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Les cuprates : Mise en contexte

1.4 Les sc´ enarios

Le pseudogap, dans son lien avec l’explication de la supraconductivit´e, peut ˆetre vu sous deux angles ; une phase pr´ecurseur `a la supraconductivit´e, ou une phase en comp´etition avec la supraconductivit´e. Ces deux familles de sc´enarios sont sch´ematis´ees

`

a la Figure1.14. Voyons superficiellement ces deux approches.

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1.4.1 Phase pr´ ecurseur

La premi`ere famille de sc´enarios (Fig. 1.14 a) prend comme point de d´epart l’isolant de Mott. Dans ce sc´enario, la phase pseudogap est per¸cue comme un pr´ecurseur `a la su-praconductivit´e, o`u l’appariement s’effectue sans coh´erence de phase `a longue port´ee [38].

Dans le sc´enario pr´ecurseur, le pseudogap et sa temp´eratureT? repr´esentent des valeurs champ moyen du gap supraconducteur et deTc. Le diagramme de phase est ainsi divis´e en quatre r´egions d´elimit´ees par deux lignes de “crossover”, et non des transitions de phase thermodynamiques. La ligne du pseudogap T?, ´elev´ee `a dopage nul, d´ecroˆıt lorsque le dopage augmente, tandis que la ligne Tcoh, nulle `a dopage nul, augmente avec le dopage.

La r´egion `a faible dopage sous T? correspond `a une r´egion o`u des singulets de spin se forment. `A cause de la faible densit´e de trous, ceux-ci, d´elocalis´es sur les sites d’oxyg`ene, forment des singulets (de Zhang-Rice) afin d’abaisser leur ´energie et de se d´eplacer dans le r´eseau [96]. `A l’oppos´e, la r´egion `a fort dopage sous Tcoh correspond `a une r´egion o`u les trous (porteurs) obtiennent une coh´erence de phase `a longue port´ee. Dans cette r´egion, en l’absence de paire mais en pr´esence de coh´erence, on trouve le liquide de Fermi. Dans la r´egion interm´ediaire, au-dessus de ces deux lignes, il n’y a ni paires, ni coh´erence, ce qui donne la phase de “m´etal ´etrange”. Toutefois, dans la r´egion interm´ediaire sous ces deux lignes, les paires avec coh´erence font apparaˆıtre la supraconductivit´e.

Notons que le mod`ele t−J, avec la condensation de paires de spinons (sous T?) et de holons (sous Tcoh) fait partie de cette famille de sc´enarios (voir revue de la r´ef. [6]).

La comp´etition ´energ´etique entre la formation d’un singulet de spin, qui correspond `a l’´energie de super´echange J (voir Section 1.2.1), et l’´energie cin´etique des trous dop´es

∼ tx (avec t l’´energie de saut et x le dopage) explique le diagramme de phase dans ce mod`ele et la destruction de l’antiferromagn´etisme lorsque t gagne sur J `a cause du nombre trop grand de trous. Le mod`ele RVB (resonating valence bond) entre aussi dans cette famille de sc´enarios [97].

Dans le sc´enario pr´ecurseur les fluctuations de phase, dans le pseudogap entre T? et Tcoh, empˆechent les paires pr´eform´ees de devenir supraconductrices. Les fluctuations de phase semblent effectivement ˆetre significatives dans les cuprates `a cause de leur caract`ere quasi-2D, de leur faible densit´e de porteurs (superfluide) et leur courte longueur de coh´ e-rence. La Section4.1 discute de cette vision et d’une de ses justifications exp´erimentales.

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1.4.2 Phase en comp´ etition

L’autre famille de sc´enarios expliquant le pseudogap et l’origine de la supraconduc-tivit´e repose sur une comp´etition entre ces deux phases distinctes (Fig. 1.14 b). Dans cette vision, le pseudogap est un autre ´etat ordonn´e, dont la transition de phase est T?, ind´ependant de la supraconductivit´e, qui comp´etitionne et jusqu’`a un certain point co-existe avec ce dernier. En fait, le pseudogap et le gap supraconducteur comp´etitionnent pour la mˆeme surface de Fermi, faisant en sorte que l’un diminue lorsque l’autre aug-mente. Le dopage o`u cette transition de phase T? disparaˆıt constitue un point critique quantique x? et la r´egion qui ´emane de ce point forme un r´egime de criticalit´e quan-tique d´elimit´e de l’autre cˆot´e par une ligne de coh´erence Tcoh s´eparant ce r´egime critique (“m´etal ´etrange”) de la r´egion de d´esordre quantique (liquide de Fermi). Une instabilit´e supraconductrice ´emerge ainsi autour du point critique quantique `a la mani`ere, comme mentionn´e plus haut, du diagramme de phase des fermions lourds [33,34], des supra-conducteurs organiques [35] et des suprasupra-conducteurs `a base de fer [36]. Dans ces trois classes de syst`emes, les fluctuations de spin antiferromagn´etiques seraient responsables de l’appariement supraconducteur.

Plusieurs th´eories faisant partie de cette famille de sc´enarios tentent d’expliquer l’ori-gine de cette phase ordonn´ee. Mentionnons l’ordre d’onde de densit´e-d(DDW) [98], l’ordre magn´etique local ´emergeant de courants orbitaux [99] ainsi que les ordres d’onde de den-sit´e de spin et de charge [100,101].

Il existe plusieurs preuves exp´erimentales d’ordres de charge et magn´etique dans la r´egion sous-dop´ee des cuprates (voir Section 1.3) qui pourraient ˆetre des candidats `a l’ordre du pseudogap, mais la question demeure `a savoir s’il s’agit r´eellement de la nature du pseudogap ou si ces ordres sont des effets “parasites” au pseudogap.

Toutefois, plusieurs preuves pointent vers la pr´esence d’un point critique quantique

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a l’int´erieur du dˆome supraconducteur. Par exemple, l’´etude du diagramme de phase de La1.6−xNd0.4SrxCuO4 montre un dopage critique `ax= 0.24 par des signatures non-liquide de Fermi ; une r´esistivit´e lin´eaire de T ∼ 100 K jusque dans la limite T → 0 [102] ainsi qu’une d´ependance logarithmique du pouvoir thermo´electrique S / T ∝ ln(1/ T) [103].

Ce point critique serait associ´e `a l’ordre de rayures qui semble disparaˆıtre `a p= 0.235± 0.005 [104]. L’absence de mesure montrant une divergence d’une longueur de corr´elation

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0.0 0.1 0.2 0.3

0 100 200

Temperature ( K )

SC T

c

T*

AF

Metal CO

PG

Concentration de trou, p

T

coh

Figure 1.15 – Diagrammes de phase g´en´erique des cuprates dop´es en trous r´esumant certaines observations de ce chapitre. La figure est une gracieuset´e de Nicolas Doiron-Leyraud.

au dopage critique n’exclut toutefois pas l’existence d’une transition du premier ordre.

Notons que les mesures d’oscillations quantiques sur Tl-2201 [14] d´etectent une grande surface de Fermi `a un dopage o`u la supraconductivit´e existe encore. Cela implique qu’il y a n´ecessairement un point critique `a l’int´erieur du dˆome SC. En consid´erant que ce point critique est associ´e `a l’extinction de la phase pseudogap, il devient difficile d’associer cette phase `a un ´etat pr´ecurseur `a la supraconductivit´e.