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Les Pyrénées, un orogène de collision intracontinentale modérément impacté par les glaciations pléistocènes

2. Cadre géologique

5.2. Les surfaces paléiques

Les surfaces paléiques – éléments de plateau souvent désignés sous le terme vernaculaire de « pla » – constituent des unités géomorphologiques récurrentes dans les Pyrénées (Birot, 1937 ; Calvet, 1996), et plus encore dans la moitié orientale de l’orogène, où leur occurrence dans le paysage de la Zone Axial tend à augmenter d’ouest en est (Fig. 2.18). Ce sont des surfaces planes généralement faiblement inclinées constituées d’une couche d’altérites recouvrant un substrat rocheux sain généralement cristallin (granite, gneiss) observées entre 2500 et 2900 m dans les Pyrénées (Calvet and Gunnell, 2008 ; Gunnell et al., 2009). Ces plateaux coiffés d’altérites in situ (pas toujours conservées cependant : il n'en reste parfois que des lambeaux ou des racines) peuvent représenter i) des surfaces sur lesquelles la glace a transité durant les périodes glaciaires ou ii) des surfaces supraglaciaires très peu, voire pas, impactées par la glace (Calvet et Gunnell, 2008; Delmas, 2009). Si toutes ces surfaces subissent des processus de météorisation (cf. 2.2.4. L’érosion des formations cristallines) lors des périodes interglaciaires, les premières sont soumises à l’action (efficace ou non) des glaciers (Goodfellow, 2007 ; Hall et al., 2013) tandis que les secondes évolueraient en contexte périglaciaire lors des périodes glaciaires.

Si la présence de pergélisols sur ces surfaces est attestée par des modelés caractéristiques (cercles de pierre, sols striées de maille plurimétrique ; Soutadé, 1980), il n’en reste pas moins difficile de déterminer si ceux-ci ont fonctionné tout au long du Würm ou bien seulement au Tardiglaciaire. Le second scenario impliquerait un fonctionnement périglaciaire uniquement durant les périodes de transition. Néanmoins, l’action des processus en contexte englacé reste très faible – d’où la persistance de ces surfaces – et suppose donc l’établissement de glaciers à base froide sur les plateaux et de couche de glace trop fine et trop peu mobile pour générer une érosion franche (Briner et al., 2003 ; Marquette et al., 2004 ; Staiger et al., 2005 ; Goodfellow, 2007). La faible mobilité de la glace sur ces surfaces peut également être due à la faible déclivité des pentes. Les glaciers froids peuvent cependant arracher des blocs préalablement fragilisés par la météorisation en contexte déglacé (Phillips et al., 2006). Pour autant, une certaine partie des couches d’altérites de plateaux peut être érodée par les glaciers sus-jacents ; en outre, les surfaces d’altérites les mieux préservées sont généralement recouverts d’une épaisseur de till (Kleman et Stroeven, 1997 ; Bouchard et Jolicoeur, 2000 ; Goodfellow, 2007). Dans le cas du plateau du Carlit (Delmas et al., 2009), ce sont des lambeaux isolés que l'on trouve sous les tills (Estagnet) ; les panneaux d'altérites continus sont sur des surfaces non englacées (Carlit du SW, Madrès, Campmagre, Beille nord...).

Figure 2.18. Localisation des surfaces paléiques (rouge) au sein de l’orogène pyrénéen [extrait de Monod et al., 2016]. Les surfaces paléiques correspondent au surfaces à pente < 10° et au travail de cartographie réalisé par Calvet (1996) et Delmas et al. (2009). Les rectangles marquent les sites étudiés dans l’article de Monod et al. (2016) : granite de Bordères-Louron (noté fig. 2) et massif d’Aston (noté fig. 5). Les tirets marquent les limites entre états.

