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Partie 2 : Le microenvironnement tumoral

II. Les fibroblastes associés aux carcinomes

2) Les myofibroblastes

Les myofibroblastes ou fibroblastes activés ont été décrits pour la première fois dans la peau, au cours du processus de cicatrisation, comme des cellules ressemblant aux cellules des muscles lisses (Gabbiani et al., 1971). Morphologiquement, les myofibroblastes sont identifiés par leur capacité contractile due à une activité importante de l’actomyosine que l’on pourrait comparer aux fibres de stress observées in vitro. Contrairement aux myofibroblastes, les fibroblastes normaux possèdent une organisation corticale de l’actine. Les myofibroblastes sont caractérisés par l’expression de l’αSMA (Darby et al., 1990), même si celle-ci est parfois absente dans de rares situations comme dans le septum alvéolaire du poumon ou dans les phases précoces de la cicatrisation cutanée (Hinz et al., 2001; Kapanci et al., 1992).

La différenciation de fibroblastes en myofibroblastes est séparée en deux phases. Premièrement, un stress mécanique (et parfois une stimulation par le facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF)) induit la formation de proto-myofibroblastes, possédant des fibres de stress générant des forces contractiles sur la MEC mais n’exprimant pas d’αSMA. Puis une stimulation par le TGFβ permet la différenciation en myofibroblastes avec expression de l’αSMA, l’augmentation de fibres de stress, l’apparition de nombreuses adhérences focales et la sécrétion de différents composés de la MEC comme le collagène et la fibronectine (Hinz et al., 2001; Tomasek et al., 2002).

Cette différenciation est induite notamment lors des processus de cicatrisation, dans lesquels les myofibroblastes synthétisent la nouvelle MEC et génèrent des forces de tractions nécessaires à la fermeture de la blessure (Desmoulière et al., 2005; Hinz et al., 2003; Tomasek et al., 2002). A la fin du processus de cicatrisation physiologique, les myofibroblastes disparaissent selon une cascade d'événements encore mal expliqués. L’hypothèse principale serait que les cellules myofibroblastiques disparaitraient par apoptose (Desmoulière et al., 1995; Grinnell et al., 1999; Moulin et al., 2004).

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Un autre phénomène faisant intervenir les myofibroblastes est la fibrose. Elle se caractérise par une persistance des myofibroblastes responsables à la fois d'une production anormalement élevée de MEC et de sa contraction, aboutissant à un durcissement du tissu (Rosenbloom et al., 2010; Wynn and Ramalingam, 2012). Ce phénotype est observé dans le stroma des carcinomes, ou l'on parle communément de fibrose tumorale. Dvorak était le premier à souligner des similitudes entre cicatrisation et développement tumoral en définissant la tumeur comme « une cicatrice qui ne guérit pas » (Dvorak, 1986).

3) Les fibroblastes associés aux carcinomes.

a. Définitions et caractérisation des fibroblastes associés aux carcinomes.

