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Première partie Introduction

Chapitre 1 Les Mystères urbains

Ce chapitre vise à introduire le sous-genre des mystères urbains que nous avons évoqué en introduction et à éclaircir les liens qui unissent les romans qui le constituent. Ce faisant, nous nous efforcerons de donner un aperçu du contexte très particulier dans lequel ces œuvres voient le jour. Elles surgissent en effet dans un paysage médiatique en ébullition qui change radicalement avec l‟apparition de la « presse moderne ». De façon plus précise encore, Les Mystères de Paris eux- mêmes inaugurent Ŕ engendrent Ŕ un « âge d‟or » pour le roman-feuilleton1. Les impératifs de ce qui n‟était initialement qu‟un simple mode de publication contribuent au développement d‟une véritable poétique feuilletonesque et provoquent des changements importants dans les critères critiques et commerciaux d‟appréciation des œuvres. Le roman-feuilleton constitue donc une facette essentielle de ce que René Guise a appelé la crise de croissance du roman2.

Notre première tâche consistera à retracer la transformation qui affecte la grande presse en 1836 puisque celle-ci influence profondément les romans de notre corpus. Dans un second temps, nous nous pencherons sur un aspect fondamental de cette évolution : l‟usage de la littérature comme un argument de vente dans les quotidiens politiques, qui ouvre la voie à l‟apparition du roman-feuilleton. Si la réussite est immédiate, il faut attendre Les Mystères de Paris pour qu‟elle prenne les proportions gigantesques que nous lui connaissons. Ce roman sera donc l‟objet de deux sections, l‟une consacrée à sa genèse Ŕ et aux préjugés qui l‟entourent Ŕ et l‟autre aux différents indicateurs de son succès pour apprécier ce dernier à sa juste valeur. Ce n‟est que muni de ce tableau que nous pourrons définir et repérer, dans la section finale, les œuvres que nous étudierons par la suite.

1. Jean-Claude Vareille, L'Homme masqué, le justicier et le détective, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, « Littérature et idéologies », 1989, p. 17.

2. René Guise, Le Roman-feuilleton (1830-1848) : la naissance d'un genre, thèse principale pour le Doctorat d'État, Université de Nancy, 1975, t. I, p. 699.

La « nouvelle » presse

L‟entrée de la France dans « l‟ère médiatique3 » se fait le 1er juillet 1836 avec la fondation de La Presse par Émile de Girardin et du Siècle par Armand Dutacq4. Ces deux journaux sont fondés sur les mêmes calculs financiers et révolutionnent le monde de la presse. Toutefois, alors que le quotidien de Girardin est férocement attaqué, celui de Dutacq réussit à éviter la polémique5. Parmi les raisons qui expliquent cette situation, mentionnons d‟abord qu‟ils s‟opposent sur l‟échiquier politique : La Presse adopte une « ligne conservatrice » alors que son rival se range du côté de « l‟opposition démocratique6 ». L‟alignement du journal de Girardin avec le gouvernement lui attire instantanément les foudres des quotidiens de l‟opposition.

Ajoutons que Girardin ne fait pas l‟unanimité dans le milieu de la presse parisienne, d‟abord parce qu‟il est marginalisé en raison de sa bâtardise. Il s‟est fait connaître en 1826-1827 avec Émile, un roman à saveur autobiographique, mais s‟impose surtout comme un fécond créateur de journaux. Le 5 avril 1828, il fonde ainsi Le Voleur, Bulletin littéraire, scientifique et industriel de la semaine, une publication bidécadaire qui reprend sans autorisation des articles parus dans les

3. Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, 1836 : l'an I de l'ère médiatique. Analyse littéraire

et historique de La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2001.

4. Maurice Reclus écrit que Girardin « entra en pourparlers avec un autre puissant anima- teur de la presse du temps, Dutacq, propriétaire et fondateur du Droit, qui trouva son idée excellente; une association s‟ébaucha, mais les pourparlers furent rompus, Girardin désirant formellement se réserver la rédaction en chef du nouvel organe, que Dutacq prétendait occuper lui-même. Sur quoi, Girardin ayant lancé le 16 juin le numéro-spécimen de la Presse, Dutacq, marchant délibérément sur les brisées de son rival, lança le 23 juin 1836 le numéro-spécimen du Siècle, journal à 40 francs » (Maurice Reclus, Émile de Girardin : le créateur de la presse moderne, Paris, Librairie Hachette, « Figures du passé », 1934, p. 83).

