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3. Les formes générées par la dénudation glaciaire dans les zones culminantes : les cirques et bassins versants d’altitude

4.2. La dénudation au niveau de la LEG comme chef d’orchestre ?

La capacité des glaciers à éroder en fond de vallée et surtout au niveau de la LEG réside dans leur propension à disposer d’un régime thermique basal tempéré (Yanites and Ehlers, 2012). Ce dernier résulte principalement du climat ambiant et de l’épaisseur de glace. Un climat trop froid et/ou des glaciers trop peu épais auront tendance à générer des régimes thermiques basals froids. Le climat aura ainsi un impact bien plus fort et potentiellement plus défavorable au niveau et au-dessus de la LEG car i) cette dernière est caractérisée par des températures logiquement plus froides que le fond de vallée en raison du gradient thermique et ii) le fond de vallée suppose une épaisseur de glace plus conséquente en raison de l’accumulation depuis les zones culminantes. Or, la dénudation au niveau et au-dessus de la LEG est à l’origine de la formation des cirques d’altitude et contrôle – au travers du travail de sape de la base des murailles par les processus sous- et périglaciaires au niveau de la rimaye – la hauteur et par conséquent l’altitude de la ligne de crêtes (Mitchell and Montgomery, 2006 ; Foster et al., 2008 ; Anders et al., 2010 ; Sanders et al., 2012 ; Mitchell and Humphries, 2015). La dénudation au niveau et au-dessus de la LEG représente de fait le principal contrôle sur l’évolution de l’amplitude du relief en contexte englacé et les conditions climatiques constituent le principal forçage externe à l’origine de la répartition de la dénudation glaciaire. L’évolution de l’amplitude du relief sur le long terme résulte ainsi de l’altitude de la LEG en période glaciaire mais également en période interglaciaire.

4.2.1. Les glaciations restreintes

Une LEG très élevée sur un massif engendre de petites glaciations de cirques. L’évolution de l’altitude du massif et de l’amplitude du relief reste à débattre : soit les glaciations restreintes n’impactent que très peu le relief (Richardson et Holmlund, 1996 ; Evans, 1997 ; Gordon, 2001 ; Sanders et al., 2012) et l’augmentation de son amplitude est le fait des cours d’eau en fond de vallée, ou bien elles sont suffisamment efficaces (Cook and Swift, 2012 ; Seif and Ebrahimi, 2014) pour limiter l’altitude des sommets et l’amplitude évolue selon les impacts respectifs des glaciers et des cours d’eau en fond de vallée (Fig. 1.34).

Lorsque les zones culminantes des massifs correspondent avec l’altitude de la « frost-cracking window » (gamme de températures au sein de laquelle survient le maximum d’efficacité de la gélifraction soit des températures moyennes comprises entre -3 et -8 °C ; l’efficacité de la gélifraction augmente avec le temps d’exposition du substrat à cette gamme de températures ; Anderson, 1998), l’altitude des sommets serait limitée ou atténuée par des processus périglaciaires accrus (phénomène de « frost-buzzsaw » ; Hales and Roering, 2009 ; Delunel et al., 2010 ; Hallet and Roche, 2010). Ce modèle de limitation de l’altitude du relief en période de glaciations restreintes est par ailleurs soutenu par l’hypothèse d’un développement des cirques principalement actif durant ces phases (Fig. 1.2) (Foster et al., 2008 ; Cook and Swift, 2012; Ward et al., 2012 ; Barr and Spagnolo, 2015).

Figure 1.34. Modèles d’équilibre dynamique d’une topographie englacée [extrait de Burbank, 2002]. En haut : cas d’une topographie partiellement englacée comportant des glaciers à base tempérée en aval et des glaciers à base froide dans les zones culminantes. Ces dernières sont peu ou pas érodées par les glaciers à base froide - contribuant à l’élévation des sommets – tandis que l’incision en aval par les glaciers à base tempérée et par les cours d’eau (cas d’une topographie partiellement englacée) accroît le relief. Les sommets finissent par être nivelées lorsque la limite de stabilité lithologique est atteinte et que ces crêtes sont démantelées par mouvements gravitaires. En bas : cas d’une topographie partiellement englacée comportant des glaciers uniquement à base tempérée. Les sommets sont régulièrement sapés et nivelés par l’érosion glaciaire, maintenant un relief constant (sous réserve que l’incision fluviale soit identique).

4.2.2. Les glaciations étendues

Une LEG en position relativement basse – et à plus forte raison si cette situation est effective en période glaciaire et interglaciaire - génère des glaciers à base froide au-dessus de la LEG : les zones culminantes ne sont que très peu dénudées alors les glaciers en fond de vallée – à base tempérée – incisent efficacement la topographie, possiblement à une vitesse supérieure au taux de surrection d’origine tectonique (Fig. 1.35) (Yanites and Ehlers, 2012). Plus la LEG est basse sur un orogène plus la probabilité qu’une importante part du relief soit couverte par des glaciers à base froide est forte. La conjonction d’une LEG basse durant les deux périodes d’un cycle glaciaire aboutit ainsi logiquement à une augmentation de l’amplitude du relief. Une LEG trop haute et le développement de glaciers est simplement impossible. Un positionnement « idéal » de la LEG de telle sorte que l’essentiel du relief est soumis à l’action de glaciers à base tempérée génère une dénudation glaciaire uniformément répartie sur l’ensemble du relief (Fig. 1.35). Les glaciers au niveau de la LEG sont alors en mesure d’appliquer une érosion régressive suffisamment puissante pour niveler la hauteur des crêtes et donc leur altitude (Mitchell and Montgomery, 2006 ; Anders et al., 2010 ; Mitchell and Humphries, 2015). L’évolution de l’amplitude du relief correspond alors à l’état d’équilibre dynamique du « glacial buzzsaw ». Une telle situation de « steady-state » s’observe également lorsque la LEG est relativement basse en période glaciaire mais suffisamment élevée pour générer des glaciers à base tempérée aptes à niveler l’altitude des sommets en période interglaciaire (Fig. 1.35). Ce « glacial buzzsaw » en deux temps s’accorde assez bien avec l’idée de cirques se développant durant les phases de glaciation restreintes/périodes interglaciaire (Cook and Swift, 2012 ; Barr and Spagnolo, 2015).