Les fibroblastes représentent la population cellulaire la plus importante du microenvironnement tumoral. Dans les premières étapes de la cancérogénèse, ils possèdent un rôle antiprolifératif (Schauer et al., 2011). Cependant, une fois activés et recrutés, les fibroblastes évoluent en FAC qui possèdent de nombreuses propriétés pro-tumorales (Hanahan and Coussens, 2012; Kalluri, 2016; Kalluri and Zeisberg, 2006). Contrairement aux myofibroblastes, les FAC ne rentrent pas en apoptose et persistent dans le MET (Figure 10) (Cirri and Chiarugi, 2012; Gascard and Tlsty, 2016; Kalluri, 2016). Une fois recrutés au sein de la masse tumorale et activés par les cellules cancéreuses, ils participent activement à chaque étape de la tumorigénèse, de l’initiation jusqu’au développement métastatique (Cirri and Chiarugi, 2012; Gascard and Tlsty, 2016; Kalluri, 2016; Marsh et al., 2013). Comparés aux fibroblastes normaux, les FAC présentent des différences morphologiques et fonctionnelles proches de celles des myofibroblastes. Même s’il n’existe toujours pas de marqueurs spécifiques de FAC à ce jour, différents marqueurs sont utilisés, souvent en combinaison, afin de déterminer leur présence. Le marqueur le plus souvent utilisé est l’expression de l’αSMA (Desmoulière et al., 2004; Kalluri and Zeisberg, 2006), même si des études récentes ont démontré l’existence de FAC négatifs pour l’αSMA (Albrengues et al., 2014a; Öhlund et al., 2017). Les autres marqueurs exprimés par les FAC incluent la ténascine C (De Wever et al., 2004), le protéoglycan NG2 (neuron-glial antigen 2), SPARC (secreted protein acidic rich in cysteine) (Sugimoto et al., 2006), la protéine FAP (fibroblast activating protein) (Kraman et al., 2010), la vimentine, le PDGFRα et PDGFRβ (platelet-derived growth facteur recepteur), le collagène 1 et 11α1 (Vázquez-Villa et al., 2015) et bien d’autres (pour une liste récente voir Gascard and Tlsty, 2016). Tous ces marqueurs sont exprimés à des niveaux variables entre différentes tumeurs mais aussi entre les cellules d’une même tumeur. Cela peut s’expliquer par l’existence de sous-populations de FAC pouvant exercer des effets pro- tumorigéniques distincts (De Wever et al., 2014). Par exemple, Öhlund et al. (2017) ont démontré qu’il existait deux populations différentes de FAC dans le cancer du pancréas: l’une hautement αSMA positive située au niveau du front d’invasion tumorale et sécrétant peu ou pas de cytokines et chimiokines ; et l’autre αSMA faiblement positive, plus éloignée mais avec un phénotype de sécrétion de cytokines pro-inflammatoires plus important. D’autre part, Costea et al. (2013) ont aussi identifié deux sous-types de FAC dans les carcinomes oraux : l’un sécrétant du TGFβ et induisant une TEM au niveau des cellules épithéliales ; l’autre produisant du hyaluronane et induisant la migration et l’invasion des cellules tumorales.

Par conséquent, les FAC constituent une population hétérogène de cellules activées non malignes, d’origines diverses. Il serait donc plus judicieux de parler de « statut cellulaire » plutôt que de cellules spécifiques (Gascard and Tlsty, 2016; Sugimoto et al., 2006).

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Figure 11 : Les diverses origines des fibroblastes associés aux carcinomes.

Les FAC présents au sein d’une tumeur peuvent avoir des origines diverses. La majorité des FAC provient de l’activation des fibroblastes résidents suite à la sécrétion de divers facteurs par les cellules tumorales et immunitaires, ainsi qu’un stress mécanique dû au remodelage matriciel. Les autres sources majeures de FAC sont les cellules souches mésenchymateuses et les cellules endothéliales. Enfin, les péricytes, les cellules tumorales, les cellules des muscles lisses, les cellules inflammatoires et les adipocytes peuvent aussi se différencier en FAC. D’après Zhang and Liu (2013).

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Les différentes sous-populations de FAC présentes dans le stroma tumoral peuvent s’expliquer d’une part par les différences d’accessibilité aux facteurs d’activation comme le TGFβ, et d’autre part par les multiples origines possibles des FAC.

b. Origines.

