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1.4 Causes et conséquences de la résistance et moyens de lutte

1.4.3 Les moyens de lutte aux mauvaises herbes résistantes

Quand une population de mauvaises herbes est diagnostiquée résistante à un groupe d’herbicide, il est possible d’utiliser un produit d’un autre groupe tant que la culture tolère

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celui-ci et différentes alternatives ont précédemment été identifiées. Par contre, même si une mauvaise herbe résistante est traitée avec un herbicide auquel elle ne l’est pas, il est possible que certains plants réussissent à croître quand même et ce, à cause de la germination de ceux-ci après le traitement herbicide. Cette situation peut être rencontrée particulièrement s’il n’y a pas d’effet résiduel du produit utilisé ou si les conditions d’application ne sont pas optimales, par exemple en bordure ou dans un coin isolé du champ (Wu et al. 2017). Dans ce cas, si les coûts énergétiques de la résistance ne sont pas assez élevés pour empêcher ces individus de se reproduire, la banque de graines résistantes continuera d’augmenter. Si la rotation des groupes d’herbicide est le moyen privilégié, elle doit être d’une durée suffisante pour qu’il n’y ait aucune augmentation du nombre de graines résistantes. C’est ce qu’ont montré Beckie et Reboud (2009) chez le tabouret des champs (Thlaspi arvense), en soumettant une population de cette mauvaise herbe résistante aux herbicides du groupe 2 à différentes rotations de groupes d’herbicides sur quatre années de culture. Le nombre de semences résistantes dans la banque de graines du sol est resté stable en comparant le pourcentage initial de 5 % de semences résistantes, soit 5 % du nombre total de semences contenues dans la banque de graines, avec le pourcentage de semences récoltées après l’absence d’utilisation d’un herbicide du groupe 2 ou après l’utilisation d’un mélange incluant un herbicide du groupe 2 avec un groupe 4 et 6. Lorsqu’un herbicide du groupe 2 a été utilisé seul une année sur quatre, le pourcentage de semences résistantes a augmenté à 29 % et il a atteint 85 % (c.-à-d. que 85 % des semences de la banque de graines étaient résistantes) lorsque l’herbicide du groupe 2 a été utilisé quatre années sur quatre. Cette étude démontre donc que l’utilisation seule d’un herbicide auquel une plante est résistante, même une année seulement sur quatre, fera augmenter le pourcentage de semences résistantes dans la banque de graines et que cette pratique ne doit donc pas être utilisée.

Concernant les mélanges de groupes d’herbicide, différentes options sont envisageables. Dans le cas d’une population de petite herbe à poux résistante aux herbicides du groupe 2 et 9, l’alternative qui procure la meilleure suppression était de mélanger du glyphosate (groupe 9) avec du linuron (groupe 7) ou de la métribuzine (groupe 5) (Van Wely et al. 2014). Cette solution est à utiliser avec précaution, car, bien qu’aucune résistance multiple

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n’ait été identifiée à l’intérieur d’une même population au Québec, des cas isolés de résistance à trois de ces quatre groupes l’ont été chez la petite herbe à poux et il est impossible d’utiliser le groupe 9 en post-levée du soya conventionnel. Aussi, parmi les huit options testées lors de ces essais, cette option de mélange était celle avec les impacts environnementaux les plus élevés (Van Wely et al. 2014). Lorsque vient le temps de choisir un mélange d’herbicides, Wrubel et Gressel (1994) ont établi une liste d’éléments à prioriser pour s’assurer d’avoir un mélange efficace pour prévenir la résistance. Les auteurs recommandent d’utiliser des produits qui suppriment les mêmes mauvaises herbes, qui ont une persistance semblable, qui ont un site d’action différent et qui sont dégradés d’une façon différente. Idéalement, il faudrait aussi que la résistance d’une mauvaise herbe à chacun des produits utilisés entraîne une meilleure sensibilité à l’autre produit utilisé dans le mélange, mais ce dernier élément est par contre rare. Les possibilités de trouver des mélanges répondant à l’ensemble de ces critères sont donc faibles, mais devraient être envisagés quand même, car il est possible d’aggraver les problèmes de résistance en utilisant des mélanges qui ne répondent pas à ces critères (Wrubel et Gressel 1994). De plus, l’utilisation de mélanges d’herbicides ne constitue pas une solution permanente au problème de résistance, elle permet de réduire sa vitesse d’apparition ou de propagation sans pour autant la prévenir (Gressel et Segel 1990; Henskens et al. 1996).

