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Les problèmes de perte de tenue mécanique

en surface protège le matériau d’une oxydation en profondeur16. Il existe de nombreux moyens simples de le synthétiser.

Dans la suite de ce manuscrit, je me suis focalisé sur cette céramique uniquement.

1.2

Les problèmes de perte de tenue mécanique

Malgré ses excellentes propriétés, lorsque le carbure de bore est impacté au-delà de sa limite d’Hugoniot (HEL) d’environ 17-20 GPa, il perd graduellement sa tenue mécanique jusqu’à 40 GPa, limite au-delà de laquelle le matériau n’a plus de tenue mécanique [95] (voir Fig.1.5). Lorsque la courbe d’Hugoniot d’un matériau passe sous son équation d’état hydrostatique, on dit qu’il y a perte de tenue mécanique.

Fig. 1.5 – Variation de la contrainte en fonction du volume du carbure de bore B4C. Points et traits pleins : courbes d’Hugoniot obtenues par différentes expériences de chocs. Traits pointillés : courbe obtenue par extrapolation de l’équation d’état. Le croisement des courbes a lieu à environ 40 GPa.

Le but de cette section est d’expliquer cette perte de tenue mécanique afin de pouvoir y remédier.

Pour atteindre la limite d’Hugoniot, la vitesse du choc balistique doit être très élevée. Or la vitesse du choc détermine le régime de propagation des fissures. En effet, lorsque le choc est de faible vitesse, la fissure se propage au niveau des joints de grains. On parle alors de propagation inter-granulaire [100]. Par contre, lorsque la vitesse du choc atteint

16Tout comme pour l’aluminium ou une couche d’alumine Al

20 CHAPITRE 1. PERTE DE TENUE MÉCANIQUE une valeur critique, alors la propagation de la fissure se fait à travers les grains. On parle alors de régime intra-granulaire [76]. Dans le cas d’un choc au-delà de la limite d’Hugoniot, la propagation de fissure se fait essentiellement dans le régime intra-granulaire. Afin de comprendre le phénomène de perte de tenue mécanique, il faut donc s’intéresser à la structure du carbure de bore au sein du grain, c’est à dire à sa configuration atomique.

La structure cristalline du carbure de bore B4C est un assemblage composé d’icosaèdres et de chaînes triatomiques (Fig. 1.6). Les icosaèdres sont formés de douze atomes : onze atomes de bore et un atome de carbone positionné en site polaire p. Ils sont notés (B11Cp). Les chaînes sont formées de trois atomes : deux atomes de carbone et un atome de bore au centre de la chaîne. Elles sont notées C-B-C. Les icosaèdres sont reliés entre eux directement avec des liaisons covalentes (b2) par les six atomes en site polaire p [101] et indirectement au moyen des chaînes par les six atomes en site équatorial e. Le B4C est donc noté (B11Cp)C-B-C et sa maille élémentaire est discutée au chapitre suivant.

Fig. 1.6 – Structure atomique du carbure de bore B4C. indexation des liaisons de b1 à b7 telles que nommées dans la Réf. [4]. La maille élémentaire est (B11Cp)C-B-C. Boule noire : atomes de car- bone. Un atome de carbone C est localisé sur un des six sites polaires p de chaque icosaèdre, et deux atomes de carbone sont aux extrémités des chaînes. Boule grise : atome de bore localisé sur un site équatorial. Boule blanche : atome de bore localisé sur un site polaire ou au centre des chaînes.

Connaissant la structure atomique du carbure de bore, il est possible de comprendre le phénomène de perte de tenue mécanique lors d’un impact dépassant la limite d’Hugoniot. Dans cette section les trois principales hypothèses permettant d’expliquer ce phénomène sont présentées.

1.2.1

Hypothèse de l’amorphisation

Certains auteurs pensent que la perte de tenue mécanique du carbure de bore est due à une amorphisation lors de l’impact. En effet, de l’amorphisation a été obtenue dans le carbure de bore B4C lors d’une nanoindentation [103, 104], lors d’un impact balistique [88, 105], lors d’une d’une indentation faisant une rayure sur le carbure de bore [106], et lors d’une dépressurisation [107,108] faisant suite à une pressurisation non hydrostatique supérieure à 25 GPa. Les images au HREM (High Resolution Electronic

1.2. LES PROBLÈMES DE PERTE DE TENUE MÉCANIQUE 21

Fig. 1.7 – Variation du spectre Raman du carbure de bore en fonction de la profondeur après indentation selon Réf. [102]. La largeur de la zone élastique est de 21,4 µm.

