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législation cynégétique

2.2.2 Les activités commerciales

2.2.2.1 Les permis de chasse commerciale pour les Européens

Initialement prévu, en 1916, pour la capture du gros gibier, le permis commercial, en 1929, est scindé en deux catégories :

le permis de grande chasse et

le permis de petite chasse qui n’aura qu’une existence éphémère.

2.2.2.1.1 Le permis commercial de grande chasse

Le permis, décrit dans l'article 14 du décret du 1er août 1916, est destiné aux Européens ou assimilés qui se livrent à la chasse dans un but commercial ; logiquement, les fonctionnaires et militaires sont exclus de cette activité. Il donne le droit d'abattre, sans limitation de nombre, les espèces qui ne font pas l'objet d'une protection absolue, c’est-à-dire l'autruche, les rapaces nocturnes, les charognards et, chez les mammifères, le rhinocéros blanc et le chimpanzé (article 2 de l'arrêté du 29 décembre 1916).

Vu le prix de ce permis (3.000 F en 1920, soit l'équivalent de 2.755 €2011), il est évident que les chasseurs commerciaux s'intéressaient prioritairement aux grands animaux et, en particulier, à l'éléphant pour son ivoire et au rhinocéros noir pour sa corne. Certains oiseaux sont également

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recherchés pour leurs plumes (aigrettes, marabouts) et quelques mammifères pour leur fourrure (parpassa = Potamogale velox, colobes).

Le permis commercial est délivré par le gouverneur de la colonie de résidence du postulant, mais il est valable sur l'ensemble de l'AEF (article 5). Le carnet de chasse, sur lequel les titulaires des autres formes de permis doivent inscrire les animaux qu'ils abattent et qui permet un certain suivi des prélèvements, n'est pas prévu dans ce cadre.

Sur la base de l’article 15, le titulaire d'un permis commercial peut faire chasser, à son profit, un nombre non limité de chasseurs africains, munis d’armes de traite, à condition de souscrire pour eux un permis de chasse spécial, les autorisant, en particulier, à abattre des éléphants. À titre exceptionnel, l'Administrateur de la circonscription peut autoriser l'utilisation, par ces chasseurs africains, des armes perfectionnées appartenant à leur patron. Les chasseurs commerciaux européens auront ainsi « des armes en brousse », accroissant fortement leur capacité de prélèvement sur le milieu naturel.

Le décret du 25 août 1929 va modifier cette situation, dans son titre III, en créant deux catégories :

le permis commercial de petite chasse et le permis commercial de grande chasse.

Ces permis, réservés aux Européens ou assimilés, sont destinés aux résidents, ni fonctionnaires, ni militaires, qui se livrent à la chasse pour les besoins d'un commerce ou pour alimenter le personnel d'une entreprise.

Avec un permis commercial de grande chasse, il est possible de prélever les animaux non protégés sans limitation particulière et, dans les limites du quota prévu, les espèces suivantes :

4 éléphants, 2 hippopotames, 2 rhinocéros noirs, 8 buffles, 1 girafe, 1 autruche et

les autres animaux inscrits à l'annexe II du décret, en proportions variables selon les espèces, comme indiqué dans le Tableau 24.

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Tableau 24 : Les quotas d'abattage des permis commerciaux de grande chasse

Espèces Décret 1929 Décret 1934 Base renouvellement Autre renouvellement Quota total Base renouvellement Autre renouvellement Quota total Eléphant 4 4 4 28 2 2 2 14 Hippopotame 2 2 2 14 2 2 2 14 Rhinocéros noir 2 2 2 14 0 Buffle 8 8 16 20 20 40 Girafe 1 1 1 1 2 Grand koudou 2 2 4 1 1 2 Bongo 2 2 4 2 2 4 Situtonga 2 2 4 2 2 4 Colobe 5 5 5 35 6 6 6 42 Parpassa 2 2 4 6 6 12 Autruche 1 1 2 1 1 2 Grue couronnée 2 2 4 1 1 2 Aigrette 10 10 10 70 6 6 12 Marabout 4 4 8 6 6 12 Elan de Derby 1 1 2 Antilope cheval 6 6 12 Gorille 4 4 8 Chimpanzé 4 4 8

6 renouvellements autorisés au total

En s'acquittant à chaque fois d'un droit supplémentaire, le titulaire peut renouveler une fois, intégralement, ce quota de base et cinq fois le quota d'éléphant, d’hippopotames, de rhinocéros noirs, de colobes et d'aigrettes. Il peut ainsi prélever, en toute légalité, s'il paie les droits correspondants,

28 éléphants, 14 hippopotames, 14 rhinocéros noirs, 56 buffles, 2 girafes, 2 autruches, etc.

