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2.2. LES TRAITÉS ANSEI

2.2.2. LE TRAITÉ HARRIS

2.2.2.1. LES PRINCIPALES CLAUSES

Le traité Harris aborde beaucoup de sujets ayant trait aux relations

internationales80, mais pour notre recherche, nous nous attarderons seulement sur ceux

qui sont pertinents pour notre sujet, Yokohama. Commençons par préciser que le traité Harris, selon l’article XII, révoque les clauses de la Convention de Kanagawa et celles de la Convention de Shimoda, signée par Harris en 1857, qui entreraient en

contradiction avec le nouveau traité et il inclut les autres clauses en son sein81. Ainsi,

plusieurs des clauses importantes avaient déjà été négociées et acceptées auparavant comme la clause de l’extraterritorialité.

Au moment où les traités Ansei sont négociés et signés, beaucoup de termes du langage diplomatique occidental, comme extraterritorialité, consul ou tarif, n’avaient

pas de traduction en japonais82. S’il n’avait pas de mot pour le décrire, c’est que le

concept n’existait pas dans leur culture diplomatique et il n’était pas plus maîtrisé par les diplomates japonais, non plus compris dans le même sens que les Occidentaux le comprenaient eux. Ainsi, l’extraterritorialité était comprise un peu à la manière des diplomates chinois, une manière de laisser les marchands étrangers se contrôler eux-

79 Walter LaFeber, The Clash, p.19-21.

80 Le texte du traité Harris peut être lu en annexe du mémoire. 81 Michael Robert Auslin, Negotiating with Imperialism, p.220. 82 Ibid, p.25.

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mêmes puisqu’ils étaient, de toute façon, assignés à résidence dans des zones

spécifiques et isolées comme les Hollandais de Deshima à Nagasaki83. Cependant, les

Russes, en 1855, obtinrent l’extraterritorialité pour leurs compatriotes, sans toujours obtenir le droit de résider de manière permanente, ainsi que les Hollandais en 1855 puis de nouveau en 1857. À ce moment, les Japonais avaient également reçu une copie du traité anglo-siamois de 1855 et commencèrent à étudier le fonctionnement de l’extraterritorialité appliqué par les Britanniques. En 1857, avec la Convention de Shimoda, Harris avait obtenu l’extraterritorialité pour les marchands américains, puis, avec le traité de 1858, il demanda le droit à la résidence permanente. Le bakufu accepta de conserver l’extraterritorialité et, puisqu’il commençait déjà à chercher comment isoler les Occidentaux, comme à Nagasaki, il accepta également la demande de résidence permanente. Ainsi, les Américains étaient confinés en un endroit où se tiendraient également les cours de justice américaines. Pour le bakufu, ces avantages avaient réellement leur poids dans la politique qu’il tentait d’instaurer. De plus, plus d’Occidentaux présents sur le sol japonais ne voulait pas nécessairement dire qu’il y

aurait plus de contacts entre eux et les Japonais84. Cette vision bénéfique à propos de

l’extraterritorialité ne changera véritablement qu’après 1870, où elle commencera à

être perçue comme une atteinte à l’autonomie et à l’honneur du Japon85.

Une deuxième clause importante est celle de la nation la plus favorisée. Cette clause avait été octroyée dans le traité de Perry et elle fut assumée par les deux partis

83 Ibid, p.26. 84 Ibid, p.27. 85 Ibid, p.26.

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comme étant toujours d’actualité dans le traité de Harris. De plus, elle était également dans le Traité d’Amitié et de Commerce entre le Japon et le Royaume-Uni quoique seulement d’un seul côté, celui des Britanniques. Ici aussi, il n’eut pas d’objections chez les Japonais à ce sujet, probablement parce que, selon Auslin, ils avaient la même perception que les Chinois à son propos. La Chine, nous l’avons vu, avait une manière « d’utiliser les barbares pour contrôler les barbares » où elle accordait des privilèges à des nations rivales pour s’assurer qu’aucune d’entre elles n’ait de supériorité envers

une autre86. Or, il s’avère qu’Abe Masahiro était versé dans la culture diplomatique

chinoise, et que le bakufu fut conseillé dans cette direction, notamment par Matsudaira Keiei, le daimyō de Fukui. Celui-ci écrivit à Hotta juste avant de commencer les négociations avec Harris pour le prévenir que la plus grande menace n’était pas l’arrivée des Occidentaux, mais la rivalité entre le Royaume-Uni et la Russie qui pouvait pousser l’un d’entre eux à obtenir des privilèges plus grands auprès du bakufu, ce qui mettrait en danger le gouvernement. Ainsi, la clause de la nation la plus favorisée serait un moyen détourné pour mettre les Occidentaux sur le même pied d’égalité entre

eux87. En effet, avec l’ouverture des ports de traité, ils furent mis tous ensemble dans

des zones géographiquement limitées pour cohabiter. Il n’y avait donc aucun lieu pour une compétition impérialiste territoriale puisqu’ils avaient tous les mêmes droits et privilèges octroyés par des traités. Les Occidentaux devaient s’entendre les uns avec

les autres pour régler leurs problèmes entre eux et avec le Japon88.

86 Ibid, p.28. 87 Ibid, p.28-29. 88 Ibid, p.7.

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Lors des premières négociations, Harris mis au clair qu’il voulait instaurer du libre-échange. Or, cette demande était une menace directe contre la société japonaise et l’autorité du bakufu. Rappelons-le, dans la société voulue par les Tokugawa, le commerce était très surveillé et mal considéré. Edo, la capitale, gouvernait les quelques 250 autres domaines qui composaient le Japon par la force de son autorité, mais si ces domaines, en particulier ceux quasiment indépendants et très éloignés de la capitale comme Chōshū et Satsuma, se mettaient à commercer librement avec les Occidentaux, ils en profiteraient sûrement et cela viendrait assurément bousculer l’ordre établi des

Tokugawa qui était déjà mise à mal depuis plusieurs décennies89. Mais, si le bakufu

refusait de s’ouvrir au libre-échange, la menace de représailles étrangères serait également présente. Comme le fit signifier Harris, les Britanniques pourraient chercher

à forcer la chose comme ils venaient juste de le faire en Chine90.

Donc, il apparut facilement qu’un commerce plus libre avec les Occidentaux serait inévitable, notamment aux yeux de Hotta qui nomma Iwase Tadanari pour négocier avec Harris, mais il fallait le permettre de la bonne manière. Pour Iwase, ce nouveau commerce pourrait servir de moyen pour réaffirmer le contrôle et l’autorité d’Edo sur les relations diplomatiques et sur ses affaires internes concernant les domaines. Ce commerce devrait s’exécuter dans un lieu précis proche d’Edo et avec des frontières définies, ainsi le bakufu aurait toujours la possibilité de l’atteindre facilement en cas de problèmes et cela empêcherait les daimyō des domaines éloignés ainsi que les marchands d’Osaka (un très grand pôle économique de l’époque, situé

89 Ibid, p.31. 90 Ibid, p.35.

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tout près du futur port de traité de Kobe), de trop profiter des richesses et des

opportunités91. L’endroit parfait pour incarner cela, selon Iwase, c’était Yokohama, un

petit village de pêcheurs près de la ville de Kanagawa, qui elle est sur le Tōkaidō, la grande route traversant le Japon de Kyoto à Edo. Yokohama était isolé mais à seulement une journée de voyage d’Edo, ce qui lui permettait d’être facilement en

contact avec ce qui s’y passerait92.