Microscope), SEM (Scanning Electronic Microscope) et TEM (Transmission Electronic Microscope) prouvent qu’il y a une perte d’ordre local selon certaines directions privilé- giées, essentiellement aux joints de grains et le long des micro-fissures. On peut aussi voir cette perte d’ordre local par une modification du spectre de diffusion Raman aux alentours du point de contact d’une nanoindentation [104,102,109].17Les spectres Raman obtenus après indentation (représenté Fig. 1.7) ont toujours le même profil que celui du carbure de bore amorphe [111] avec un gros pic à 1326 cm−1 et un moins intense à 1526 cm−1.

Il est suggéré que ces pics correspondent aux pics D et G du graphite (1350 et 1580 cm−1) et que le fort décalage en fréquence et en intensité observé dans le carbure de bore amorphe soit dû aux défauts de structure du graphite, comme le dopage par du bore ou le non-respect des cycles benzéniques (plus de six atomes). Cependant, il n’est pas possible en l’état actuel de dire si ces deux pics ne sont pas uniquement du carbure de bore amorphe18. Il est important de voir que les pics caractéristiques du carbure de bore correspondant à la rotation de chaîne et à la libration de l’icosaèdre sont toujours présents à 481 et 534 cm−119. Cela indique que du carbure de bore est toujours présent dans sa forme cristalline parfaite mais caché par la forte intensité des pics du graphite. La question issue de ces spectres est de savoir d’où provient ce graphite. Est-il formé lors de l’indentation ? Etait-il déjà présent mais caché par la cristallisation parfaite (donc d’intensité très forte) de B4C ? L’apparition de zones amorphes a aussi été obtenue par

17Cette amorphisation post-indentation a aussi été observée dans B

6O [110].

18 Le pic G apparaît très faible, d’où la question : Est-ce véritablement du graphite que l’on voit

apparaître ? Cette question pourrait être résolue en faisant varier la puissance du laser par exemple [112]. On s’attend alors à une variation de la position du pic D.

22 CHAPITRE 1. PERTE DE TENUE MÉCANIQUE calcul ab initio en générant des zones de graphite [113,114].

Il y a toutefois une différence forte entre une indentation et un impact au-delà de la limite d’Hugoniot. Ce ne sont pas les mêmes processus qui sont activés. De plus, dans l’ex- périence observant de l’amorphisation après un impact balistique [105], la taille des zones amorphes n’est que de 1-3 nm, trop faible pour impacter la tenue mécanique. L’amorphi- sation n’est pas responsable de la perte de tenue mécanique du carbure de bore.

1.2.2

Hypothèse de la transition de phase

Il a été montré par les calculs [115] et par l’expérience [108] qu’une compression hy- drostatique du carbure de bore ne permet pas de voir une transition de phase.

Cependant, les calculs [107, 115] montrent que sous une pression non hydrostatique dans l’axe de la chaîne C-B-C, le carbure de bore subit une transition de phase de premier ordre vers 168 GPa, qui peut être responsable de la perte de tenue mécanique du carbure de bore. Lors de cette transition, la chaîne se tord progressivement jusqu’à ce que les deux atomes de carbone réalisent une liaison chimique. Cette hypothèse a été contestée [116] car la barrière énergétique nécessaire à plier la chaîne est trop élevée. De plus, la pression à laquelle elle se produit est largement supérieure à la valeur de la HEL (17-20 GPa).

D’autres calculs montrent que la présence de la maille (B12)C-C-C comme désordre de substitution dans (B11Cp)C-B-C peut porter préjudice à sa tenue mécanique. En effet, la valeur de sa constante élastique C14 devient négative à 44-46 GPa [117], ce qui est la signature d’une instabilité mécanique pouvant faire une transition de phase. De plus, dans les calculs, la phase (B12)C-C-C se décompose en bore α et graphite au-delà de 6 GPa [118]. Cependant les chaînes C-C-C n’ont jamais été observées expérimentalement (voir chapitre suivant).

