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Les principales caractéristiques de l’élément matériel

Section I. L’élément matériel ou le consuetudo, en tant que preuve de l’existence d’une

A. Les principales caractéristiques de l’élément matériel

L’examen du comportement des États, ou du consuetudo, en tant qu’élément matériel conditionnant l’existence d’une norme coutumière internationale exige une distinction entre, d’une part, les comportements étatiques ayant un caractère obligatoire et, d’autre part, les nombreuses pratiques des États dans la vie internationale relevant des usages, de la courtoisie, de la tradition ou encore de l’opportunité122. Selon le courant positiviste, la norme coutumière

tire son origine uniquement des actes accomplis par un organe d’État ayant compétence internationale. Une telle définition, purement positiviste, restreint ainsi la coutume internationale aux seuls précédents d’ordre gouvernemental interne. Sont donc écartés les précédents d’ordre jurisprudentiel, émanant des tribunaux internes ainsi que des juridictions internationales. Le consuetudo comprend alors les « actes » de l’État qui sont accomplis par ses organes et qui ont une incidence sur les relations internationales. Il s’agit plus précisément

des actes accomplis par les autorités spécialement chargées des relations internationales dont le ministre des affaires étrangères et ses collaborateurs123.

Ces actes peuvent prendre la forme de déclarations ou de correspondances diplomatiques, sinon de prises de position des agents gouvernementaux au cours d’une procédure juridictionnelle ou arbitrale ou encore au sein d’une organisation internationale124. Les

différents actes normatifs internes relatifs aux matières d’ordre international, dont les lois, les décrets, les règlements, les ordonnances, peuvent également être pris en considération125. Ainsi, pour que les activités des organes étatiques compétents puissent contribuer à la création d’une coutume internationale, il faut qu’il y ait une répétition dans le temps de telles activités126. Cette répétition du précédent dans le temps, voire sur une période de temps immémorial, constitue la condition essentielle de la pratique étatique sans laquelle on ne saurait parler d’usage. Selon la jurisprudence internationale, la pratique étatique doit être uniforme et constante afin de constituer l’élément matériel. Dans l’affaire du droit de passage

sur le territoire indien, qui opposait le Portugal à l’Inde, la Cour a constaté qu’en l’absence

d’une pratique uniforme, il était « sans intérêt » de rechercher l’existence d’une coutume bénéficiant au Portugal127.

123 Sont des éléments pertinents, entre autres, les opinions exprimées par les gouvernements dans leur

correspondance diplomatique ainsi que les instructions données par les gouvernements à leurs agents diplomatiques et consulaires ou à leurs fonctionnaires. Voir : Ch. ROUSSEAU, Principes généraux du droit

international public, préc., note 104, p. 845-849. Pour K. Strupp, une norme coutumière peut être créée

uniquement par les actes des organes étatiques qui ont l’autorité « [to] bind the state by a treaty properly so

called », ces organes étant exclusivement les chefs d’État et les ministres des affaires étrangères. Voir sur ce

point : Karl STRUPPS, « Règles générales du droit de la paix », Recueil des cours de l’Académie de la Haye, Volume XLVII, 1934, p. 313 et suivants.

124 Voir : Alain PELLET, Nguyen QUOC DINH, Droit international public, 8e édition, Paris, LGDJ, 2009, p.

355 ; Ch. ROUSSEAU, Principes généraux du droit international public, préc., note 104, p. 846-848.

125 Ces actes peuvent représenter une ligne de conduite qu’un État adopte à l’égard des autres États sur un sujet

donné. Dans le cas où les actes législatifs internes des autres États témoignent de la même attitude, on pourra conclure qu’il existe précisément sur ce point une coutume internationale. Voir : Ch. ROUSSEAU, Principes

généraux du droit international public, préc., note 104, p. 850.