Le développement de cultures génétiquement modifiées pourrait aussi être une alternative afin qu’une culture soit résistante à un plus grand nombre d’herbicides. La gestion de telles cultures devrait par contre aussi se faire avec précaution, car des plants d’une culture résistante pourraient se développer et devenir eux-mêmes une mauvaise herbe en plus d’être difficile à détruire faute d’alternative chimique (Botterman et Leemans 1988). Le développement de cultures résistantes à certains groupes d’herbicides est aussi une avenue imprudente sachant que certains groupes ont des herbicides qui ont une toxicité élevée pour l’humain ou l’environnement ou auxquels les mauvaises herbes peuvent facilement développer une résistance (Botterman et Lemmans 1988). Indépendamment de ces faits, plusieurs compagnies de semences ont mis en marché, au printemps 2016, des hybrides de soya résistants aux herbicides du groupe 4, dans lequel il y a entre autres le dicamba et le 2,4-D comme matière active, en plus de la résistance au glyphosate.

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Les travaux mécaniques sont également une alternative pour réprimer et supprimer les mauvaises herbes. Dans une culture de soya, le labour d’automne a permis de maintenir au même niveau la densité de plants de petite herbe à poux en comparant celle au printemps précédant le labour et celle au printemps suivant le labour (Leblanc et al. 2013). Le sarclage mécanique a permis de diminuer la densité de la mauvaise herbe de 77 % et le ramassage des résidus de battage à l’automne a aussi permis de réduire de 50 % la germination de plants de petite herbe à poux, au printemps suivant le ramassage, en comparaison avec la germination des plants au printemps précédant le ramassage, mais ce résultat a été variable (Leblanc et al. 2013). Les auteurs concluent donc que le labour et le sarclage sont la combinaison la plus efficace pour réprimer la petite herbe à poux et que le ramassage des résidus de battage pourrait peut-être avoir un effet, mais que l’utilisation de ces moyens de lutte doit être mise en place pendant plusieurs années pour démontrer un effet pérenne. Weill et al. (2007) indiquent que la combinaison des techniques de lutte mécanique conte la petite herbe à poux demeure la plus efficace comparativement à chacun des moyens utilisés seul (faux-semis, houe rotative, herse étrille, sarclage, buttage). Cette étude montre que lors d’une infestation importante de petite herbe à poux dans le soya, le désherbage mécanique conventionnel (houe rotative, herse étrille et sarcleur) a pu réduire la population de mauvaises herbes dans une proportion variant de 80 à 97 %, mais que la densité des plants est demeurée élevée (entre 34 et 85 plants m-2). Cependant, le buttage, suite au désherbage conventionnel a permis de détruire entre 50 et 84 % des plants restants. Le stade de la mauvaise herbe a aussi un impact sur l’efficacité du désherbage mécanique, allant de 90 % lorsque la petite herbe à poux est au stade cotylédons à 73 % lorsqu’elle est entre 2 et 4 feuilles et même à 7 % si elle atteint 10 feuilles ou plus et cela, pour l’utilisation de la houe rotative, de la herse étrille et du sarcleur combiné (Weill et al. 2007). Enfin, l’utilisation du faux-semis puis un semis de soya plus tardif permettent de travailler le sol, ce qui a aussi pour effet de diminuer la pression de sélection sur les mauvaises herbes, si un herbicide est par la suite utilisé (Jordan et al. 2010), le but de cette opération étant de faire germer le maximum de mauvaises herbes pour ensuite les détruire mécaniquement avant le semis sans qu’il soit touché par un herbicide.

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La densité des populations de petite herbe à poux est plus élevée sur les bords de route comparativement à celle des populations à l’intérieur des champs (Simard et Benoit 2011). Cette étude suggère que certaines infestations proviendraient davantage des bords de route en direction des champs que l’inverse, la fauche des bordures de routes et de champs est donc une autre pratique pouvant être utilisée pour lutter contre la petite herbe à poux. Le meilleur régime de coupe est celui où une première fauche est effectuée juste après le début de la floraison des fleurs femelles, suivi par une deuxième fauche deux à trois semaines après la première (Milakovic et Karrer 2016). Ce même régime de fauche a été testé à Budapest en Hongrie où la petite herbe à poux a été fauchée uniquement le 12 juin, uniquement le 25 juillet ou à ces deux dates combinées. Peu importe le moment, la biomasse aérienne et la hauteur des plants ont été réduites, mais seule la fauche tardive ou la combinaison des deux fauches ont permis de réduire le nombre de fleurs mâles et femelles produites (Basky 2015). Afin d’augmenter l’efficacité du fauchage, le plant ne doit pas seulement être défolié, mais bien coupé. Lors de différents essais, deux niveaux de défoliations (50 % et 90 %) ont été comparés à un témoin sans défoliation, lorsque la petite herbe à poux avait une hauteur moyenne de 6,5 cm. Les deux niveaux de défoliation ont permis de réduire la biomasse des racines et la hauteur du plant sans pour autant avoir d’effets sur la biomasse aérienne, la surface foliaire (sept semaines après le traitement) et la reproduction (nombre de jours avant la floraison, nombre de semences et poids des semences) (Gard et al. 2012).