5. Dutacq alimente la controverse entourant La Presse, évitant à son propre journal de se retrouver sous les feux de la rampe. Pour un portrait de la levée de boucliers qu‟entraîne la création de La Presse, voir les ouvrages déjà cités de Maurice Reclus et de Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant. Pour un compte rendu des manœuvres de Dutacq, notamment par l‟entremise du Charivari, voir René Guise, « Balzac et le roman-feuilleton », L'Année balzacienne 1964, pp. 283-338 [article recueilli dans Balzac, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, « Littérature française », 1994, pp. 57- 104] et Patricia Kinder, « Un directeur de journal, ses auteurs et ses lecteurs en 1836 : autour de La

Vieille fille », L'Année balzacienne 1972, pp. 173-200.

6. Maurice Reclus, op. cit., pp. 86-87 et p. 94. Girardin a proposé « un véritable pacte d‟al- liance » à Guizot et il « n‟apparaît pas que ce pacte ait été repoussé et, pendant les deux ans et demi que [dure] le ministère Molé, Girardin lui prêt[e] un concours aussi énergique qu‟infatigable » (ibid., p. 133). Cette bonne entente ne prend fin qu‟en 1846 (p. 152).

quotidiens français et étrangers. Il est intéressant de rappeler une anecdote concernant sa création : n‟ayant pu amasser que 500 francs pour les frais d‟impression, Girardin les emploie plutôt en totalité en annonces et récolte plusieurs milliers de francs7. Il réutilisera fréquemment ce type de stratégie publicitaire au fil de sa carrière. Il ne faut cependant pas en déduire que le succès du Voleur est dû au hasard et à l‟improvisation :

En réalité, la réussite de l‟entreprise est le fruit d‟un plan minutieux, servi par d‟heureuses circonstances. […] Privé d‟identité et d‟héritage par une société jalouse de ses privilèges, Girardin imagine d‟édifier sur les carences de la législation en matière de propriété intellectuelle une fortune8.

Le projet témoigne du regard perçant et lucide que Girardin porte sur la presse et sur le monde éditorial. Le Voleur est une réussite grâce à sa « formule attrayante et inédite », à sa « franchise provocante » et à son aspect « très vivant9 ». Ce triomphe lance Girardin dans le domaine de la presse et plusieurs quotidiens tentent, avec plus ou moins d‟efficacité et de succès, de copier la formule du Voleur10.

Girardin fonde ensuite La Mode, revue des modes, galerie des mœurs, album

des salons le 3 octobre 1829. Il s‟attaque ainsi à un domaine sur lequel règne depuis

une trentaine d‟années le Journal des dames et des modes de Pierre La Mésangère11. Organisant sa revue autour de trois thèmes Ŕ la femme, la mode, les mœurs Ŕ, il réussit son pari en réunissant autour de lui, avec un talent qui ne lui fera jamais défaut, une équipe de collaborateurs appelés à devenir célèbres, notamment Balzac, Alexandre Dumas, Alphonse Karr, George Sand et Eugène Sue12.

7. Maurice Reclus, op. cit., p. 54.

8. Roland Chollet, Balzac journaliste : le tournant de 1830, Paris, Klincksieck, 1983, p. 72. 9. Ibid., p. 75.

10. Roland Chollet en énumère quelques-uns : L’Atlas, magasin des sciences, de la littérature

et des théâtres (6 novembre 1828), Le Forban historique, littéraire et dramatique (1er avril 1829), le

Pirate, revue hebdomadaire de la littérature et des journaux (30 août 1829), Le Compilateur, revue de la semaine, esprit des journaux (6 septembre 1829) et Le Cabinet de lecture (4 octobre 1829)

(ibid., pp. 79-82).

11. Ibid., pp. 222-223. 12. Ibid., p. 241 et p. 245.

Girardin crée ensuite le Journal des connaissances utiles en octobre 1831 qui offre, « moyennant quatre francs par an, trente-deux pages mensuelles d‟infor- mations pratiques sur les sciences et les techniques13 ». Avec un tel prix d‟abonnement et parce qu‟elle vise un public plus populaire, l‟entreprise paraît risquée et Girardin ne ménage pas ses efforts, particulièrement dans les annonces. Le succès ne se fait pas attendre : en décembre 1832, le journal compte près de 132 000 abonnés14. La vague d‟imitations qu‟il déclenche témoigne de l‟aspect précurseur du projet : plusieurs concurrents, avec au premier chef Le Magasin pittoresque (1833), s‟attaquent à ce marché, diminuant d‟autant la domination du Journal des

connaissances utiles qui n‟a plus que 20 000 abonnés en 183515. Cette réussite assure néanmoins définitivement la fortune de Girardin16.

