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Les savoirs d'expériences : véritables savoirs enseignables ?

2. CADRE ET PERSPECTIVES THÉORIQUES

2.2. P ARTICULARITÉS DE LA RELATION THÉORIE PRATIQUE DANS LA

2.2.5. Les savoirs d'expériences : véritables savoirs enseignables ?

enseignants de terrain, même s'ils le sont de moins en moins. Nous retrouvons aussi beaucoup d'enseignants qui ont obtenu soit le CAPEPS, soit l'agrégation d’EPS mais qui n'ont jamais enseigné face aux élèves du secondaire ou très peu. De fait, leur expérience intervient inexorablement dans leurs discours face aux étudiants en formation. Dès lors, quelle place est-elle donnée consciemment ou non à leur vécu « d’anciens » praticiens ?

2.2.5.1. La formation expérientielle : quels attributs, quels avantages ?

Différents courants s’inscrivent dans ce que l’on appelle la « formation expérientielle ». Quelles sont les caractéristiques d’une telle formation expérientielle ?

En premier lieu, l’expérience est englobante, c’est un processus qui implique toutes les dimensions de la personne (affective, rationnelle, corporelle qui sont toujours étroitement mêlées). La personne en formation va se donner comme « massive », pleine de sa réalité, porteuse de tout son vécu, peu distanciée de tout son monde.

L’expérience articule par ailleurs continuité et rupture, capitalisation de l’acquis et épreuve de la nouveauté, destruction du vécu immédiat et réélaboration réflexive, résistance aux prises de conscience et ouverture vers des incertitudes. Ensuite, la formation expérientielle s’oppose à la formation institutionnelle, dans la mesure où celle-ci semble séparer l’apprentissage de l’expérience, faire précéder l’expérience (le stage pratique) par ce qui se présente comme un apprentissage, une préparation (les cours théoriques), quitte à vouloir ensuite « reprendre l’expérience dans un nouvel apprentissage ».

En même temps, cette notion « d’expérience » est ambiguë car elle renvoie aussi bien à l’expérimental qu’à l’expérientiel. Le premier fonctionne sur le paradigme de l’expérimentation scientifique, le second sur le paradigme herméneutique qui lui, relève d’une quête du sens. La structure actuelle de la formation s’inscrit dans le paradigme expérimental (savoir-appliquer-contrôler), parce que le courant dominant de l’Éducation Nouvelle était de cet ordre.

Ces étudiants en formation ont besoin d’acquérir ce qu’ils n’ont pas, à savoir « de l’expérience ». L’expérience étant entendue comme la connaissance acquise par l’épreuve personnelle que l’on fait des choses de l’éducation. La spécificité d’une formation pédagogique initiale devrait plutôt réfléchir à ce que l’on a fait et qu’à ce que l’on va faire, ou à ce que l’on doit faire.

En pédagogie, l’expérience est première, même pour un débutant, voire surtout pour un débutant. Sera donc utile et moteur tout ce qui suscite chez un apprenti de l’expérience. Le savoir-faire se construit sous trois angles, même si l'essentiel reste le savoir-faire lui-même car c'est l'acte premier, visible face aux élèves :

- Un savoir du savoir-faire : « dans telle situation, je m’y suis pris comme cela et ça a donné telle chose ».

- Un savoir pour le savoir-faire (telle expérience faite dans telle circonstance peut être transposable dans un autre contexte).

- Un savoir à partir du savoir-faire (savoir qui renvoie à cette réflexion et cette théorisation propre à l'articulation théorie / pratique en pédagogie).

À partir de là, l’expérience serait donc à la fois un préalable, un moyen et un but en formation initiale. Or, les étudiants qui arrivent en master CAPEPS, à part les stages durant leurs années de licence, n’ont que peu d’expériences pratiques, à part ceux qui encadrent dans une association sportive.

