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3. Les formes générées par la dénudation glaciaire dans les zones culminantes : les cirques et bassins versants d’altitude

3.2. Les bassins versants d’altitude

3.2.5. Le contexte paraglaciaire

L’impact des glaciations pléistocènes sur les bassins versants d’altitude s’observe à deux niveaux : i) la création d’une topographie pré-contrainte (« pre-conditioning topography ») dont l’héritage en termes de relief (tendance à l’accroissement de la déclivité des pentes, auges glaciaires, vallées suspendues, cirques…) implique une dénudation qui n’est pas en rapport avec les processus externes actuellement actifs dans un contexte fluvial et déglacé (Fig. 1.30)(Norton et al., 2010) ; et ii) le dépôt de stocks sédimentaires issus de cette dénudation (moraines, cônes fluvio-glaciaires…). Des bassins versants impactés de la sorte constituent des contextes paraglaciaires, dans lesquels les processus érosifs non-glaciaires sont directement conditionnés par l’impact géomorphologique des glaciations antérieures

(Church et Ryder, 1972), que ce soit au niveau de la stabilité des versants ou du stock sédimentaire disponible(Ballantyne, 2002b).

Le relief hérité des périodes glaciaires (l’héritage topographique : « landscape memory ») agit fortement sur l’efficacité et l’occurrence des processus d’érosion actifs en contexte postglaciaire (Champagnac et al., 2014). En effet, l’amplitude du relief et la déclivité des pentes qui en résulte dépendent fortement du schéma de dénudation (exagération ou maintien de l’amplitude du relief préglaciaire) effectif durant les phases d’englacement étendu et de sa durée. Cette pré-contrainte glaciaire a par ailleurs pour conséquence de généralement produire de larges vallées et des pentes proches de la limite de stabilité des versants

(Montgomery, 2002 ; Egholm et al., 2009). Ainsi, les bassins versants dans lesquels l’englacement a eu un fort impact sur le paysage ont tendance à présenter des valeurs de pente plus élevées que ceux où l’englacement a été restreint voire absent, traduisant alors un relief principalement dû aux processus fluviaux (Brocklehurst and Whipple, 2004).

Figure 1.30. Schéma conceptuel illustrant les effets d’une perturbation d’origine externe sur un régime de dénudation, avec mise en jeu des notions de pré-conditionnement (« pre-conditioning topography ») et d’héritage topographique (« landscape memory ») [extrait de Champagnac et al., 2014]. La ligne continue noire représente le taux de dénudation moyen

du bassin versant (Eslope ~Emean), la ligne en pointillés traduit la dénudation de la ligne de crêtes (Etop), et la ligne en tirets indique le taux de dénudation du fond de vallée (Elow). Dans

chaque scenario, la zone ombrée représente le temps de perturbation par un forçage externe. a. Dénudation homogène : la dénudation est spatialement uniforme au cours du temps, puis augmente durant la période de perturbation et enfin décroît jusqu’à sa valeur initiale lorsque cette dernière est terminée. Aucun enregistrement topographique de la perturbation ne subsiste après le retour aux valeurs initiales. b. Augmentation hétérogène de la dénudation : lorsque la dénudation en fond de vallée augmente et celle des zones

faîtière diminue (hypothèse d’une période glaciaire), l’amplitude du relief s’accroît (R* > R0) en même temps que la dénudation moyenne (Eslope* > Eslope0). A la suite de la

perturbation, la dénudation en fond de vallée et sur les lignes de crêtes reprend ses valeurs initiales (Elow0 = Etop1 = Elow0 = Etop0). L’amplitude du relief ayant augmenté (R1 > R0), la

dénudation du bassin versant est plus forte que la dénudation moyenne initiale (Eslope1 > Eslope0). Le relief a gardé en mémoire un héritage topographique (segment doublement fléché).

c. Diminution hétérogène de la dénudation : lors d’une perturbation (blocage du flux par un éboulement ou hausse du niveau marin relatif), la dénudation en fond de vallée diminue

En contexte paraglaciaire, les cours d’eau n’occupent que rarement toute la largeur de la vallée et ne sont par conséquent plus en mesure de contrôler le développement des versants. La dénudation provenant des versants n’est paradoxalement plus soumise à la vitesse d’incision du substrat par les cours d’eau puisque les deux compartiments sont déconnectés contrairement à un contexte fluvial à l’équilibre. L’importante excavation subie par les orogènes englacés au Pléistocène, puis le retrait des glaciers eux-mêmes, peut entraîner en réaction un rebond isostatique dont l’influence perdure lors des périodes interglaciaires

(Montgomery, 2002 ; Wittmann et al., 2007), favorisant ainsi une incision du paysage par les cours d’eau supérieure à celle qu’elle devrait être dans une topographie fluviale non pré-contrainte. Les versants subissent également le phénomène de relaxation des contraintes précédemment appliquées par la glace (« debutressing »), qui survient après la déglaciation (Shakesby et Matthews, 1996 ; Ballantyne, 2002a, 2002b ; Cossart et al., 2008 ;Evans, 2013). Ceci a pour conséquence d’augmenter la dénudation des bassins versants conjointement à l’important remaniement des sédiments issus de l’action glaciaire et périglaciaire (moraines…). L’évacuation de l’ensemble de ces sédiments connaît effectivement son apogée peu après la déglaciation puis le transport de matériel sédimentaire tend à diminuer au cours de la période paraglaciaire selon la granulométrie (les fines sont évacuées bien plus rapidement que les blocs) et la compétence des flux hydriques (Ballantyne, 2002a, 2002b)

jusqu’à atteindre un taux « normal » correspondant à ce qui serait attendu dans un contexte fluvial non précontraint : l’atteinte de ce point signe la fin de la période paraglaciaire (Fig. 1.31) (Church et Ryder, 1972).

