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Les recherches menées auprès d’apprentis-lecteurs dysphasiques

2. CADRE THÉORIQUE

2.4 Les recherches empiriques portant sur le rôle des connaissances morphologiques dans le

2.4.3 Les recherches menées auprès d’apprentis-lecteurs dysphasiques

Très peu de recherches ont porté sur l’évaluation des connaissances morphologiques dérivationnelles d’élèves dysphasiques. Nous présentons ici le résumé des deux seules recherches que nous avons recensées, soit celles de Sanchez, Écalle et Magnan (2008) et Kirk et Gillon (2007).

L’étude de Sanchez, Écalle et Magnan (2008) a été menée dans le but de caractériser les déficits phonologiques et morphologiques des apprentis-lecteurs dysphasiques en comparant un groupe de 16 enfants dysphasiques d’âge lexique moyen de 6,9 ans mais d’âge chronologique de 7,8 ans à un groupe d’enfant au développement normal de même âge

lexique, mais d’âge chronologique moyen de 6,7 ans. La passation des tâches a été réalisée en fin d’année scolaire, et ce, de manière exclusivement orale23, à domicile pour les enfants dysphasiques et à l’école pour les normo-lecteurs. L’ensemble des tâches, au nombre de huit, comportait trois tâches phonologiques (détection d’intrus, extraction d’unités phonologiques et inversion d’unités phonologiques) et cinq tâches morphologiques. Pour les tâches morphologiques, les auteurs se sont assurés que leurs items soient tous transparents (cela a été justifié par les auteurs en raison du jeune âge des élèves). Ils ont également contrôlé la fréquence des affixes et ont employé des mots préfixés et suffixés. La première tâche morphologique administrée aux participants était une tâche de plausibilité lexicale (items n=16) qui exigeait de l’enfant qu’il choisisse lequel, dans une paire de mots formée d’un mot possible et d’un pseudo-mot, est le plus probable en français (ex : resavoir ou rebanoir). La deuxième tâche, soit une tâche de jugement de relation, était aussi formée de 16 paires d’items. Confrontés à chacune des paires, les participants devaient identifier si les deux mots faisaient ou non partie de la même famille de mots (ex : marron-marre* ou danseur- danse). Ensuite, une tâche de catégorisation morphémique (items N=6) était proposée aux élèves qui devaient choisir, parmi trois mots, lequel ressemblait le plus à un mot cible présenté (ex : mot cible colle mots proposés collage, colonne, scotch (i.e. ruban adhésif)). La tâche d’extraction de la base impliquait d’écouter un mot contenant deux morphèmes prononcés par l’expérimentateur et d’en extraire la base (ex : chasseur, réponse attendue : chasse). Finalement, la tâche de construction de dérivés concluait les tâches de nature morphologique. Il était alors demandé aux sujets de construire un mot-dérivé (n=12) en joignant deux morphèmes ensemble. Ces derniers étaient proposés par l’expérimentateur (p. ex : découper et -age, ça donne quel mot de la même famille que découper?). Essentiellement, les résultats de Sanchez, Écalle et Magnan (2008) ont permis de relever que pour quatre des cinq épreuves

23Il est toutefois important de noter que des adaptations ont été fournies aux élèves dysphasiques. La passation n’était donc pas uniforme pour tous les participants. Premièrement, les expérimentateurs s’assuraient que chaque mot présenté était bien compris par l’enfant. Pour ce faire, ils demandaient à l’enfant de donner une définition du mot, ou encore de l’employer dans un contexte de phrase. Deuxièmement, la consigne pour la tâche de catégorisation morphémique a été reformulée. L’expérimentateur demandait explicitement à l’enfant ceci : Quel est le mot de la même famille que colle : collage, colonne ou scotch? Est-ce que collage, c’est de la même famille que colle? et ainsi de suite pour l’ensemble des choix. Troisièmement, pour la tache de construction de mots dérivés, l’enfant s’est vu offrir la première syllabe (ou les deux premières pour les mots plurisyllabiques) du mot

morphologiques administrées et pour l’ensemble des tâche phonologiques, les élèves dysphasiques ont obtenu des scores inférieurs à leurs pairs ayant un développement langagier normal. En morphologie, la seule tâche qui ait été mieux réussie est celle de jugement de relation. Cette différence peut s’expliquer, selon les auteurs, par le fait que cette tâche fait uniquement appel à la composante sémantique de la relation morphologique. À l’exception de la tâche d’extraction de la base qui n’a pas montré de différence significative entre les groupes, le taux de réussite des élèves sans trouble langagier est nettement supérieur. Par exemple, pour la tâche de catégorisation morphémique, les scores obtenus sont de 74 % pour les normo-lecteurs et 54,2 % pour les dysphasiques. Pour la tâche de plausibilité, le taux de réussite des normo-lecteurs était de 80,1% comparé au score des dysphasiques qui était de 69,5%. La plus grande différence de réussite concerne la tâche de construction de mots- dérivés, qui a donné lieu à un score de 58,3 % pour les normo-lecteurs et de 25 % pour les dysphasiques. En terminant, les auteurs soulignent que peu importe le domaine de la langue (phonologique ou morphologique) sollicité par les tâches, les sujets dysphasiques sont plus sensibles que les élèves au développement langagier normal aux contraintes liées à la tâche, c’est-à-dire qu’ils ont davantage de difficulté à réussir les tâches lorsque celles-ci demandent l’activation simultanée de plusieurs processus mentaux. Par exemple, bien que la tâche de jugement de relation et la tâche de catégorisation morphémique soient toutes deux des tâches en lien avec la composante réceptive du traitement morphologique, la première, qui fait appel à une composante sémantique uniquement, est beaucoup mieux réussie par les dysphasiques (81,3 %) que la tâche de catégorisation morphémique (54,2 %), qui nécessite la prise en compte de l’information sémantique et phonologique. Chez les élèves sans troubles de langage, on n’observe pratiquement pas de différence de scores pour ces deux tâches (avec, respectivement, un pourcentage de réussite de 75,8 % et de 74 %).