Comme évoqué précédemment, les FAC proviennent de la transformation de multiples cellules (Figure 11). La principale origine des FAC est le recrutement et l’activation des fibroblastes résidents. En effet, de nombreuses études ont montré que la sécrétion par les cellules tumorales de cytokines comme le TGFβ ou le LIF (leukemia inhibitory factor), ainsi que certains facteurs de croissance comme le PDGF permettaient l’activation des fibroblastes résidents en FAC (Albrengues et al., 2014a; Anderberg et al., 2009; Arina et al., 2016; Rønnov-Jessen et al., 1995; Sumida et al., 2011). La seconde source importante de FAC est les cellules souches mésenchymateuses (CSM) provenant de la moelle osseuse (De Wever et al., 2008; Quante et al., 2011) qui représenterait environ 20 à 25% des FAC dans des modèles murins de cancers de l’estomac et du pancréas (Direkze et al., 2004; Quante et al., 2011). Les CSM sont recrutés et activés dans le microenvironnement tumoral notamment via la sécrétion de TGFβ et de SDF-1 (Direkze and Alison, 2006; Quante et al., 2011). De plus, des études suggèrent que les cellules de carcinomes pourraient se transformer en FAC via le processus de transition épithélio-mésenchymateuse (Petersen et al., 2003). Dans un procédé similaire, les cellules endothéliales ont été décrites comme principale origine de FAC au niveau du front d’invasion par Zeisberg et al. (2007). D’autre part, les cellules musculaires lisses (Rønnov- Jessen et al., 1995), les péricytes (Crisan et al., 2008; Paquet-Fifield et al., 2009), les cellules mésothéliales (Sandoval et al., 2013) et les adipocytes (Bochet et al., 2013; Zhang et al., 2012a) seraient d’autres sources potentielles de FAC dans le stroma tumoral (Orimo and Weinberg, 2007; Xouri and Christian, 2010).

Une fois recrutés et activés, tout comme les fibroblastes issus de tissus fibrotiques, les FAC conservent leur statut activé, même après isolation et culture in vitro (Bechtel et al., 2010; Gaggioli et al., 2007; Kalluri and Zeisberg, 2006). La persistance de ce phénotype est due à des modifications épigénétiques du génome des FAC. En effet, de récentes études ont décrit des différences de méthylation au niveau de promoteurs spécifiques comme RASAL1 (gène codant pour un répresseur de l’oncoprotéine Ras) ou SHP-1 (Src Homology-2 domain-containing phosphatase 1) permettant l’activation constitutive des FAC (Albrengues et al., 2015; Bechtel et al., 2010; Hu et al., 2005).

c. Rôles des FAC.

Les FAC participent à toutes les étapes de la cancérogénèse de l’initiation d’une tumeur à la formation de métastases distantes. Pour cela, ils émettent des signaux oncogéniques par la sécrétion de nombreux facteurs, ils interagissent avec les cellules tumorales via des liaisons cellulaires, et ils remodèlent la MEC, stimulant ainsi la progression tumorale (Figure 12).

i. Initiation d’une tumeur.

Olumi et al. (1999) furent les premiers à démontrer le rôle des FAC dans l’initiation tumorale. Pour cela, ils utilisèrent des cellules épithéliales prostatiques, immortalisées mais non malignes, qu’ils injectèrent avec des fibroblastes normaux ou des FAC.

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Figure 12 : L’influence des FAC sur le développement tumoral.

Les FAC peuvent favoriser la tumorigénèse à travers de multiples mécanismes, notamment une angiogénèse accrue, l’induction de la prolifération, de l’invasion et l’inhibition de la mort des cellules tumorales. Ces effets sont médiés par l'expression et la sécrétion de nombreux facteurs de croissance tels que le SDF-1, le FGF2, le VEGF, le TGF-β et l’HGF, des cytokines de la famille des interleukines, des protéases comme les MMPs, et des protéines de la matrice extracellulaire comme la ténascine C. Les FAC peuvent également influencer indirectement la tumorigénicité par des effets sur une multitude d'autres types cellulaires, comprenant les adipocytes, les cellules inflammatoires et les cellules immunitaires. En outre, les signaux paracrines dérivés de ces cellules accessoires participent à la croissance tumorale (exemples répertoriés autour du périmètre de la toile).

BFGF, facteur de croissance de fibroblastes basique; CCL2, ligand de motif de chimiokine (motif C-C) 2; Col, collagène; FN, fibronectine; GM-CSF, granulocyte macrophage colony stimulating factor; HGF, facteur de croissance des hépatocytes; IGF2, facteur de croissance analogue à l'insuline 2; LOX, lysyl oxydase; SDF-1, facteur dérivé de cellules stromales 1; SFRP-1, secreted frizzled-related protein 1; SPARC, secreted protein, acidic and rich in cysteine; TNC, ténascine C.

