• Aucun résultat trouvé

3 1561-1567 Reine d’Écosse

4.1. Les nouveaux geôliers

Quand Marie Stuart passe la frontière anglaise, elle a vingt-six ans. Elle a été reine de France pendant quinze mois, régente active d’Écosse pendant sept ans. Elle a été mariée trois fois, elle a un enfant dont elle n’a pu s’occuper que treize mois. Elle arrive en Angleterre suppliante, mais elle se dit reine et elle restera reine jusqu’à sa mort.

Le début de son emprisonnement de dix-neuf ans est marqué par des activités diplomatiques pour mettre les choses à leur place : où héberger une reine en fuite réputée criminelle ? Cecil est dans son élément. Marie Stuart est déplacée d’une forteresse à l’autre. L’audience de York et Westminster, convoquée en octobre 1568 pour traiter la question de la complicité de la reine à l’assassinat de son second époux Henri, lord Darnley, conclut que Marie Stuart n’est pas déclarée coupable, mais pas non plus innocente. Lors de ces conférences surgissent, littéralement sorties d’une boîte, d’un coffret, mais réellement présentées des mains des contradicteurs de la reine, les prétendues « Casket Letters ». Ces lettres – et incluant un cycle d’onze sonnets et d’un sizain – resteront pour la durée du tribunal un point d’accusation grave avec l’effet que Marie Stuart n’acceptera pas les juges du parti opposé et empêchera elle-même son acquittement112. Cecil fait publier ces documents qui apparemment prouvent la participation active de la reine aux crimes qu’on lui reproche : la Detection on the doings

of Mary Queen of Scots de John Knox entame le procès de la reine d’Écosse, mais, jusqu’à

nos jours les « Casket Letters » n’arrêtent pas d’attiser le feu de la discussion sur leur authenticité. Même la déclaration contraire, aussitôt proclamée par John Leslie, évêque de Ross et allié de la reine d’Écosse, ne peut plus faire changer d’avis les nouveaux geôliers113.

Aux cours des années où Marie Stuart est placée sous la surveillance de William Cecil, ses alliés découvrent trois complots qui ont pour but de mettre en liberté la reine d’Écosse et de détrôner Élisabeth Ière : en septembre 1571 celui du commerçant et avocat florentin Ridolfi, en 1584 celui de Throckmorton, en 1586 celui de Babington. Cecil intercepte les lettres chiffrées que Marie Stuart écrit de sa prison. Son adjoint, Thomas

112

Elles manquent d'originaux français dès le début. S'avèrent-elles des faux de Maitland, secrétaire de Marie Stuart, et de Buchanan traducteur ? Le point de l'authenticité des « Casket Letters et Sonnets » est discuté infra, ch. II, Transmission.

113

35

Phelippes, aussitôt apte à déchiffrer les codes de la reine, devient faussaire professionnel de son écriture. Ensemble ils coopèrent avec William Maitland, secrétaire privé de la reine, qui sait falsifier l’écriture de Marie Stuart et qui est marié à Mary Livingstone, une de ses suivantes les plus attachées.

En 1586, quand le jeune Babington est inculpé d’un attentat sur Élisabeth, Marie Stuart tombe dans le piège en écrivant une lettre au prévenu ce qui fait d’elle une complice. C’est sur la base de ce faux-pas que Cecil pourra exiger sa condamnation à mort.

Elle est dite coupable le 25 octobre 1586 à Fotheringhay, sa dernière prison. Élisabeth, malgré elle, signe la sentence. Elle reste incapable de se déterminer quant à la culpabilité, réelle ou non, de sa « bonne sœur ». Que faire ? Hésiter, retirer, démentir sont les grandes faiblesses de la reine vierge. Finalement, c’est le conseil privé qui décide d’exécuter Marie Stuart – à l’insu d’Élisabeth. Au début de 1587, soudain la cause est urgente : Marie Stuart est informée la veille de l’exécution, le 7 février 1587114. Elle passe une nuit à écrire. Ce qu’elle a aimé faire toute sa vie : une dernière lettre à son aumônier Préau et à son beau-frère Henri III, ainsi que son testament115. Une femme qui prend la plume.

114

Coïncidence voulue ? Son second mari, Henri Darnley, était né le 8 décembre 1546, assassiné le 10 février 1567. Marie Stuart a vécu du 8 décembre 1542 au 8 février 1587.