Le contrôle des quotas d'abattage est assuré par la tenue obligatoire du carnet de chasse, qui est également prévu pour les autres types de permis (article 14). D'autre part, le chasseur commercial doit informer le responsable de l'administration territoriale de son passage dans la circonscription de ce dernier. Le permis commercial n’est plus valable que pour le territoire sur lequel il est délivré et non pour l’ensemble de l’A.E.F. Des permis valables sur deux territoires limitrophes peuvent être délivrés moyennant une majoration de 50 % du prix du permis.

Par arrêté du 25 avril 1931, le buffle est supprimé de la liste initiale de quotas d’abattage et des possibilités de renouvellement du quota. Cette espèce refait son apparition dans les quotas (20 animaux) dans l’arrêté modificatif du 8 octobre 1935, puis de nouveau supprimé par arrêté du 23 octobre 1936.

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L’arrêté modificatif du 8 octobre 1935 supprime également le rhinocéros noir de la liste des espèces chassables et réduit à 2 le nombre des éléphants pouvant être prélevés par renouvellements de permis, ce qui porte le quota annuel maximum à 14 têtes. Le gorille et le chimpanzé sont également inclus dans la latitude d’abattage, avec un quota renouvelable une fois de 4 animaux pour chaque espèce.

Le décret modificatif du 13 avril 1935 prévoit que le permis commercial de grande chasse, initialement délivré par le Gouverneur de chaque territoire, le sera ultérieurement par le Gouverneur Général, le permis commercial de petite chasse étant établi par l'Administrateur du lieu de résidence du chasseur. Ceci a pour effet de compliquer les formalités d'obtention du permis commercial de grande chasse. D'autre part, le décret de 1929 prévoit que ce permis commercial de grande chasse ne pourra être accordé, à partir de 1930, qu'à des Européens ou assimilés qui en auraient été déjà titulaires en 1927, en 1928 ou en 1929. Ceci suggère donc une volonté du législateur de voir disparaître, progressivement, ce type de permis. Cette prescription sera reprise, avec un simple changement dans les dates, dans le décret modificatif du 13 avril 1935.

L’évolution du prix des permis de grande chasse commerciale et de leurs renouvellements est résumée dans le Tableau 25. Il apparaît ainsi une augmentation en valeur actualisée jusqu’en 1929, mais avec un accès pratiquement sans limite à la grande faune. Ensuite, s’ajoutant à une limitation drastique des prélèvements, le prix du permis s’envole, puisqu’il faut additionner le prix du permis de base et celui de ses différents renouvellements pour évaluer le coût d’accès à la ressource.

Tableau 25 : Tarifs des permis commerciaux de grande chasse

Année Type de permis Montant (F courants) Valeur actuelle (€ 2011) 1916 Permis commercial 1.000 3.740 1920 3.000 2.750 1925 4.000 3.240 1927 10.000 5.930 1934 Permis commercial 4.000 2.740 Renouvellement intégral 4.000 2.740 Renouvellement partiel (possible 5 fois) 2.000 1.370

A partir de 1929, en fonction des quotas attribués, un ordre de grandeur du chiffre d’affaires d’un chasseur commercial peut être estimé à partir du Tableau 26, bâti sur les hypothèses suivantes :

Le prix de l’ivoire d’éléphant et de la corne de rhinocéros est déduit des valeurs mercuriales administratives de l’époque (article 2, arrêté du 25 août 1927),

Le prix des dents d’hippopotame est estimé entre le tiers et la moitié de celui de l’ivoire d’éléphant,

Le prix de la venaison boucanée est déduit du prix actuel observé en forêt, sur le terrain, Le poids de l’ivoire et des cornes de rhinocéros est indicatif, en retenant les trophées de males adultes de taille moyenne,

Le poids de la venaison boucanée est déduit des observations actuelles de terrain et du poids vif des animaux,

La valeur des autres produits (plumes, fourrures,…) est estimée arbitrairement à partir de données éparses dans les archives et dans la littérature.