En Nouvelle-Zélande, Kirk et Gillon (2007) ont également mis en relation les connaissances morphologiques et les connaissances phonologiques de 17 élèves dysphasiques (âge moyen de 8,5 ans) en comparaison avec un groupe de vingt-quatre élèves sans difficulté d’apprentissage (âge moyen de 8,7 ans), tous ayant l’anglais comme langue première. Des 17 élèves dysphasiques, 8 ont reçu des interventions phonologiques et orthophoniques au préscolaire et au début du primaire, alors que les neuf autres n’ont pas eu d’interventions phonologiques

particulières au préscolaire, mais bénéficiaient d’un suivi orthophonique pour leur expression orale. L’objectif de ces auteurs était de vérifier comment le développement des connaissances morphologiques dérivationnelles peut être influencé par différentes interventions menées au préscolaire en lien avec un entrainement en conscience phonologique. Afin d’atteindre cet objectif, Kirk et Gillon ont administré deux tâches morphologiques, l’une requérant une réponse écrite et l’autre une réponse orale. Dans la première tâche, il était demandé aux participants d’orthographier des mots à partir d’une base et de son dérivé dictés oralement par l’expérimentateur (enjoy-enjoyment). Chaque item était présenté une fois seul, puis en contexte de phrase, puis à nouveau seul, toujours oralement. La deuxième tâche soumise aux sujets demandait d’extraire la base d’un mot prononcé oralement par l’expérimentateur (par exemple : Is there a smaller word at the beginning of dangerous?). En cas d’une réponse affirmative, le sujet devait dire à haute voix le plus petit mot (danger) et dire si, oui ou non, un lien de sens unissait la base et le mot prononcé par l’expérimentateur (danger-dangerous). Un contrôle des items pour obtenir des conditions égales d’opacité et de transparence a été effectué pour les deux tâches. À la suite de la première tâche, les résultats obtenus à une ANOVA ont permis aux chercheurs de constater un effet significatif des groupes en ce qui concerne la précision ainsi que la conscience morphologique lors de l’écriture de mots complexes. Une analyse post-hoc a toutefois permis de montrer que les moyennes des groupes 1 (dysphasiques ayant reçu un traitement) et 3 (normo-lecteurs) ne différaient pas (p= 0,87) et que ces deux groupes performaient mieux que les sujets du groupe 2 (dysphasiques n’ayant pas reçu de traitement). Pour ce qui est de la tâche d’extraction de la base, une MANOVA a permis de montrer que les bases des mots dérivés transparents ont été mieux extraites que celles des mots opaques. Toutefois, aucune différence significative n’a été relevée entre les performances de chacun des groupes. À ces résultats, Kirk et Gillon (2007) suggèrent que les connaissances morphologiques à l’oral des jeunes dysphasiques, mais aussi des normo-lecteurs, seraient plus développées que leur habileté à utiliser ces mêmes connaissances lors de l’écriture de mots morphologiquement complexes. De plus, leurs résultats suggèrent que l’intervention précoce en conscience phonologique aide les jeunes ayant un trouble du langage à être plus habiles en reconnaissance des mots et lors de l’écriture de mots morphologiquement complexes. Pour terminer, les auteurs mentionnent que les bons

que les lecteurs en difficulté profiteraient d’un enseignement explicite afin d’arriver à un niveau similaire de compétence.

En somme, les recherches de Sanchez, Écalle et Magnan (2008) et de Kirk et Gillon (2007) ont permis de fournir des informations sur le niveau de conscience morphologique des jeunes dysphasiques. Par contre, elles ne nous ont pas permis de comprendre la relation entre celle-ci et l’apprentissage de la lecture. On retient toutefois qu’un entrainement des habiletés phonologiques et un suivi orthophonique dès le préscolaire permettraient aux jeunes apprentis- lecteurs de développer une meilleure conscience phonologique, ce qui pourrait contribuer au développement de la conscience morphologique.

La question de recherche qui sous-tend notre étude porte sur la relation entre la reconnaissance des mots et les connaissances morphologiques dérivationnelles d’apprenants dysphasiques en début d’apprentissage de la lecture. C’est pourquoi nous avons présenté, dans cette deuxième partie du cadre théorique, des études s’étant intéressées à cette relation auprès d’élèves avec ou sans difficulté d’apprentissage. La prochaine sous-section permettra de mettre en commun l’ensemble des études présentées et d’en dégager les principaux constats afin d’orienter nos objectifs de recherche et notre méthodologie.