Ce ne sont que quelques-uns des projets du fondateur de La Presse17. Nous les avons évoqués pour tracer le portrait d‟un inlassable créateur de journaux doté d‟un réel génie de la presse. Tout au long de sa carrière, cet homme, dont on a dit qu‟il était « né journal18 », innove et oblige ses compétiteurs à suivre les mouvements qu‟il initie. Les publications que nous avons mentionnées lui ont d‟ailleurs permis « de réfléchir au cocktail détonnant que sera le quotidien qu‟il rêve depuis longtemps de fonder : un journal à prix réduit, visant un lectorat élargi19 ». Ces réussites ont aussi fait plusieurs envieux et lui ont attiré quelques ennemis, d‟autant plus qu‟il se lance dans la carrière politique en se faisant élire député à la Chambre en 1834 Ŕ en mentant sur son âge20. Maurice Reclus affirme ainsi que la fondation de La Presse doit être pensée dans le cadre du désir de Girardin de

13. Stéphane Vachon, Le Courrier Balzacien, n° 100, « Les Rivalités d'Honoré de Balzac » (2005-3/4), p. 18.

14. Maurice Reclus, op. cit., p. 69.

15. Christophe Charle, Le Siècle de la presse (1830-1939), Paris, Seuil, « L'Univers histo- rique », 2004, p. 67.

16. Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, op. cit., p. 15.

17. Il fonde aussi, entre autres, La Silhouette (24 décembre 1829), le Feuilleton des journaux

politiques (3 mars 1830), L’Almanach de France (1833) et Le Musée des familles (3 août 1833).

18. Maurice Reclus, op. cit., p. 52.

19. Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, op. cit., p. 37. 20. Maurice Reclus, op. cit., pp. 74-75.

répondre à ses détracteurs21, ce qui explique que, contrairement au Siècle, elle n‟échappe pas à la polémique : elle en est issue et lui est destinée.

Avec ce quotidien, Girardin, qui a été jusqu‟à la fin de sa vie un grand polémiste22, recherche donc la controverse. En témoigne aussi sa stratégie de mise en vente qui n‟hésite pas à prendre à partie ses concurrents, particulièrement au niveau financier. De façon provocante, Girardin met l‟argent au cœur de son projet et en fait un argument de vente : le prospectus de La Presse présentent les calculs du budget d‟un journal traditionnel et celui de son « nouveau » journal. Cette formule doit assurer sa rentabilité et sa crédibilité puisque, selon Girardin, devant plaire au plus grand nombre, le quotidien ne « peut vivre qu‟autant [qu‟il] est l‟organe véridique et impartial du pays23 », offrant un journal détaché des partis politiques.

La « formule » de Girardin nécessite que nous nous y arrêtions quelques instants. Elle résulte de plusieurs années d‟une réflexion alimentée par ses expériences médiatiques et dont on voit l‟évolution dans divers écrits consacrés au monde de la presse24. Girardin conclut à la nécessité de réformer ce milieu, d‟y insuffler un changement qui sera lui-même

inséparable d‟un effort à accomplir dans le sens de la diffusion de l‟instruction primaire; il ne con[çoit]t la presse que comme instrument d‟éducation des masses, cette éducation devant avoir elle-même pour résultat immanquable d‟augmenter indéfiniment le public des journaux,

21. Ibid., p. 82.

22. « Girardin fut un polémiste hors pair, et son talent fut à cet égard servi par la forme qu‟il avait de bonne heure adoptée : ces phrases courtes, ces fréquents passages à la ligne, cette pro- gression par sauts ou, si l‟on préfère, par saccades, donnent à sa dialectique une indéniable puissance » (ibid., p. 173).

23. La Presse, 15 juin 1836 (prospectus), p. 1, col. 3.

24. Projet de législation transitoire de la Presse Périodique (1830), Notes sur la Presse

périodique (avril 1831) Ŕ qu‟il remet à Casimir Perier Ŕ, De l’influence exercée par le ‘‘Journal des connaissances utiles’’ sur le progrès des idées, de l’instruction et des mœurs en France, et de quelques vues particulières sur la presse périodique et le commerce de la librairie (1834) et Moyens législatifs de régénérer la presse périodique, d’étendre la publicité et de régler la polémique, sans inquisition intérieure, censure, délation, cautionnement ni timbre (1835) (voir notamment Marie-Ève

la presse ne satisfaisant ainsi les besoins intellectuels de la foule que pour les multiplier sans limites25.