Figure 1.35 (à gauche). Évolution hypsométrique d’une topographie pour un taux de surrection fixe de 0,84 mm/an montrant l’impact de la LEG (ELA) dans la manière dont la dénudation glaciaire modèle le paysage [extrait de Yanites et Ehlers, 2012]. L’hypsométrie du relief préglaciaire est indiquée par la ligne continue bleue tandis que la ligne continue rouge marque l’hypsométrie après 2 Myr de dénudation glaciaire. (A) Résultats pour une température au niveau de la mer de 2°C en période glaciaire et de 8 °C en période interglaciaire. (B) Résultats pour une température au niveau de la mer de 4°C en période glaciaire et 10 °C en période interglaciaire.

Figure 1.36 (à droite). Effets du climat et de la topographie sur le modèle de répartition de la dénudation glaciaire pour une période d’alternance glaciaire-interglaciaire de 100 ka [extrait de Yanites et Ehlers, 2012]. (A) Les cercles représentent les valeurs modélisées et leur taille dépend de l’importance de la variation de dénudation moyenne dans l’emprise englacée dans les 2 Ma qui suivent le début de l’englacement. Les cercles rouges traduisent une augmentation de la dénudation et les cercles bleus une diminution. Les flèches indiquent le changement d’amplitude du relief pour un modèle donné après 2 Ma d’évolution sous englacement. La zone grisée délimite la fenêtre dans laquelle la dénudation moyenne augmente. Au-dessus de la zone grisée, la dénudation glaciaire tend à diminuer par rapport aux conditions préglaciaires jusqu’à devenir nulle (le climat est trop chaud pour permettre l’existence des glaciers). En dessous de la zone, les glaciers à base froide dominent et inhibent la dénudation. (B) Relief total après 2 Ma d’englacement. Les étoiles noires montrent des cas de massifs réels placés au milieu des valeurs modélisées (AK :

chaîne Alaska, FR : Front Range (Colorado), MK : Massif du Mont Logan (Alaska), Patn-s : Patagonie du nord et du

sud SA : Alpes méridionales (Nouvelle-Zélande), SCM : Chaîne Côtière (Colombie britannique), SE : Chaîne Saint-Elie (Alaska), TA : Chaîne Transantarctique, WA : Alpes occidentales (Europe), étoile rouge : Pyrénées.

4.2.3. Modulations liées au climat et à la tectonique

Cette influence du climat – et notamment de la température - dépend également de l’altitude moyenne et maximale initiale de l’orogène, lesquelles sont fonctions du taux de surrection d’origine tectonique (Brocklehurst et al., 2008 ; Yanites et Ehlers, 2012). Pour un même climat défini par la température moyenne au niveau de la mer, l’altitude relative de la LEG et la part d’un relief soumise à la dénudation glaciaire ne seront pas les mêmes selon que l’orogène soit peu (surrection faible) ou très élevé (surrection forte). De fait, l’établissement de l’un ou l’autre des schémas de dénudation et d’évolution de l’amplitude du relief dépend de la conjonction des paramètres climatiques et topographiques/tectoniques (Fig. 1.36). Au-delà d’un certain seuil de surrection et d’altitude moyenne de l’orogène, seuls des glaciers à base froide se développent, diminuant de fait la dénudation appliquée sur le relief. A l’autre extrémité du spectre, le développement de glaciers est impossible. Concrètement, la gamme de valeurs de surrection et d’altitude du relief permettant l’atteinte de l’état de « glacial buzzsaw » est nettement plus restreint sous les hautes latitudes qu’il ne l’est en contexte tempéré ou tropical (Fig. 1.36) (Yanites and Ehlers, 2012).

De même, la « fenêtre » de « glacial buzzsaw » (Fig. 1.36 : zone grisée) est particulièrement restreinte pour les orogènes peu élevés supposant un taux de surrection faible. En effet, seule une forte incision – en réponse à une forte surrection – peut générer des versants suffisamment élevés pour atteindre la limite de stabilité imposée par la pente et la résistance du substrat rocheux (Burbank, 2002). Le démantèlement de ces versants limite l’altitude des sommets. Ceci explique pourquoi l’essentiel des massifs évoluant selon la théorie du « glacial buzzsaw » est majoritairement situé dans des zones à forte activité tectonique (Brozović et al., 1997 ; Foster et al., 2008 ; Egholm et al., 2009 ; Steer et al., 2012 ; Mitchell and Humphries, 2015). L’actuel et possible très faible taux de surrection (0,10 ± 0,30 mm/an) de l’aire d’étude de cette thèse (Pyrénées centrales et orientales) l’exclue d’ores et déjà d’un contexte de franc « glacial buzzsaw ». Son relief (~3000 m) et la température au niveau de la mer en période interglaciaire (~15°C) tendent à la situer plutôt dans la catégorie des orogènes dont les glaciers de vallée constituent le moteur de l’évolution du relief (Fig. 1.36).