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De manière intéressante, seule la co-injection des cellules épithéliales avec les FAC induisit la formation d’une tumeur dans les souris nude. Par la suite, ce résultat fut confirmé par Hayward et al. (2001).

D’autre part, un des principaux rôles des fibroblastes activés est la production et le remodelage de la MEC pouvant parfois conduire à la fibrose des tissus. Or, de nombreuses études épidémiologiques et cliniques ont suggéré que la fibrose observée dans certains organes, comme les poumons et le foie, augmentait de manière significative le risque de cancer (Li et al., 2014a; Park et al., 2001; Wang et al., 2013). Expérimentalement, l’induction de blessure dans des animaux propices au développement de cancer entraine l’apparition de tumeur (Dolberg et al., 1985; Schuh et al., 1990). Par conséquent, toutes ces études démontrent un rôle important des FAC dans l’initiation tumorale (Rybinski et al., 2014).

ii. Développement de la tumeur primaire.

Les FAC influencent aussi fortement la prolifération des cellules tumorales, notamment via la sécrétion de nombreuses cytokines, hormones et facteurs de croissance. Parmi celles-ci, on retrouve principalement l’HGF, l’EGF, le FGF, le SDF-1, le CCL5 (C-C motif chemokine ligand 5) et l’IL-6 (interleukin 6), qui possèdent tous des effets mitogènes sur les cellules tumorales (Cirri and Chiarugi, 2011; Kalluri and Zeisberg, 2006). De plus, les FAC influencent le métabolisme des cellules tumorales, nécessaire à leur accroissement. En effet, les cellules cancéreuses subissent un changement métabolique important appelé « l’effet Warburg » qui consiste à l’utilisation de la glycolyse comme principale source de biomasse à la place de la phosphorylation oxydative, utilisée dans les cellules saines (Vander Heiden et al., 2009). Les FAC participent activement au métabolisme des cellules cancéreuses notamment via la sécrétion d’exosomes inhibant la phosphorylation oxydative et favorisant la glycolyse, mais aussi en sécrétant de la glutamine, principal métabolite utilisé par les cellules tumorales (Yang et al., 2016; Zhao et al., 2016).

Comme décrit précédemment, l’angiogénèse est une caractéristique importante du développement tumoral. Via la sécrétion de SDF-1 et de VEGF (vascular endothelial growth factor) les FAC permettent le recrutement des cellules endothéliales et la formation de nouveaux vaisseaux permissifs à l’intravasation des cellules tumorales (Fukumura et al., 1998; Orimo et al., 2005). De plus, le remodelage matriciel des FAC, notamment grâce à l’expression de la protéinase MMP13, permet de libérer le VEGF emprisonné dans la MEC et d’induire l’angiogénèse (Lederle et al., 2010). En somme, les FAC participent aussi à l’inflammation observée dans les tumeurs via le recrutement et la modulation des cellules immunitaires. En effet, ils sécrètent de nombreuses cytokines, chemokines et interleukines pro-inflammatoires induisant notamment le recrutement des macrophages (Servais and Erez, 2013). En effet, des études ont démontré in vitro dans des expériences de co-culture et in vivo, que la sécrétion de CCL2 (C-C motif chemokine ligand 2) par les FAC induisait le recrutement des macrophages et favorisait le développement tumoral (Hembruff et al., 2010; Ksiazkiewicz et al., 2010; Silzle et al., 2003). Cependant, le rôle des FAC dans l’établissement d’un microenvironnement inflammatoire pro-tumoral passe aussi par leur capacité immunosuppressive. Par exemple, la production de ténascine C (composant de la MEC tumorale) par les FAC inhibe la migration et l’adhérence des monocytes et lymphocytes T (Hauzenberger et al., 1999; Loike et al., 2001). De plus, les FAC inhibent les effets anti-tumoraux des cellules NK (natural killer) via la sécrétion de prostaglandine E2 (Balsamo et al., 2009; Li et al., 2012).

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Figure 13 : Les voies de signalisations régulant le remodelage matriciel par les FAC.