Le succès du Journal des connaissances utiles a éclairé Girardin sur les possibilités de rendre la presse accessible à un vaste public : il veut « intégrer à la société en place, par l‟accès à la culture de la classe dominante, les forces vives de la nation : la jeunesse et l‟élite des classes inférieures26 ». Il l‟affirme dans son prospectus, soulignant que cette presse repensée « forme le jugement de lecteurs nouveaux, […] étend le bon sens public [et] active la circulation des idées27 ». Son projet promet donc de bouleverser les fondations mêmes du monde de la presse, dont la « mission sacrée de répandre des idées » est considérée par plusieurs comme un « sacerdoce28 ». N‟oublions pas que, dans le premier tiers du XIXe siècle, les grands journaux « se définissent essentiellement par leur positionnement politique. Ils sont conçus comme des organes au service de partis et de doctrines, plutôt organes d‟opinions que d‟informations29 » tandis que La Presse sera le « journal Girardin » et celui des lecteurs qui se reconnaissent dans ce journal. Chaque grand quotidien est marqué par une allégeance politique et s‟abonner consiste à choisir un camp. Ces journaux sont destinés non au plus grand nombre mais à une minorité constituée pour l‟essentiel par les électeurs, c‟est-à-dire généralement, dans la démocratie censitaire du régime de Louis-Philippe, par une bourgeoisie ancienne, conservatrice et assise sur des propriétés (André-Jean Tudesq et Jean Rudel estiment cette bourgeoisie à 200 000 individus30). Ajoutons que, depuis leur implication dans la révolution de 1830, les journaux forment un véritable quatrième pouvoir. En proposant d‟en élargir l‟accès, Girardin commet un véritable crime de lèse-majesté.

25. Maurice Reclus, op. cit., p. 81.

26. René Guise, Le Roman-feuilleton (1830-1848), op. cit., t. I, p. 633. 27. La Presse, 15 juin 1836 (prospectus), p. 1, col. 3.

28. Maurice Reclus, op. cit., p. 92.

29. Marie-Ève Thérenty et Alain Vaillant, op. cit., p. 28.

30. André-Jean Tudesq et Jean Rudel écrivent ainsi que « seuls les 200 000 citoyens les plus riches participaient aux élections » (1789-1848, Paris, Bordas, « Collection d'histoire », 1961, p. 458). Pour être un électeur, il fallait avoir au moins 25 ans et payer 200 francs (ibid., p. 450). Sur le poids démographique des électeurs, voir aussi Christophe Verneuil, Histoire politique de la France

Girardin établit le budget de son journal sur un système comprenant deux postulats : « Plus l‟abonnement est réduit et plus la propagation s‟opère rapidement, plus le nombre des abonnés s‟étend et plus le produit des annonces s‟élève31 ». Ainsi, alors que les journaux similaires sont offerts à 80 francs par année (à l‟exception du Siècle qui repose aussi sur ce nouveau modèle), La Presse vend ses abonnements à 40 francs pour atteindre un plus large tirage (l‟objectif est de 10 000 exemplaires). La rentabilité sera alors assurée par la vente d‟annonces qui deviendra la principale source de financement. Il convient d‟examiner cette équation qui, si elle paraît simple aujourd‟hui, a bouleversé le paysage médiatique de l‟époque.

Disons d‟abord que chaque élément de la formule a été « testé » par d‟autres. Ainsi, attribuer un rôle accru à la publicité dans le financement est une stratégie commerciale du Times de Londres que Girardin évoque dans son prospectus, soulignant que ce seul quotidien génère en moyenne 750 000 francs alors que « les annonces des trois principaux journaux de Paris s‟élèvent annuellement de 200 à 250,000 francs32 ». De même, plusieurs directeurs ont tenté d‟offrir des quotidiens plus abordables mais aucun n‟a connu le succès. Ainsi, en 1834, le Bon Sens,

journal populaire de l’opposition constitutionnelle est vendu 60 francs par an mais

son prix monte à 80 francs l‟année suivante. En 1835, un nouveau Figaro est annoncé à 36 francs par an mais le prix modique ne suffit pas à attirer les abonnements33. En 1836, plusieurs quotidiens tentent leur chance. Dès le mois de mars, le Journal général de France est offert à 48 francs par an34 et, en juin, le

31. Le Siècle justifie son calcul d‟une façon analogue : « Cette propagation, qui doit ainsi devenir extrêmement large, assure par conséquent dans la même proportion, le succès de l‟entreprise, 1o par le bénéfice sur les abonnemens, qui, pour être restreints, n‟en sont pas moins réels; 2o par le

revenu des annonces surtout, qui s‟augmente toujours, nous le répétons, en raison directe du nombre des abonnés. Nous devions ces explications loyales au public pour écarter toute idée de charlatanisme d‟une publication qui n‟a été faite qu‟après de mûres réflexions et de sévères calculs » (« Société du journal Le Siècle », supplément au prospectus du 23 juin 1836, pp. II-III).

