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Réminiscences baroques d'Aveux non avenus.

1. Esthétique baroque

1.1 Les principaux éléments du baroque

Le baroque est un courant artistique et littéraire qui commence en Italie vers la fin du XVIᵉ

siècle et se termine vers le milieu du XVIIIᵉ siècle. Le contexte historique révèle une période

difficile avec de nombreux affrontements entre catholiques et protestants. Les guerres de religion favorisent un climat hostile. Étymologiquement, baroque vient du portugais barroco signifiant

perle irrégulière598. Le baroque suit de près le maniérisme qui accorde de l'importance aux thèmes mythologiques, allégoriques, religieux et à l'art du portrait. Le maniérisme599 joue sur la confusion de la vue qui entremêle les corps entre eux à tel point qu'il est difficile de les distinguer. Cet entrelacs de corps évoque la ligne serpentine. Les contrastes violents entre

598 Il est important de souligner que le terme baroque n'est pas utilisé par les auteurs et artistes de la période, c'est un

terme créé à posteriori par la critique d'art (allemande d'abord).

599 Le maniérisme est un courant qui s'étend entre 1520 et 1580. La fin est située à la mort de Rapha ël qui est aussi

un précurseur des formes baroques au niveau pictural. L'étymologie de maniérisme est maniera et signifie l'artifice qui est devenu nature.

l'ombre, la lumière et les couleurs caractérisent ce mouvement annonciateur du baroque.

L'excès décoratif, le mouvement permanent, les forts contrastes et les traits surjoués (parfois pompeux) désignent le baroque. Les thèmes de prédilection sont la métamorphose, le rêve, le mouvement, l'illusion, la religion, la mort, le laid, le grandiose ou encore la sensation d'un monde instable. L'esthétique de la torture, du corps écartelé, démembré, sanglant associent le corps spectaculaire et la Passion du Christ dans un univers macabre. George Poulet explique que : « la multiplication devient une division, la masse une pluralité de parties »600 tandis que le personnage cahunien s'exclame : « Diviser pour mieux régner »601. L'inconstance, la théâtralité, la duplication participent à ce courant qui n'hésite pas à mélanger les genres, les registres, les tonalités et les niveaux de langue. Ainsi, il est possible de passer de la comédie à la tragédie ou à la tragi-comédie associant la feinte et le déguisement. Le baroque est un monde de l'illusion où apparaissent des chimères, des monstres. Un lyrisme exacerbé surgit parfois derrière les épanchements du moi : « Ô sensualités asséchées, sensualités estivales ! »602, « Ô regrets mal repentants »603, « Ô Fortune, ô chagrin ! Que faire ? »604 s'exclame le narrateur d'Aveux non avenus.

La forme théâtrale, ou sa métaphore, est omniprésente car elle permet d'hybrider les genres en croisant l'art de l'espace, de la parole et du visuel. Le goût du déguisement, du paraître, des identités trompeuses est omniprésent : « un fourmillement de grotesques, un pêle-mêle de masques délirants, une bacchanale bariolée de silhouettes multiformes »605. Paroles, chants et danses s'allient afin de diversifier les discours de l'art de la scène. Dans La Littérature de l'âge baroque, Jean Rousset convoque, en sous-titre, Circé et le Paon. Il explique que l'étymologie de Circé vient de cirque, c'est-à-dire, le lieu du spectacle et de l'artifice. Quant au paon, il

600 Op. Cit., Les Métamorphoses du cercle, p. 23. 601 Op. Cit., ANA, p. 108.

602 Ibid., p. 18. 603 Ibid., p. 18. 604 Ibid., p. 19.

représente la parade ostentatoire en déployant son remarquable plumage. Les démultiplications et l'effusion des images rappellent le cannochiale606 en italien qui est un engin optique servant à créer des métamorphoses à souhait. Et en effet, en histoire de l'art, les peintres et sculpteurs baroques remplissent l'espace par des mouvements excentriques prêts à se briser. La multiplicité des formes meuble l'espace en conférant un véritable besoin d'exister par le remplissage spatial. Empiler des objets, des décors ou des corps n'est qu'une manière de montrer que l'espace est insaisissable : « n'aboutissent qu'à rendre plus saisissant le contraste entre l'immensité vraie de l'espace et l'immensité fausse du volume ou du nombre »607. Il est tout de même important de rappeler que le baroque est avant tout un art architectural dont les catholiques s'emparent pour rivaliser avec les églises protestantes. Le baroque enchante par ses façades ondulantes, ses trompe-l'œil, ses mises en scène séduisantes et l'évanescence des formes. Le mise en mouvement et la volonté d'échapper à la fixité des lignes géométriques du monde sont probablement les éléments essentiels du baroque.

Dans le baroque, on retrouve la présence charmeuse de la mort associée au printemps, aux fleurs et au sommeil. Claude Cahun tisse tout un univers autour des fleurs et de la mort sous la forme de nouvelle évoquant « La Belle au bois dormant » :

« En taillis profonds les roses d'un blanc pur et dur dardent leurs épines bleues. Derrière, des feuillages pourpres et violets massent leur épaisseur, semble-t-il infinie, contre quoi se pavanent des fleurs qui font la roue, corolles d'une candeur précieuse, d'une candeur provocante : de pâles ancolies à peine nacrées, des lis aux pollens méprisants, des nombrils d'Adonis aux tiges trop soudainement élancées, d'une trop souple et maladroite croissance. De petites digitales éclosent au long de ces tiges, hésitant d'être fleurs ou de paraître feuilles, jeunes feuilles encore chrysalides... »608.

Cette riche description, aux adjectifs et compléments du nom proliférants, se rapproche de l'esthétique baroque visant à orner grâce à un décor excessif occupant le plus d'espace possible. Face à cette omniprésence de la mort, les vanités symbolisent l'allégorie de la mort et de la fuite

606 Sorte de kaléidoscope.

607 Op. Cit., Les métamorphoses du cercle, p. 23. 608 Op. Cit., ANA, p. 39.

du temps. Elles se développent pendant l'époque baroque avec des peintres comme Jacques de Gheyn le jeune, Philippe de Champaigne, Le Caravage ou encore de Barholomaeus Bruyn le vieux. Ceci rappelle le crâne dessiné à l'encre par Andre Masson en 1937 et qui illustre l'oeuvre poétique Crâne sans lois de Guy Lévis Mano. Claude Cahun réalise également quelques vanités contemporaines grâce à la technique d'assemblage d'objets hétéroclites comme ses poupées en 1936609, ses mises en scène d'un mannequin en bois accoutré de divers objets en 1936610 ou encore la photographie d'une main en verre surmontée d'un crâne avec une plume sur la tête en 1935611. Autour d'une rêverie des objets, Claude Cahun façonne l'éphémère, elle fige le sur le point de

disparaître des éléments périssables. La modernité de certains matériaux et l'inspiration baroque

de la vanité accentuent l’éclectisme anachronique entre deux périodes qui convergent et divergent simultanément.

Pour Rousset, l'écriture moderne du XXᵉ siècle vient renouveler la connaissance des

œuvres anciennes par un : « exemple d'attraction ou de contagion réciproque entre un XVIIᵉ siècle

baroquisé et un XXᵉ siècle qui s'y cherche des antécédents »612. Mais comme nous avons pu le voir

dès le début, Claude Cahun s'inspire et se détache par son humour mordant, par le goût du bizarre, de l'association impromptue.