Les voies de signalisation Rho/ROCK et JAK1/STAT3 coopèrent dans la régulation de la contractilité du cytosquelette d’actomyosine dans les FAC. Cette activité contractile est indispensable au remodelage matriciel et à la création des chemins d’invasion dans la MEC, facilitant l’invasion des cellules tumorales. D’une part, l’autophosphorylation de JAK1 permet d’activer par phosphorylation le facteur de transcription STAT3 qui régule l’expression de nombreux gènes impliqués dans la génération de forces contractiles. D’autre part, Cav1 permet l’activation de la GTPase Rho et de son effecteur ROCK. Parallèlement, la rigidification de la matrice est ressentie par les intégrines présentes à la surface des FAC, ce qui déclenche une cascade de signalisation intracellulaire permettant la contraction de l’actomyosine dépendante de la voie Rho/ROCK. D’autres facteurs tels que MRTF et SRF ont été également décrits pour participer à ce processus. D’après Albrengues et al. (2013).

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En interagissant avec les cellules tumorales et les différentes cellules du microenvironnement les FAC créent un écosystème favorable à la croissance tumorale. De plus, ils participent activement à l’invasion des cellules cancéreuses et à la formation de métastases.

iii. Invasion tumorale.

Les FAC sont capables de promouvoir l’invasion et la dissémination des cellules tumorales par la sécrétion de facteurs de croissance, par le remodelage de la MEC et par interaction directe avec les cellules tumorales (De Wever et al., 2014).

Il a été montré que le sécrétome des FAC induit la migration et l’invasion des cellules tumorales. Par exemple, la sécrétion du SDF-1, en plus de promouvoir l’angiogénèse, induit l’invasion et la migration de cellules tumorales en induisant une transition épithélio-mésenchymateuse dans les carcinomes de la prostate (Jung et al., 2013). Le SDF-1 permet aussi l’invasion des cellules de carcinomes mammaires et pancréatiques (Matsuo et al., 2009; Orimo et al., 2005). Un autre facteur largement étudié pour induire l’invasion tumorale est l’HGF (Bhowmick et al., 2004; Daly et al., 2008; Grugan et al., 2010). Ce dernier, en se fixant sur son récepteur c-Met au niveau des cellules tumorales, induit notamment l’expression de l’urokinase permettant la dégradation de la MEC et la transformation d’un carcinome in situ en carcinome invasif (Jedeszko et al., 2009). D’autres facteurs sécrétés par les FAC comme le TGFβ, le FGF ou encore l’EGF sont capables d’induire l’invasion tumorale via différents mécanismes moléculaires (Cirri and Chiarugi, 2011; De Wever et al., 2008).

D’autre part, les FAC sont capables d’induire l’invasion de cellules tumorales non invasives (Dimanche-Boitrel et al., 1994). Pour cela, ils remodèlent la MEC qui constitue une barrière à l’invasion des cellules (Wolf et al., 2013), et créent des chemins au sein de la matrice que les cellules tumorales empruntent (Gaggioli et al., 2007). Ce remodelage matriciel nécessite d’une part la dégradation de la MEC via la sécrétion de protéases telles que les MMPs et notamment la MT1-MMP (Wolf et al., 2007), et d’autre part l’application de forces de tension permettant de modifier l’organisation des fibres de la MEC (Figure 13). Ces forces de tension reposent sur la coordination de la liaison des intégrines à la MEC et la génération de forces contractiles via le cytosquelette d’actomyosine. Dans les FAC, ces forces sont générées par la voie de signalisation de la petite GTPase Rho et de sa kinase effectrice ROCK qui induit la phosphorylation de la MLC-II de manière directe, ou indirecte via la phosphorylation inhibitrice de la phosphatase de la MLCII (Albrengues et al., 2014b). De plus, l’autophosphorylation de JAK1 permet d’activer par phosphorylation le facteur de transcription STAT3 qui régule l’expression de nombreux gènes impliqués dans la génération de forces contractiles. In vitro, ce remodelage matriciel est mimé par la contraction de gels riches en collagène I et en laminines (Gaggioli et al., 2007). Ces résultats, obtenus in vitro, ont été confirmés in

