse
peut être étudiée en analysant les corrélations entre les distances évolutives entre les hôtes et les distances de diversité entre communautés microbiennes associées. Nous ferons ici une
revue des études concernant l’impact de l’histoire évolutive des hôtes eucaryotes sur la structuration de la communauté microbienne associée, notamment lorsqu’elles s’intéressent à l’impact de l’évolution des plantes sur la communauté bactérienne rhizosphérique dans son
ensemble. Pour cela, nous ferons tout d’abord un bilan des études sur l’évolution d’un hôte et
de sa communauté associée, puis nous nous intéresserons à l’influence de l’évolution des
plantes sur la communauté bactérienne rhizosphérique en termes (i) de diversité et (ii) de fonctionnement.