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Chapitre 1 : Etude bibliographique

1.4. L’organocatalyse : « La troisième branche de la catalyse »

1.4.3. Les réactions organocatalysées en milieu aqueux

En introduction à ce paragraphe, il convient de clarifier le vocabulaire utilisé pour décrire les réactions qui se déroulent en milieu aqueux. En effet, avec le développement de l’organocatalyse dans l’eau, des discussions ont été entamées pour déterminer quelle terminologie utiliser. En anglais, des différences ont été apportées selon le terme : « on water », « in water » ou « in the presence of water ».

En 2005, K. Sharpless définit le terme « on water » pour des réactions agitées dans lesquelles, bien que les composés ne soient pas solubles dans l’eau, l’agitation permet une accélération de la vitesse de la réaction ou une meilleure sélectivité comparativement à la même réaction en solvant organique.61,62

60 M. Raj et V. Singh, Chem. Comm., 2009, 6687.

61 S. Narayan, J. Muldoon, M. Finn, V. Fokin, H. Kolb et K. Sharpless, Angew. Chem. Int. Ed., 2005, 44, 3275. 62 A. Chanda et V. Folkin, Chem. Rev., 2009, 109, 725.

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En 2006, Y. Hayashi s’est posé la question de la différence entre « in water » et « in the presence of water ».63 Il propose alors de différencier ces termes en utilisant le terme « in

water » pour des réactions se déroulant uniquement dans l’eau et pour lesquelles tous les composés sont dissous en une seule phase homogène.

Le terme « in the presence of water » sera quant à lui utilisé pour des réactions pour lesquelles les composés sont dissous dans une phase organique et l’eau, présente dans une seconde phase, a une influence sur la réaction se déroulant dans la phase organique. De ce fait, les réactions « on water » sont un cas particulier des réactions « in the presence of water ».

Avec la définition de ces trois termes, il n’y a donc que très peu de réactions organocatalysées qui se déroulent selon la terminologie « in water » à cause des problèmes de solubilité totale des composés organiques dans l’eau.64,65

Une dernière définition est donnée par M. Raj et V. Singh où il est proposé de mettre en commun les précédentes définitions de « on water » et « in water » pour ne parler que de réactions « in water » lorsque la réaction se déroule dans l’eau, sans ajout de solvant organique et indifféremment du fait qu’elle soit réalisée en milieu homogène ou hétérogène.60

C’est cette définition qui sera utilisée dans cette thèse lorsqu’il sera mentionné le terme de « réaction dans l’eau ».

Par la suite, seules les réactions organocatalysées dans l’eau pour la formation de liaisons C-C asymétriques seront abordées. En effet ce sont des réactions importantes en chimie organique et classiquement réalisées en laboratoire. Le premier exemple va porter sur la réaction d’aldolisation qui est la principale réaction pour la formation de fonctions de

β‑hydroxycarbonyles.66

Après son utilisation pour la réaction de Hajos-Parrish, la L-Proline a été de nouveau utilisée pour la première fois comme organocatalyseur dans des réactions d’aldolisation par B. List et al. (Figure 14).67

63 Y. Hayashi, Angew. Chem. Int. Ed., 2006, 45, 8103.

64 S. Aratke, T. Itoh, T. Okano, T. Usui, M. Shoji et Y. Hayashi, Chem. Commun., 2007, 2524. 65 M. Gruttadauria, Adv. Synth. Catal., 2009, 351, 33.

66 K. Bhowmick et T. Chanda, Assymetric Organocatalysis in aqueous media, John Wiley & Sons Ltd., 2018. 67 B. List, R. Lerner et C. Barbas III, J. Am. Chem. Soc., 2000, 122, 2395.

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Figure 14 : Réaction d'aldolisation avec la L-Proline dans le DMSO67

Par la suite, P. Pihko et al. ont repris cette réaction dans le DMF (Figure 15) et ils ont remarqué que l’ajout d’une certaine quantité d’eau dans le DMF améliore le rendement et la stéréosélectivité de la réaction (Tableau 1). 68,69

Figure 15 : Réaction d'aldolisation entre l'acétone et le p-nitrobenzaldehyde dans le DMF68

Entrée Temps (jours) Eau ajoutée (équiv.) Rendement (%) ee (%) 1 6 0 10 58 2 3 0,5 20 65 3 3 1 24 69 4 3 2 27 68 5 3 3 32 69 6 3 5 41 66 7 3 10 78 47 8 3 15 52 47

Tableau 1 : Résultats en fonction de la quantité d'eau ajoutée68

Cependant, il semble y avoir un maximum de rendement qui correspond à l’entrée 7 du Tableau 1 pour 10 équivalents d’eau ; au-delà, le rendement commence à chuter. D’autres tests ont montré que lorsque la proline est utilisée comme organocatalyseur dans l’eau pure,

68 A. Nyberg, A. Usano et P. Pihko, Synlett, 2004, 11, 1891.

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les résultats sont médiocres,65,70 en effet, au-delà d’une certaine quantité, l’eau a pour effet de baisser la nucléophilie de la proline.71

Néanmoins, il a été remarqué que certains dérivés de la proline ne se comportent pas de la même manière et permettent de réaliser des réactions d’aldolisation dans l’eau. Ces dérivés peuvent être classés en trois groupes (Figure 16).