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Tableau 26 : Chiffre d'affaires potentiel d'un chasseur commercial en 1929.

Espèces Quota

Ivoire ou corne Venaison boucanée

Autres produits, dont plumes, fourrures,… Total arrondi Poids

individuel (kg) Prix (F1929/kg) d’affaire (FChiffre 1929)

Chiffre d’affaire (€ 2011) Poids individuel (kg) Prix Chiffre d’affaire (FCFA 2011) Chiffre d’affaire (€ 2011) Chiffre d’affaire (€ 2011) Chiffre d’affaire (€ 2011) (FCFA 2011 /kg) Eléphant 28 30 130 109.200 61.000 500 500 (estimation 2011, prix à la production) 7.000.000 10.600 71.600 Hippopotame 14 5 50 3.500 1.960 300 2.100.000 3.200 5.000 Rhinocéros noir 14 10 175 24.500 13.700 400 2.800.000 4.200 18.000 Buffle 16 200 1.600.000 2.400 2.400 Girafe 1 150 335.000 500 Grand koudou 4 50 Bongo 4 50 Situtonga 4 30 Colobe 35 (5.000) 5.000 Parpassa 4 Autruche 2 Grue couronnée 4 Aigrette 70 Marabout 8 TOTAL arrondi 76.000 21.000 5.000 102.000

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Un chiffre d’affaires de l’ordre de 100.000 €2011 est donc réaliste, face à un prix du permis et des renouvellements de l’ordre de 12.000 €2011, cette dépense ne représentant cependant qu’une partie des frais engagés par le chasseur professionnel (personnel, armes, munitions, équipement, transports,…).

Malgré les risques, l’inconfort et l’isolement, la chasse commerciale pour l’ivoire, mais aussi la viande, a permis à un certain nombre d’aventuriers d’entrer dans la légende des grands chasseurs, tout en gagnant assez largement leur vie (Pfeffer 1989; de Puytorac 1992; Ndinga Mbo 2006; Laboureur 2007; Le Noël 2007).

2.2.2.1.2 Le permis de petite chasse commerciale.

Le permis commercial de petite chasse, créé par le décret du 25 août 1929, permet de prélever, sur tout le territoire de la colonie, en dehors des réserves de chasse et des propriétés privées, l'ensemble des espèces non protégées. Les prélèvements sont limités aux besoins du titulaire, ou, doit-on comprendre, à ceux du personnel de son entreprise. En particulier, ce permis ne permet pas de commercialiser la viande de chasse. À condition de payer un permis complémentaire (article 16), le titulaire de ce permis peut faire chasser un Africain, en ses lieu et place (article 13), en prélevant uniquement de la faune non protégée et dans un but de ravitaillement, sans commercialisation.

En 1934, le tarif du permis commercial de petite chasse est de 1.500 F (1.027 €2011), celui du permis complémentaire de 75 F (50 €2011).

2.2.2.1.3 Epilogue

En 1936, le décret du 13 octobre supprime définitivement les permis de chasse commerciale. Le décret du 27 mars 1944 précise, dans ses articles 4 et 16, que la chasse en A.E.F. ne peut être pratiquée dans un but commercial et, dans l’article 63, prohibe la commercialisation des produits de la chasse.

Remarquons cependant que Jean Laboureur (Laboureur, 2007) déclare, dans ses mémoires, avoir reçu, en 1950, du Gouverneur du Moyen Congo, à la demande de l’Inspection des Chasses de Brazzaville, une licence spéciale de chasseur professionnel, pour assurer (à titre dérogatoire, il est vrai, en application de l’article 2 de l’arrêté n° 1.316 du 17 juin 1944) le ravitaillement en viande de chasse de la Mairie de Brazzaville.

Il faut également noter que, dans les années 50 et au début des années 60, la récolte des peaux de crocodiles pour la commercialisation sera organisée par les services des Chasses, sur des bases législatives particulières, qui seront détaillées au § 2.3.1.1.3.

Une partie notable des grands chasseurs commerciaux se reconvertiront comme guides de chasse, après la seconde guerre mondiale, à l’exemple d’Etienne Canonne et d’Edouard Tiran dont les descendants sont toujours des guides réputés, au Tchad et en RCA, puis, dans les années 1950, en RCA, sur le modèle de Jean Laboureur et de Daniel Henriot, chasseur de crocodiles et écrivain de renom.