La présence de ces surfaces supraglaciaires – en particulier au-dessus des cirques – est la marque d’une dénudation glaciaire régressive qui n’a pas eu la capacité de détruire ces sommets paléiques par recoupement des versants (Delmas et al., 2009 ; Mîndrescu et Evans, 2014). L’essentiel de la dénudation de ces surfaces est donc issu de la météorisation chimique et des processus périglaciaires. En contexte non glaciaire, les processus de météorisation entraînent une lente fissuration du substrat rocheux sain puis une désagrégation sous forme d’arènes (Goodfellow, 2007; Monod et al., 2016). Si ces surfaces subissent effectivement une perte de masse due à la dissolution de minéraux, celle-ci ne s’accompagne généralement pas d’un abaissement conséquent de la surface (Goodfellow, 2007). Les processus périglaciaires (gélifraction, cryoexpulsion, cryoreptation, gélifluxion…) – par leur pouvoir de dislocation de la roche et l’alternance de phases de gel et de dégel – semblent en revanche les plus aptes à évacuer le matériel rocheux altéré dès lors que les surfaces présentent une certaine déclivité

Cette dénudation se produit à l’échelle de plusieurs cycles de gel-dégel attribuables aux variations de températures et de précipitations journalières, saisonnières et climatiques (glaciaires/interglaciaires). Eu égard aux considérations évoquées plus haut, l’évolution des surfaces horizontales semble clairement peu soumise à une dénudation effective (i.e. un abaissement de la surface) et plus propice à la formation d’épaisseurs croissantes d’altérites.

Ces surfaces présentent également des structures rocheuses proéminentes telles que les tors. Ces formes représentent des affleurements du substrat peu altéré mis en relief par la dénudation différentielle qui s’opère entre ces structures et le reste du plateau (Godard, 1966)

où la météorisation aboutit à la formation de manteau d’altérites plus ou moins épais. Ils sont généralement composés de blocs et de dalles délimités par les diaclases du substrat, lesquelles présentent un degré d’altération plus ou moins poussé selon l’ancienneté du tor et l’action abrasive des glaciers (Hall and Phillips, 2006). Les tors sont en effet issus de l’action des processus de météorisation continus et du démantèlement des blocs qu’il soit progressif ou épisodique (Fig. 2.19) (Goodfellow, 2007). L’altération croissante des diaclases conduit à la désolidarisation progressive des dalles qui finissent par chuter ou bien par être emportées par le mouvement des glaciers lors de phases d’englacement de plateau (Phillips et al., 2006). L’alternance entre période de météorisation en contexte déglacé ou périglaciaire et phases de dénudation glaciaire en contexte englacé aboutit à l’abaissement progressif du tor dont il finit par ne rester qu’une racine plus ou moins abrasée (Fig. 2.19) (André, 2004 ; Phillips et al., 2006 ; Hall et Phillips, 2006).

Les tors et leur degré de démantèlement sont par conséquent de précieux marqueurs des limites des englacements passés. Les tors sont généralement très répandus et peu démantelés en-dehors de l’extension maximale de glaces tandis qu’ils sont fortement disloqués voire rasés à l’intérieur de cette limite (Hall et Sugden, 2007). S’ils sont totalement absents sous les glaciers à base tempéré érodant efficacement, ils sont en revanche présents sous forme démantelé et associés à des manteaux d’altérites dans les zones de glaciation alpine (Small et al., 1997), sous les glaciers à base froide (Sugden, 1968) et dans les zones d’érosion sous-glaciaire limitée (Hall et Sugden, 2007). Dans certains cas, ils sont parfois parfaitement conservés, avec des erratiques piégés dans les vasques des blocs supérieurs

(André, 2001). Dans l’aire d’étude, les tors sont effectivement présents sur plusieurs plateaux avec des structures bien préservées et peu démantelées (plateaux externes du sud-Carlit), sous forme de racines de tors démantelées (plateau de Beille), parfois polies et s’apparentant à des dos-de-baleine (plateaux internes du sud-Carlit) (cf. chapitre 4).