Des modifications dans les vitesses du son dans B4C avant et après impact [119,95,78] tendent à faire penser à une modification de la structure du matériau. Cependant, l’analyse précise des courbes d’Hugoniot et de second choc [88, 95] prouve qu’il n’y a aucune évidence d’une transition de phase aux alentours de la limite d’Hugoniot. Une légère réduction de volume non destructrice est toutefois repérée aux alentours de 40 GPa. L’hypothèse d’une transition de phase lors du choc n’est donc pas vérifiée.

Aucune de ces expériences ne démontre l’existence d’une nouvelle phase de carbure de bore obtenue après impact.

1.2.3

Hypothèse du rôle des lacunes

Le rôle des lacunes dans la perte de tenue mécanique du carbure de bore lorsque celui- ci est impacté au-delà de sa limite d’Hugoniot a été étudié par Raucoules et al. [6]. Ils calculent l’énergie de formation des lacunes dans le carbure de bore et en déduisent que c’est le bore au centre des chaînes C-B-C qui est le plus sujet à être un site de lacune. Ceci est cohérent avec la connaissance du fait que l’atome en centre de chaîne est faiblement lié aux extrémités de la chaîne [98].

Lorsque cet atome de bore est absent, il y a une lacune CC dans les chaînes ( représente la lacune) qui est une absence de densité électronique (montrée par une flèche

1.2. LES PROBLÈMES DE PERTE DE TENUE MÉCANIQUE 23

Fig. 1.8 – DFT-LDA. Graphique représentant la réduction discontinue du volume relatif d’une lacune en centre de chaîne en fonction de la pression [6].

rouge sur la figure de gauche Fig. 1.8). Les deux atomes de carbone sont distants de 2,65 Å et ne forment pas de liaison électronique. Les calculs ont montré que cette lacune est instable sous pression, car sous pression les deux atomes de carbone de la chaîne se rapprochent et reforment une liaison électronique C-C dans la chaîne (montrée par une flèche rouge sur la figure de droite Fig. 1.8). Les deux atomes de carbone sont alors distants de 1,65 Å. Le volume de la lacune sans liaison électronique (CC) est plus important de 4 Å3/défaut que celui de la lacune pour laquelle la liaison électronique C- C est formée. La réduction de volume sous pression est discontinue et a lieu à environ 28 GPa (Fig 1.8). Cette pression peut être atteinte lors de l’impact balistique. C’est cette réduction discontinue de volume qui fait perdre sa tenue mécanique au carbure de bore B4C.

Raucoules et al. calculent la concentration [120] de défauts ponctuels de type lacune sur ce site et s’aperçoivent que la concentration naturelle en lacunes (1014 lacunes/cm3 à 1000 K) est bien plus grande que celle du silicium (5×1010 lacunes/cm3 à 1000 K). Malgré cela, cette concentration est trop faible pour altérer les propriétés mécaniques de cette céramique. Cela est cohérent avec le fait que le carbure de bore conserve sa grande dureté même sous haute température [121]. Cependant, certains phénomènes peuvent augmenter drastiquement la concentration en lacunes. En effet, lorsque la céramique est choquée au- delà de sa limite d’Hugoniot, les dislocations et les macles apparaissent en grand nombre et leur déplacement est rapide. Lorsque les dislocations sont coudées20, leur mouvement n’est possible que par la création de lacunes [122] (observation confirmée par dynamique

24 CHAPITRE 1. PERTE DE TENUE MÉCANIQUE moléculaire [123, 47]) et les lacunes formées se regroupent dans les mêmes parties du grain [124]. De plus, les lacunes peuvent être plus faciles à faire sous pression [125] et se former même sans la présence de dislocations [126, 127].

L’hypothèse de Raucoules est qu’au-delà de la limite d’Hugoniot, il est donc possible de voir apparaître les lacunes en suffisamment grand nombre21 pour détériorer la tenue mécanique de B4C. Il est aussi connu que les lacunes dans le carbure de bore diminuent sa dureté [129].

D’un point de vue expérimental, lorsque des lacunes de chaînes sont présentes sans pression, ni les chaînes C-C, ni B-B, ni C-B n’ont été repérées. Par contre, la lacune la plus observée est bien celle du centre des chaînes CC [130].