Nous nous demandons si les savoirs d’actions, professionnels (savoirs pratiques) sont de véritables savoirs. En effet, l’espace du travail et de la vie quotidienne privilégie la mobilisation des savoirs. Ainsi, sont favorisées l’émergence, la communication et la mobilisation dans cet espace même de savoirs d’expérience : savoirs professionnels, savoirs d’actions. Dès lors, ces savoirs d’expériences (savoirs professionnels et savoirs d’actions) sont de vrais savoirs dans la mesure où ils ont

subi, précisément, la mise à l’épreuve de l’expérience. Sans doute, leur communication ne prend-elle pas systématiquement la forme d’un enseignement et leur formation ne s’élève-t-elle guère au niveau de ce qui serait un modèle universel (Grize, 1996, p. 124). Mais dès qu’ils ont subi l’épreuve de la rupture fondatrice, ce sont des savoirs.

2.2.5.2. La formalisation des savoirs d'expérience est-elle possible ?

La formalisation de ces savoirs d’expériences pour les enseigner à de futurs enseignants est-elle envisageable ? Ces savoirs ne s’acquièrent-ils pas, justement, par une expérience, un vécu selon une temporalité différente certes, mais un vécu avec des élèves ? Les étudiants doivent-ils nécessairement passer par des étapes de transformation ?

Il semble que la temporalité (préparation au concours, notamment pour ce qui concerne les épreuves écrites) dans laquelle se trouve l’étudiant ainsi que l’organisation universitaire de son cursus STAPS (malgré la présence de stages en établissement) l’empêcherait, même s’il possède certaines responsabilités d’encadrement au sein d’un club ou d’une association sportive, de se projeter ou de donner du sens à des savoirs qui se caractérisent par une confrontation aux réalités, aux surprises que réserve le terrain.

Néanmoins, des travaux montrent que la familiarité avec une discipline (les étudiants en master CAPEPS qui fréquentent les établissements scolaires dès les années de licence, à travers des stages) permet aux enseignants novices de faire preuve de « moment d'expertise » (Adé et coll., 2005). Ce qui voudrait dire qu’un savoir, même d’expérience, n’est jamais mobilisable directement dans une pratique ; mais n’est-ce pas alors proposer une vision des savoirs trop abstraite, intellectualiste ou discursive ?

Cette difficulté est par ailleurs accrue par le caractère contingent de la situation d'enseignement qui est évolutive, non renouvelable et parfois erratique, mais aussi de par la personnalité propre et singulière de l'étudiant (vécu, expériences, émotions, envies, joies, peurs, haines, intérêts, projets), car les savoirs pour l'action (savoirs pratiques) sont difficilement généralisables pour être utilisés par chacun. Bourdieu, empruntant lui-même le concept d'habitus à Aristote en passant par

Thomas d'Aquin, fournit à Perrenoud, dans son « travail sur l'habitus dans la formation des enseignants » (Paquay, 1996), une clef pour comprendre toute action pédagogique (p. 185). « Cet ensemble de schèmes de perception, d'évaluation, de pensées et d'actions qui s'appliquent en situation pédagogique d’urgence est largement inconscient (et) se forme pour une part dès l'enfance, en famille, puis durant la scolarité, pour une part sur le tas face à des situations comparables » (p. 186).

Dès lors, l’apprentissage expérientiel suppose un rapport aux savoirs (il existe différents types de savoirs plus ou moins formalisés et formalisables suivant le contexte dans lequel est menée la recherche) qui engage la subjectivité d’un sujet humain (ici l’étudiant) qui s’ancre dans des activités signifiantes, qui ont un sens à ses yeux. L’apprentissage expérientiel mobilise une réflexivité qui donne sens à une pratique reconnue comme réussie. Le savoir en acte qui naît de l’activité et de l’expérience met en scène l’efficience sociale, la compétence, la métacognition et la socio-cognition (Bruner, 2000).

C'est pourquoi, la prise en compte de cette dimension expérientielle du travail selon une perspective idiosyncrasique, ne peut faire l'objet d'une généralisation. Le travail enseignant devient alors une action située, c’est-à-dire une activité complexe dont le but est l’adaptation à une situation ou un contexte.