Figure 1.31. Graphe théorique reproduisant l’évolution du taux d’évacuation des sédiments d’origine glaciaire en fonction du temps [extrait de Church et Ryder, 1972].

Les formes d’érosion et dépôts d’origine glaciaire présents dans un environnement paraglaciaire constituent en outre des éléments complexifiant la connectivité du réseau hydrographique. Les formes de surcreusement topographique par la glace représentent des zones de rétention des sédiments (Ballantyne, 2002b ; Cossart et al., 2013). C’est notamment le cas des ombilics glaciaires – lesquels sont généralement occupés par un lac – dans lesquels les sédiments peuvent rester piégés sur de très longues durées. A ce titre, nombre de cirques alpins présents dans les bassins versants d’altitude disposent de stocks sédimentaires ne participant pas au budget sédimentaire à l’exutoire. Les dépôts d’origine glaciaires jouent un rôle plus ambivalent. Ils constituent des stocks sédimentaires généralement meubles et donc aisément transportables par les processus d’érosion mais également des zones de stockage dans lesquelles le matériel sédimentaire connaît un temps de résidence plus ou moins long

(Cossart et al., 2013 ; Heckmann et Schwanghart, 2013). Ainsi, des structures telles que les moraines peuvent d’une part bloquer le transport de sédiments provenant de l’amont et être elles-mêmes soumises à une éluviation des fines s’opérant relativement rapidement (35-70 ans ; Tabl. 1.2) (Ballantyne, 2002a). En revanche, les gros blocs restent sur place et peuvent persister le temps qu’ils soient réduits à des granulométries suffisamment fines pour être érodables par les flux hydriques (Ballantyne, 2002a).

D’autres formations peuvent résulter non pas de l’action des glaciers à proprement parler mais être produites en réaction au retrait de derniers. C’est notamment le cas des cônes de débris – dont le développement en pied de versants peut s’étaler sur plusieurs milliers d’années (Tabl. 1.2) - et qui constituent des zones-tampons dans lesquelles les sédiments provenant des versants se retrouvent temporairement stockés (Ballantyne, 2002b) et ne peuvent rejoindre le réseau hydrographique chenalisé (Fryirs et al., 2007). L’essentiel des versants d’une vallée glaciaire et/ou de montagne peut disposer de talus de pied de pente dans lesquels les sédiments s’accumulent temporairement, ne contribuant finalement que très peu au budget sédimentaire moyen du bassin versant (Heckmann and Schwanghart, 2013).

Tableau 1.2. Taux de perte en sédiments disponibles (λ) et durées de leur évacuation (SQOI) de différents types de formations sédimentaires en contexte paraglaciaire [extrait de Ballantyne, 2002b].

4. Les possibilités d’évolution d’un relief englacé

Si les paragraphes précédents décrivaient les processus de dénudation (en particulier glaciaires) dans leur lieu d’expression (glaciers, zones culminantes, cirques, bassins versants), ce paragraphe les abordent d’un point de vue plus théorique et se concentre sur l’impact qu’ils ont eu à l’échelle des orogènes et sur le relief au cours du Quaternaire. Cette période marque effectivement l’avènement d’un climat notablement plus froid que durant les époques géologiques précédentes qui a entrainé le développement de glaciers et calottes glaciaires sur une surface considérable à l’échelle globale (30% de la surface terrestre lors du LGM). Les plus hautes latitudes ainsi que les zones de montagnes ont été directement impactées par ce changement climatique, au travers de la dénudation glaciaire (Herman et al., 2013). Ce paragraphe vise à comprendre selon quelles modalités les glaciers ont pu modifier l’amplitude du relief et éventuellement en contrôler l’altitude, autant de notions qui persisteront en filigrane dans l’ensemble des chapitres d’analyses.

La répartition de la dénudation au sein du relief en contexte englacé semble être généralement bimodale puisque les maxima de dénudation sont situés au niveau de la ligne d’équilibre (permettant le développement des cirques et vallées suspendues) et en fond de vallées (générant l’approfondissement de ces dernières) (Herman et al., 2011, 2013). Si la dénudation en fond de vallée produit généralement de l’incision, c’est la dénudation au niveau et au-dessus de la LEG qui contrôle l’altitude des sommets. L’évolution du relief au cours du Quaternaire est ainsi fortement soumise à la différence ou similarité d’intensité de dénudation existant entre la LEG et le fond de vallée (Yanites and Ehlers, 2012). Le rapport de force entre ces deux niveaux de dénudation résulte principalement de l’interaction complexe de paramètres climatiques et tectoniques et dans une moindre mesure lithologiques (Yanites and Ehlers, 2012). Dans le cas d’une dénudation avantageant le fond de vallée (répartition non uniforme de la dénudation) avec des zones faîtières relativement protégés par un régime thermique basal froid et donc peu dénudées (Burbank, 2002 ; Fabel et al., 2002 ; Herman and Braun, 2008 ; Kleman, 2008), l’amplitude du relief tend à augmenter. Une dénudation suffisamment efficace au niveau de la LEG – égalant celle active en fond de vallée – semble néanmoins être en mesure de limiter efficacement l’altitude des crêtes de telles sorte que l’amplitude du relief reste constante, il s’agit là du concept de « glacial buzzsaw » (Mitchell and Montgomery, 2006 ; Anders et al., 2010 ; Mitchell and Humphries, 2015).