32. La Presse, 15 juin 1836 (prospectus), p. 1, col. 2 et 3.

33. René Guise, Le Roman-feuilleton (1830-1848), op. cit., t. I, pp. 626-627. René Guise évoque aussi La Monarchie représentative, qui renonce au début de 1836 (p. 641).

34. Jean-Pierre Aguet, « Le tirage des quotidiens de Paris sous la Monarchie de Juillet »,

Revue suisse d’histoire, vol. X, n° 2, 1960, p. 231. Il disparaît en 1840 (Eugène Hatin, Bibliographie historique et critique de la presse française, Paris, Librairie de Firmin Didot frères, fils et Cie, 1866,

quotidien La Renommée est lancé, vendu d‟abord 48 francs, puis, à la fin du mois d‟août, 40 francs par an. Il ne peut toutefois tenir le rythme qu‟imposent La Presse et Le Siècle à partir de juillet et cesse de paraître abruptement en octobre 1836.

Le mérite de Girardin consiste à avoir réuni avec succès ces éléments dans une stratégie globale. La réussite n‟est cependant pas automatique, comme en fait foi l‟échec du Publicateur, journal quotidien, politique, littéraire, des sciences et des

arts lancé en 1832. Son fondateur, Stanislas Giberton, « est le premier à lier le

rapport de la publicité au nombre des abonnements d‟une part, et le nombre des abonnements à la variété du journal et à la modicité du prix d‟abonnement35 ». René Guise souligne toutefois que pour Giberton, « le but est la diffusion des annonces, le reste n‟est que moyen pour l‟obtenir. Chez Girardin le moyen sera l‟annonce; le bon marché et la diffusion du journal seront le but36 ». Giberton échoue parce qu‟il ne renouvelle pas le contenu du Publicateur alors que Girardin en fera quant à lui une priorité de La Presse.

La baisse du prix de l‟abonnement, que suivent presque tous les « anciens » quotidiens quelques mois après la naissance du Siècle et de La Presse37, n‟explique donc pas seule le succès des « nouveaux » journaux. Marie-Ève Thérenty évoque d‟autres causes à propos de La Presse :

[U]n goût pour la polémique Ŕ bien que le journal s‟en défende Ŕ, un soutien net de septembre 1836 à avril 1837 à l‟équipe gouvernementale en place, le développement de théories sociales et politiques aptes à séduire ces classes moyennes qui pouvaient s‟offrir l‟abonnement38.

35. René Guise, Le Roman-feuilleton (1830-1848), op. cit., t. I, p. 124. 36. Ibid.

37. « Plusieurs journaux : La Loi, L’Europe, Le Monde furent fondés peu de temps après La

Presse sur les principes de Girardin. Parmi la „„vieille‟‟ presse, La Paix (juillet 1837), le Journal de Paris (février 1837), baissèrent leur abonnement à 40 F par an. Le Bon Sens (décembre 1837), L’Écho Français (avril 1837) et Le National (août 1837), baissèrent leur prix à 60 F par an. D‟autres

journaux, peu désireux d‟avouer d‟une façon aussi évidente le triomphe de Girardin préfèrent grandir leur format plutôt que d‟abaisser leur prix. Il en fut ainsi avec le Journal des débats, (le 1er mars

1837); La Gazette de France (le 16 mars 1837); et Le Temps (le 16 mars 1837) » (Patricia Kinder,

loc. cit., p. 184).

Si le « soutien » qu‟offre le journal de Girardin au gouvernement alimente le ressentiment des quotidiens de l‟opposition, il contribue aussi, selon Marie-Ève Thérenty, à son succès. Il appert en fait que la « politique » est appelée à ne plus être la seule raison d‟être des grands quotidiens. Jean-Pierre Aguet écrit d‟ailleurs que La

Presse et l‟organe de la gauche dynastique qu‟est Le Siècle sont « politiques sans

doute, mais de façon vague, empirique, jamais primordiale, précisément pour éviter de s‟aliéner des lecteurs39 ». Si ce constat ne s‟impose pas de façon indéniable au

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