vivo par Goetz et al. (2011) qui ont montré que l’activation de la petite GTPase Rho par la cavéoline-1

entraînait la rigidité et l’organisation matricielle nécessaire à l’invasion des cellules tumorales. Par ailleurs, ROCK phosphoryle et active les LIMK dont le rôle est de réguler la cofiline, responsable de la dépolymérisation des filaments d’actine. Scott et al. (2010) ont montré que l’inhibition des LIMK bloquait l’invasion des cellules tumorales.

De manière intéressante, les FAC induisent la migration collective des cellules tumorales en tant que cellules « leader », guidant la cohorte invasive (Gaggioli et al., 2007).

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Une étude récente a montré que les FAC exerçaient des forces physiques sur les cellules tumorales de la cohorte via la liaison entre la cadhérine N exprimée à la surface des FAC et la cadhérine E exprimée à la membrane des cellules tumorales. L’inhibition de cette liaison bloque la capacité des FAC à guider la migration collective des cellules tumorales et par conséquent bloque leur invasion (Labernadie et al., 2017).

iv. Formation de niches métastatiques.

En plus de participer activement au développement de la tumeur primaire, les FAC favorisent aussi la formation de métastases par l’élaboration de niche métastatique. Ce concept proposé par Stephen Paget en 1889 correspond à l’hypothèse du « seed and soil » selon laquelle une cellule tumorale, le « seed » (la graine), va se disséminer préférentiellement dans des organes cibles dont le stroma est propice au développement tumoral : le « soil » (le sol). En effet, la distribution des métastases n’est pas aléatoire et semble dépendre de la tumeur primaire. Par exemple, les carcinomes mammaires colonisent préférentiellement les os, les poumons, le foie et/ou le cerveau selon la nature de la tumeur primaire (Chiang and Massagué, 2008). Plusieurs études ont démontré l’importance des FAC dans l’élaboration de ces niches métastatiques, notamment par l’activation des fibroblastes résidant dans l’organe secondaire, et le recrutement de cellules dérivées de la moelle osseuse qui sont une source de FAC. Les FAC permettent la préparation du « soil » au niveau du site métastatique par la sécrétion et le remodelage de la MEC. En effet, ils déposent de la ténascine C, de la fibronectine et de la périostine qui permettent aux cellules tumorales de s’implanter et de se développer (Malanchi et al., 2011; O’Connell et al., 2011; Oskarsson et al., 2011). Par exemple, Kaplan et al. (2005) observent une augmentation de la fibronectine produite par les FAC 72h avant l’apparition des cellules tumorales au niveau des bronchioles des poumons, dans des modèles murins de mélanome et de carcinome pulmonaire.

D’autre part, Duda et al. (2010) ont démontré que les FAC pouvaient aussi accompagner les cellules tumorales dans toutes les étapes de la formation de métastases et que leur présence facilitait la colonisation des poumons. En effet, ces derniers ont été observés conjugués aux cellules tumorales dans le sang.

De récentes études ont démontré que la tumeur primaire pouvait éduquer le stroma au niveau des organes secondaires via la sécrétion de vésicules. Par exemple, la sécrétion d’exosomes contenant de l’HGF par les cellules de mélanomes permet l’activation des cellules dérivées de la moelle osseuse qui entraine un remodelage matriciel, de l’inflammation, et une perméabilité des vaisseaux sanguins au niveau de l’organe secondaire (Peinado et al., 2012). Un autre exemple publié par Costa-Silva et al. (2015) est l’activation des cellules stellaires du foie (cellules similaires aux fibroblastes) qui permettent la production de fibronectine et d’un microenvironnement fibrotique suite à la sécrétion d’exosomes par les cellules d’adénocarcinomes pancréatiques.

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Figure 14 : L’effet des FAC sur les traitements chimiothérapeutiques.

Les facteurs de croissances produits par les FAC, comme le TGFβ et l’HGF, favorisent la croissance et