126 Une norme coutumière peut émerger du simple fait que les États dans leurs relations mutuelles observent

une certaine attitude déterminée au cours d’une longue période de temps. Parfois, les déclarations des chefs d’État ou de gouvernements relatives à leur politique générale, ne proviennent pas d’un seul gouvernement, mais de plusieurs gouvernements, ou encore de conférences internationales qui donnent à la norme coutumière une plus grande autorité. Voir : Lazare KOPELMANAS, « Custom as a means of the creation of international law », (1937) Brit. Y.B. Int’l L. 127, p. 132.

127 Voir : Affaire du Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), C.I.J. Recueil 1960, p. 40 et

suivantes (12 avril 1960). Voir aussi dans la même direction Affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou), C.I.J.

En outre, la pratique étatique doit être suffisamment fréquente et significative, ce qui pose nécessairement un problème de degré128. Selon la jurisprudence et la doctrine, il s’avère important de trouver un équilibre entre une pratique universelle et une pratique de quelques rares États sur une période trop étalée, afin d’identifier la pratique requise129. C’est à cette

exigence propre à la logique de la coutume que la jurisprudence internationale donne corps lorsqu’elle se réfère à une pratique « générale », « constante », « constante et uniforme », « fréquente et pratiquement constante », « suffisamment étoffée et convaincante »130. Une fois que l’élément matériel ou le consuetudo est constaté selon la théorie volontariste, il doit être corroboré par la présence de l’élément subjectif des États ou encore opinio juris. Ainsi, nous pouvons déduire que traditionnellement, la pratique des États est à l’origine de

l’opinio juris et que c’est la répétition de cette dernière dans le temps qui fait naître le

sentiment d’obligation131.

Cette brève analyse de l’élément matériel d’une norme coutumière classique nous conduit à nous intérroger sur la présence du consuetudo en matière de protection du patrimoine culturel matériel. La formation de l’élément matériel selon la théorie volontariste du droit international s’avère être possible uniquement dans l’un des premiers domaines protégés par

Cour a déduit qu’il y a l’existence d’une coutume bilatérale entre le Royaume-Uni et la Norvège concernant la méthode de délimitation par la Norvège de sa mer territoriale. Ainsi, l’absence de protestation du Royaume-Uni pendant plus d’un siècle témoignait d’une pratique constante et suffisamment longue », voir sur ce point : Affaire des Pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), C.I.J. Recueil 1951, p. 139 (18 décembre 1951).

128 P. WEIL, « Le droit international en quête de son identité : cours général de droit international public »,

préc., note 119, p. 164-165.

129 À titre d’exemple, le juge international a éprouvé quelques difficultés à proclamer le caractère coutumier de

l’interdiction de recourir à la force et d’intervenir dans les affaires intérieures d’autres États, car dans la pratique, nous observons des comportements étatiques contraires. Ainsi la Cour s’est prononcée : Il ne faut pas s’attendre à ce que l’application des règles en question soit parfaite dans la pratique étatique […]. La Cour ne pense pas que, pour qu’une règle soit coutumièrement établie, la pratique correspondante doive être rigoureusement établie, la pratique correspondante doive être rigoureusement conforme à cette règle. Il lui paraît suffisant, pour déduire l’existence de règles coutumières, que les États y conforment leur conduite d’une manière générale et qu’ils traitent eux-mêmes les comportements non conformes à la règle en question comme des violations de celle-ci et non pas comme des manifestations de la reconnaissance d’une règle nouvelle.

Voir : Affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-

Unis d’Amérique), C.I.J. Recueil 1986, p. 98, par. 186 (27 juin 1986). Voir aussi: Ian BROWNLIE, Principles of Public International Law, Oxford, Oxford University Press, Sixth Edition, 2003, 742 p.

130 Voir : P.-M. MARTIN, Droit international public, préc., note 122, p. 151 ; P. WEIL, « Le droit international

en quête de son identité : cours général de droit international public », préc., note 119, p. 165-167.

le droit international de la culture, à savoir le patrimoine culturel matériel. Dans ce cas, il ne s’agit que d’un aspect de la diversité culturelle.

B. L’existence de l’élément matériel relatif à la protection du patrimoine culturel