Figure 2.19. Séquences de démantèlement d’un tor

lors de phases d’englacement (Phillips et al., 2006).

Au stade 1, le tor n’est pas encore modifié par la dénudation glaciaire et comporte : 1. L’élargissement et l’altération des diaclases (exfoliation joints) et l’émoussage des blocs ; 2. Racine d’altération sur

surfaces horizontales (vasque…) ; 3. Racine

d’altération sur surface verticale (cannelure issue du ruissellement…) ; 4. Blocs perchés ; 5. Blocs éboulés ; 6. Arènes présente au pied du tor.

Au stade 2, le tor est recouvert par de la glace à base thermique froide. Bien que la glace soit collée au substrat, le glacier se déplace par déformation interne dans le sens de la flèche et entraine les blocs détachés dans son mouvement.

Au stade 3, le mouvement de la glace continue de modifier le tor et les éléments sont les suivant : 1. Surfaces non météorisées ne présentant aucune racine d’altération ; 2. Ablation des arènes ; 3. Blocs transportés par la glace ; 4. Préservation locale des surfaces météorisées avec vasques et cannelures ; 5. Présence de blocs erratiques avec ou sans racine d’altération.

Au stade 4, le tor est réduit à l’état de socle résistant tant bien que mal à l’érosion glaciaire sous un régime thermique basal froid.

Au stade 5, le passage de glace à base thermique tempérée érode le tor qui ne représente plus qu’un affleurement du substrat légèrement convexe. 1. Blocs erratiques sur des surfaces ne présentant aucun joint d’exfoliation élargi ou altéré. Absence d’arène sur la face du tor ayant fait face au mouvement du glacier ; 2. Surfaces abrasées ne présentant pas de traces d’altération ; 3. Traces de quarrying sur la face aval du tor ; 4. Traces d’abrasion sur la face amont du tor.

L’abaissement des surfaces paléiques dépend de la nature du substrat qui le compose : surfaces rocheuses à nu comme les tors ou substrat très altéré recouverts d’arènes. La dénudation des tors varie entre 1,1 et 19 mm/ka (Goodfellow, 2007) selon le contexte climatique et d’englacement passé. Les processus de météorisation et de ruissellement sur le long terme génèrent une dénudation potentiellement supérieure à celle produite par la dégradation postglaciaire de surfaces rocheuses polies (0,2-5 mm/ka tous types de roche confondus et ≤ 1 mm/ka pour les roches cristallines ; André, 2002).

Les tors ne représentent qu’une part minime de la surface des plateaux pyrénéens alors que l’essentiel de l’abaissement de ces surfaces est dû aux processus de météorisation produisant les altérites. La production d’altérites - supposée survenir principalement en contexte périglaciaire et non glaciaire – est relativement faible par rapport aux valeurs de dénudation glaciaire et fluviale, et varie au sein d’une étroite fourchette de 10 à 40 mm/ka (Dethier et Lazarus, 2003 ; Phillips et al., 2006 ; Goodfellow, 2007 ; Gunnell et al.,

2013). Il s’agit là d’une dénudation deux à trois fois plus rapide que celle des surfaces rocheuses à nu à travers le monde, toutes conditions climatiques confondues (moy. : ~12 mm/ka, méd. : ~5 mm/ka ; Portenga et Bierman, 2011). Cette différence est à mettre sur le compte de la fragilisation (désagrégation, fissuration…) du substrat des surfaces paléiques, laquelle permet une fragmentation et une altération chimique plus rapide de la roche, puis un transport plus facile de ses débris. L’altération chimique, bien que limitée dans les environnements périglaciaires, semble malgré tout jouer un rôle majeur dans la dénudation des plateaux, notamment au travers de l’infiltration d’eau dans les sédiments meubles lors des fontes saisonnières ou lors d’alternances entre période glaciaires et interglaciaires (Dixon et Thorne, 2005).