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1. CONTEXTE DE L’ETUDE

1.4. UNE FAIBLE LITTÉRATIE EN SANTÉ : LA PARTICULARITÉ DE LA

1.4.1. Les nombreuses difficultés rencontrées à la pharmacie

Nous venons de voir qu’une faible LES est un frein à l’accès aux soins de manière générale. C’est particulièrement vrai pour la Pharmacie où un patient peut être confronté à de multiples difficultés. En voici une liste non-exhaustive :

- Expliquer correctement au pharmacien ses symptômes pour pouvoir recevoir un conseil adapté du pharmacien dans le cas des médicaments non soumis à prescription ;

- Lire et comprendre l’ordonnance du médecin, la notice ou les informations inscrites sur les boites de médicaments ;

- Comprendre les consignes du pharmacien concernant les médicaments (indication, posologie, précautions d’emploi etc…) ;

- Prendre correctement ses médicaments : bonne voie d’administration, bon dosage, bonne fréquence… ;

- Calculer correctement la dose d’un médicament à prendre ou à donner à ses enfants (ex : notion de « dose-poids », confusion mg et mL) ;

- Alerter le pharmacien en cas d’allergie(s) connue(s) ou d’intolérances ; - Tenir compte de la date de péremption d’un médicament ;

- Déterminer la quantité de sel sur une étiquette alimentaire dans le cadre d’un régime hyposodé ;

- Remplir un carnet de suivi, par exemple de glycémie ou de tension artérielle ; - Comprendre le fonctionnement du système de remboursement par la Sécurité

Sociale et la complémentaire santé (notion de tiers payant).

Dans leur article « Functional Health Literacy and Medication Use : the Pharmacist’s

role » (61), Youmans et Schilinger rapportent deux cas cliniques illustrant parfaitement

les conséquences d’une faible LES lorsqu’il s’agit de médicaments.

Le premier cas est celui d’un homme de 66 ans, mis sous traitement Anti-Vitamine K (AVK), suite à une hospitalisation pour fibrillation atriale. La Warfarine était prescrite à

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raison de 3 comprimés à 1 mg le soir, à alterner un jour sur deux avec 4 comprimés à 1 mg le soir. Le médecin de l’hôpital lui avait remis l’ordonnance de sortie et donné les instructions oralement. Deux semaines plus tard, le patient fut admis aux urgences pour une perte de connaissance avec maelena (du sang dans les selles). Son International Normalized Ratio (INR) était à 39 (norme : 2-3), et son hématocrite à 21 % (norme : 42 – 54 %). Le patient n’avait pas osé dire au médecin qu’il ne savait pas lire et n’avait pas osé « déranger » le personnel médical débordé avec des questions. Il avait alors pris 7 comprimés de Warfarine chaque soir et cette erreur médicamenteuse avait provoqué une hémorragie.

Le deuxième cas est celui d’une jeune américaine qui avait donné par erreur 12,5 cuillères à café de Solupred ® Sirop par jour à sa fille de 2 ans. La posologie notée sur l’étiquette du flacon était « Donner 2,5 cuillères à café par jour », et le médecin lui avait dit oralement de donner 12,5 mL de sirop (ce qui correspond à 2,5 cuillères à café). L’erreur avait été identifiée par l’équipe de la pharmacie lorsque la mère était revenue deux jours plus tard réclamer des flacons supplémentaires pour finir le traitement de sa fille.

Ces deux cas illustrent bien la dangerosité potentielle d’une mauvaise compréhension de l’ordonnance due à une faible LES et l’importance du Pharmacien pour limiter au maximum ces erreurs.

Les difficultés de compréhension d’une prescription de médicaments sont fréquentes, même pour les personnes ayant un niveau convenable de LES. Selon le rapport ESPS 2008, 80,2 % des français sont sortis de leur dernière consultation chez leur médecin généraliste avec une ordonnance de médicaments (62). Toujours lors de cette consultation, à la question « Avez-vous compris les explications de votre médecin ? », 84,1 % des patients interrogés ont répondu « Oui, tout à fait » et 7,7 % n’ont que « partiellement compris » ou « pas du tout compris » les explications.

Lors de ma recherche bibliographique et afin de mieux cerner le sujet de cette thèse, j’ai été à la rencontre de personnes en situation d’illettrisme ou de FLE dans trois associations de Chambéry entre octobre et décembre 2016.

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La première association, l’Association Quartier Centre Ville (AQCV), propose des cours d’alphabétisation et d’apprentissage de « français vie quotidienne » plusieurs fois par semaine à un public majoritairement étranger et non francophone.

La seconde association, AGIR, va à la rencontre de jeunes femmes d’origine maghrébine hébergées temporairement dans le foyer des Épinettes de Barby (73), et organise deux fois par semaine des ateliers de français (petits jeux de grammaire, vocabulaire etc…).

Enfin, l’Association Savoirs pour Réussir, accompagne des adolescents aux parcours difficiles, généralement déscolarisés, parfois sans domicile fixe, dans leur projets personnels et professionnels (apprendre à se servir d’internet, apprendre le code de la route, faire un curriculum vitae pour trouver un apprentissage en entreprise, remplir des papiers administratifs, etc.).

Lors d’entretiens individuels, j’ai pu échanger avec plusieurs personnes sur leurs difficultés liées à l’apprentissage de la langue française, et en particulier sur les difficultés qu’elles ont pu avoir en allant à la pharmacie. M’inspirant du travail du Dr. Ait-Braham dans sa thèse de médecine (63), je leur ai proposé une liste de mots issus du vocabulaire médical et pharmaceutique. Si la personne ne savait pas lire, je lisais les mots à voix haute, sinon je leur faisais lire et leur demandais de me donner la signification de chaque mot. Sur sept entretiens réalisés, six personnes ont accepté de participer à ce test présenté comme un petit jeu à la fin de notre échange. Le verbatim intégral des entretiens est présenté en annexe 7. Voici les résultats du test de connaissance des mots (figure 16).

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Figure 16: Test de connaissance des mots effectué lors des entretiens avec des personnes illettrées ou FLE

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

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On se rend bien compte que certains termes, pourtant utilisés couramment dans le langage médical vulgarisé et dans les médias comme « mycose » ou « antalgique » sont difficilement compréhensibles pour certaines personnes.

Le pharmacien a un rôle important dans la prise en charge des personnes ayant une faible LES. Nous allons voir pourquoi et comment dans la partie qui suit.