115 Lettres du 7 et du 8 février 1587, cf. Labanoff 1844, t. VI, p. 484, 491-497. La date du 8 février correspond

36

II. L

A TRANSMISSION

:

VUE D

ENSEMBLE DU CORPUS

Le corpus des écrits de Marie Stuart comprend deux parties principales : les écrits en vers et les écrits en prose. On peut y ajouter la vaste correspondance que la reine entretint avec de nombreuses personnes. Mais ces lettres ne font pas explicitement partie de son œuvre littéraire et ne sont donc pas sujet de cette recherche1

. Quant aux écrits en vers, il faut distinguer entre les autographes d’une part et les poèmes attribués à Marie Stuart, soit par des auteurs contemporains, soit par la postérité. Une troisième catégorie est constituée par les poèmes que lui ont attribués ses adversaires et qui ont fait l’objet de disputes dès son vivant.

La présente étude se limite aux autographes de Marie Stuart tout en les situant aussi précisément que possible dans le corpus entier des écrits en vers de la reine. De nos jours, il existe dix-neuf poèmes ou fragments autographes, conservés en trois endroits différents :

1. La Ruskin Gallery de Sheffield (Angleterre) compte parmi ses trésors l’autographe le plus ancien des vers de la reine : le quatrain « Si ce Lieu est pour ecrire ordonn[é] ».

2. La Bibliothèque Bodléienne d’Oxford possède des feuillets autographes contenant quatre poèmes de Marie Stuart : « O Seigneur Dieu, rescevez ma priere » ; « Donnes, Seigneur, don[n]es moy pasciance » ; « Ronsart, si ton bon cueur de gentille nature » et « Que suis-je, helas, et de quoy sert ma vie ? ».

3. La majeure partie des poèmes est constituée de notes marginales consignées sur un codex du XVe siècle, le fameux Livre d’heures de Marie Stuart, conservé depuis le début du XIXe siècle au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Russie à Saint- Pétersbourg. Ce précieux document contient quatorze petits poèmes ou fragments authentifiés comme étant écrits de la main de la reine.

Les auteurs contemporains qui ont transmis des poèmes qu’ils attribuent à Marie Stuart sont les suivants : Brantôme, dans le Recueil des Dames, qui fait mention du poème où Marie Stuart déplore la mort de François II, son premier mari (« En mon triste et doux chant »). Leslie, évêque de Ross, allié de la reine dès son enfance, lui attribue en 1573-74 une méditation de cent vers (« Lorsqu’il convient à chacun reposer »), un sonnet (« L’ire de Dieu par le sang ne s’appaise ») et un huitain (« Puisque Dieu a, par sa bonté imence »). Enfin, Thomas Smith, dit Chalonerus, historien contemporain, nous a transmis en 1579 un

37

poème en latin (« Adamas loquitur ») dans son œuvre historique De republica Anglorum

instauranda. Le poème existe dans une variante latine de Buchanan dont une traduction

française n’a pas été identifiée jusqu’à présent.

Des poèmes de source incertaine et fondés sur des manuscrits divers copiés au XVIe siècle sont connus sous le nom de « Casket sonnets » parce qu’on les aurait trouvés dans un coffret ayant appartenu à la reine d’Écosse. Ils sont au nombre de douze, onze sonnets et un sizain. Dès leur apparition au XVIe siècle l’on s’en servit pour sceller la culpabilité de la reine emprisonnée. L’original français, s’il a existé, n’a jamais été trouvé.

La transmission des poèmes de Marie Stuart s’interrompt ensuite jusqu’à l’aube du XIXe siècle. Le sonnet « Ung seul penser » est présenté en 1804 par Malcolm Laing dans ses recherches des State Paper Office, notamment à la Cotton Library. Markham Thorpe découvre en 1858 deux quatrains dans le Public Record Office, aujourd’hui Archives Nationales à Londres : « Celui vraiment n’a point de courtoisie » et « Les dieux, les cieux, la mort et la haine ».

Cinq autres petits poèmes ou distiques sont attribués à la reine par différentes sources et contribuent à alimenter la tradition romanesque qui s’est très tôt ébauchée après sa mort. Quant aux Quatrains à son fils, envoyés au Collège d’Edimbourg en 1626 et encore mentionnés en 1656, on semble avoir perdu toute trace de leur existence.