Figure 16 : Principaux types des dérivés de la proline65

Le groupe I rassemble les dérivés fonctionnalisés au niveau du groupement hydroxyle de la 4-hydroxyproline ; le groupe II réunit les dérivés fonctionnalisés au niveau du groupement amide de la prolinamide ; enfin le groupe III, qui peut être considéré comme une combinaison des deux premiers groupes, centralise les dérivés fonctionnalisés à la fois au niveau du groupement hydroxyle et aussi au niveau du groupement amide de la 4‑hydroxyprolinamide.

Y. Hayashi et al.72 ont développé plusieurs catalyseurs du groupe I par silylation de la

4-hydroxyproline avec le groupement TBS, TBDPS ou TIPS. Ces catalyseurs ont par la suite été utilisés pour l’aldolisation entre la cyclohexanone et le benzaldéhyde (Figure 17) donnant d’excellents résultats (Tableau 2).

Figure 17 : Réaction d'aldolisation organocatalysée par un dérivé silylé de la 4-hydroxyproline72

70 N. Mase et C. Barbas III, Org. Biomol. Chem., 2010, 8, 4043.

71 Y. Nobakht et N. Arshadi, Journal of Molecular Modeling, 2018, 24, 334.

72 Y. Hayashi, T. Sumiya, J. Takahashi, H. Gotoh, T. Urushima et M. Shoji, Angew. Chem. Int. Ed., 2006, 45,

26 Entrée R= Rendement (%) ee (%) 1 H <5 - 2 TBS 61 >99 3 TIPS 71 >99 4 TBDPS 78 >99

Tableau 2 : Résultats en fonction du groupement R du catalyseur72

L’entrée 1 du Tableau 2 montre que la réaction avec la 4-hydroxyproline ne fonctionne pas comparée à celles utilisant ses dérivés silylés (entrées 2 à 4 du Tableau 2). D’autre part on peut voir que les catalyseurs qui possèdent des dérivés silylés mènent tous à un excellent excès énantiomérique (supérieur à 99%) et que c’est avec le groupement TBDPS que la réaction a le meilleur rendement (entrée 4 du Tableau 2). Avec ce catalyseur, Y. Hayashi et al. ont alors réalisé différentes aldolisations avec des cétones cycliques ou aliphatiques et des aldéhydes aromatiques ou non, pour des rendements et des excès énantiomériques très bons.

Les dérivés de proline les plus utilisés pour les réactions d’aldolisation sont les catalyseurs appartenant au groupe II (les dérivés de la prolinamide). En 2017, T. Yorulmaz et

al.73 ont synthétisé des diamides dérivés de la prolinamide pour réaliser des réactions d’aldolisation. Après une synthèse en 5 étapes qui démarre avec la proline, ils ont été capables de créer 6 organocatalyseurs et de les tester en présence d’un co-catalyseur lors de la réaction d’aldolisation entre la cyclohexanone et le p-nitrobenzaldehyde dans l’eau et dans un solvant organique. Les rendements ont été bien meilleurs dans l’eau avec également une meilleure énantiosélectivité. Par la suite, une fois le meilleur organocatalyseur identifié, il a été utilisé pour différentes réactions d’aldolisation (Figure 18) avec les résultats présentés dans le

Tableau 3.

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Figure 18 : Réaction d'aldolisation organocatalysée par un dérivé de la prolinamide73

Entrée Cétone Aldéhyde Temps

(h) Rendement (%) ee (%) 1 Cyclohexanone 4-nitrobenzaldéhyde 48 92 99 2 Cyclohexanone 4-cyanobenzaldéhyde 24 87 91 3 Cyclohexanone 4-bromobenzaldéhyde 48 95 98 4 Cyclopentanone 4-nitrobenzaldéhyde 48 65 98

Tableau 3 : Résultats en fonction de la cétone et de l’aldéhyde utilisés73

Cet organocatalyseur permet de faire des aldolisations en présence d’un co-catalyseur (ici l’acide p-nitrobenzoïque) avec de très bons résultats. Le meilleur rendement (92%) étant obtenu pour l’entrée 1 du Tableau 3 avec la cyclohexanone et le 4-nitrobenzaldéhyde. En faisant varier l’aldéhyde (entrées 2 et 3 du Tableau 3), les résultats sont tout aussi satisfaisants ; cependant lorsque la cyclohexanone est remplacée par la cyclopentanone (entrée 4 du Tableau 3), bien que le rendement reste excellent (98%), l’excès énantiomérique est moins bon (65%).

Ces exemples montrent ainsi que les dérivés de la proline peuvent être d’excellents organocatalyseurs. Nous allons maintenant voir que d’autres petites molécules organiques cycliques peuvent aussi présenter une activité catalytique intéressante.