La culture de plantes pérennes pourrait aussi être envisagée afin de lutter contre la petite herbe à poux, soit en ensemençant les bordures de champs ou le champ lui-même pour faire du foin par exemple. Une étude a démontré une diminution de la biomasse sèche de la petite herbe à poux allant de 64 % (luzerne seule) à 79 % (mélange luzerne et dactyle) lors de la première coupe annuelle, comparativement au témoin où il n’y avait que des plants de petite herbe à poux seuls (Valkova et al. 2009). Cette diminution de la biomasse est en partie attribuable à un nombre inférieur de branches de la mauvaise herbe lorsqu’elle était en compétition avec les plantes fourragères. Lors de la deuxième fauche de l’année, la hauteur des plants d’herbe à poux était supérieure dans tous les traitements en comparaison avec le témoin, ce qui indique un étiolement des plants afin de capter davantage de lumière.

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Enfin, l’utilisation de l’effet allélopathique d’autres plantes sur la petite herbe à poux n’est pas concluante selon les travaux de Kazinczi et al. (2015), qui ont montré que certaines espèces (Ailanthus altissima, Juglans regia, Solidago gigantea, Robinia pseudoacacia), connues pour leurs effets allélopathiques, n’en avaient pas sur la petite herbe à poux. Au contraire, la mauvaise herbe a germé plus rapidement et elle a eu une croissance plus hâtive dans les traitements où des résidus de ces plantes avaient été mélangés au substrat de culture. Les auteurs concluent en spécifiant que cette caractéristique peut certainement aider la mauvaise herbe à dominer dans des conditions de culture en plein champ.

Hypothèses et objectifs de recherche

La précédente revue bibliographique a permis de mettre de l’avant que plusieurs cas de résistance aux herbicides du groupe 2 ont été détectés chez la petite herbe à poux en Ontario et dans différents états américains, dont plusieurs situés à proximité des frontières du Québec, et ce depuis plusieurs années. La fréquence d’utilisation des herbicides du groupe 2 dans le soya conventionnel et dans les autres cultures en rotation, les superficies ensemencées en soya ainsi que la densité de petite herbe à poux dans cette culture font que la pression sélective est élevée. De plus, chez cette mauvaise herbe, le pollen peut transmettre la résistance aux inhibiteurs d’ALS et au moins la moitié des semences produites par un plant hétérozygote résistant seront résistantes puisque la résistance est dominante. Le pollen peut être transporté sur de longues distance et les semences, qui ont une survie très longue dans le sol, peuvent être dispersées par la machinerie ou contaminer le grain, les semences ou d’autres marchandises agricoles transportées sur de longues distances. Au Québec, le nombre de cas de résistance de l’herbe à poux au groupe 2 a par ailleurs augmenté à 33 depuis le premier cas en 2006. Sachant que le nombre de cas rapporté est fait sur une base volontaire et que la majorité des cas de résistance étaient rapportées dans le soya conventionnel en Montérégie, un inventaire plus exhaustif était justifié. De plus, une étude ontarienne a rapporté un taux de résistance de 100 % chez 24 populations testées et 50 % des 20 populations testées en 2011 et 2012 au Québec se sont aussi avérées résistantes. Concernant les pratiques pouvant être liées à l’apparition de la résistance, plusieurs auteurs ont identifié l’augmentation de la pression de sélection comme le principal facteur favorisant la résistance et que celle-ci est créée par l’utilisation répétée des mêmes herbicides ou d’herbicides appartenant au même groupe.

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À la lumière de ces faits, les hypothèses de recherche étaient que les populations de petite herbe à poux observées au champ après le traitement herbicide sont résistantes à l’imazéthapyr dans une proportion élevée, soit plus de 50 % et que l’utilisation des herbicides du groupe 2 se fait d’une façon répétitive.

L’objectif du projet était de faire une enquête sur la petite herbe à poux résistante à l’imazéthapyr dans les champs de soya de variété conventionnelle en Montérégie, au Québec et d’identifier quelles pratiques pouvaient être associées à l’apparition de la résistance à l’aide de questionnaires distribués aux producteurs participants.

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2. Enquête sur la petite herbe à poux (Ambrosia artemisiifolia L.)

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