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CHAPITRE 2 : LES INDICATEURS DE SANTE PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL

2.2. L A DÉTRESSE PSYCHOLOGIQUE

2.5.7. Les modèles théoriques de l’épuisement professionnel

La plupart des recherches sur l’épuisement professionnel ont été influencées par les modèles concernant le stress professionnel. Il existe dans la littérature deux approches en lien ou complémentaires à celles de l’épuisement professionnel, à savoir la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll, 1988, 1989,1998) et le modèle des exigences-ressources du travail (Demerouti, Bakker, Nachreiner,& Schaufeli, 2001).

2.5.7.1. La théorie de la conservation des ressources

Cette théorie se base sur les ressources que possède l’individu afin de faire face aux situations difficiles qu’il affronte. Face à une situation difficile, l’individu tente de trouver une solution de manière à s’adapter en conférant des ressources. Si cet apport ne satisfait pas l’individu, il éprouvera de l’anxiété et de la frustration et il utilisera donc plus d’attitudes défensives qui l’épuiseront lentement. En résumé, l’individu pour se défendre, rassemble les ressources possibles, diminue la perte indirecte des ressources résultant d’investissement malheureux et limite la perte des ressources inutiles (Hobfoll, 1998). La théorie de Hobfoll créée des jonctions entre les théories cognitives et environnementales du stress (Haberey-Knuessi, 2011).

Selon cette théorie, l’individu doit essayer « d’obtenir, de conserver, de protéger et de promouvoir les choses qu’ils valorisent » (Hobfoll, 2001). Les « choses qu’ils valorisent » font référence aux ressources. Le stress survient lorsque les ressources sont menacées, perdues ou le lorsque le feed-back prévu de l’investissement n’est pas bénéfique (Hobfoll, 1998).

Les ressources

Selon Hobfoll (1989), les ressources sont «des objets, caractéristiques personnelles, conditions ou énergies qui sont valorisées par les individus pour elles-mêmes ou parce qu’elles servent à obtenir ou protéger d’autres objets, caractéristiques personnelles, conditions ou énergies valorisées ». Ces ressources touchent tous les domaines de la vie d’un individu. Hobfoll précise que ces ressources sont la conséquence de la culture et non des caractéristiques de l’individu. Les différences individuelles ont peu d’importance. C’est la société et la culture qui qualifient les ressources importantes pour les individus (Gorgievski & Hobfoll, 2008 ; Hobfoll, 1998).

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Hobfoll énumère soixante-quatorze ressources envisagées comme indispensables à la vie d’un individu appartenant à une société occidentale (Hobfoll, 1998). Cette liste non complète, concerne tous les domaines de vie et non pas particulièrement le domaine du travail. Ces ressources peuvent être regroupées en quatre catégories (Hobfoll, 1998) :

Les ressources matérielles correspondent à des objets importants liés à un statut

socioéconomique ou à une estime personnelle. Ces objets peuvent être un véhicule, un logement, la taille d’un bureau etc.

Les ressources personnelles font référence aux compétences et aux traits personnels innés ou

acquis d’un individu. Les compétences viennent soit de l’éducation, des études ou de l’expérience Hobfoll (1998). En ce qui concerne les caractéristiques et traits de personnalité, les travaux évoquent l’optimisme, l’efficacité personnelle, le locus de contrôle ou l’estime personnelle.

Les ressources liées à la condition de l’individu correspondent à des ressources acquises ou

héritées et elles permettent de gagner d’autres ressources ou d’y accéder plus facilement. Par exemple, la stabilité professionnelle, la stabilité familiale, la sécurité financière etc.

Les ressources énergétiques se rapportent à l’argent, à la réputation, au soutien social, à

l’implication dans l’organisation et à la connaissance d’un individu. Ces ressources ont l’aptitude de conserver d’autres ressources ou d’assimiler de nouvelles ressources. Ces ressources ont plus de forces lorsqu’elles n’ont pas encore été placées dans une des trois autres catégories, de plus, l’individu a la liberté d’utiliser ces ressources quand il le désire. Principe et les conséquences

La primauté de la perte des ressources

Selon cette théorie de la conservation des ressources, la perte des ressources a beaucoup de conséquences sur la santé psychologique et physique de l’individu. En effet, la perte d’une ressource conduit à des sentiments et des émotions négatifs, une détérioration du bien-être et donc à un affaiblissement de la santé psychologique et physique (Gorgievski & Hobfoll, 2008). Les individus ont tendance à se centrer sur leurs pertes plutôt que sur leurs forces, ce qui fortifie ces sentiments négatifs. Pour faire face à ces pertes, les individus vont se servir de stratégies d’adaptation défensives et cela compromet davantage leur santé.

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L’investissement des ressources

Les individus investissent leurs ressources afin de se préserver contre les pertes, ou pour récupérer des pertes effectives ou enfin pour gagner de nouvelles ressources. Quatre propositions expliquent cet investissement des ressources et permettent de mieux comprendre le mécanisme des pertes et des gains. Tout d’abord, le rôle de la quantité des ressources disponibles indique que « les individus ayant davantage de ressources sont moins vulnérables à la perte de ressources et plus capables de gagner de nouvelles ressources. À l’inverse, ceux qui ont moins de ressources sont plus vulnérables à la perte de ressources et moins à même d’en gagner de nouvelles » Hobfoll (1998). La quantité initiale de ressources que détient l’individu influence les stratégies. De cette façon, un individu qui possède peu de ressources n’utilisera pas ses ressources de peur d’être plus diminué. D’un autre côté, un individu possédant beaucoup de ressources sera moins affecté par la perte de ressources. Ensuite, Hobfoll (1998) s’intéresse d’un coté à la perte des ressources et il stipule que « ceux qui manquent de ressources ne sont pas seulement vulnérables à la perte de ressources, mais que la perte initiale conduit à des pertes futures » et de l’autre côté aux gains en précisant que « ceux qui possèdent des ressources sont plus enclins à en gagner de nouvelles et que des gains initiaux entrainent des gains futurs ».

La perte de ressources entraine un épuisement de la personne qui possède de moins en moins de ressources à investir et effectue de mauvais investissements et donc en perd davantage Enfin, les individus qui « manquent de ressources seront plus enclins à adopter des stratégies défensives pour conserver leurs ressources » (Hobfoll, 1998). Afin de ne pas perdre ses ressources, l’individu va essayer de conserver ses ressources, ce qui l’amène à utiliser des stratégies défensives inadaptées.

Cette théorie inclue les concepts d’évaluation cognitive et des stratégies d’évaluation définis par la théorie cognitive de Folkman et Lazarus (1980) mais selon la théorie de la conservation des ressources, le stress et les problèmes de santé psychologique et physique se caractérisent par l’adaptation des ressources aux exigences extérieures.

La théorie de la conservation des ressources conçoit les stresseurs comme des ressources. Cela permet d’avancer efficacement des stratégies de prévention (Halbesleben, 2008).

Dans la partie suivante, nous allons exposer le modèle des exigences-ressources au travail de Demerouti, Bakker, Nachreiner and Schaufeli (2001). Ce modèle s’inscrit dans la continuité

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de la théorie de la conservation des ressources (Halbesleben et Buckey, 2004) mais il propose d’autres agencements des exigences et des ressources au travail.

2.5.7.2. Le modèle des exigences-ressources au travail

D’après ce modèle, l’épuisement et le désengagement chez un individu conduisent à l’apparition de l’épuisement professionnel (Demerouti, Bakker, Nachreiner, & Schaufeli, 2001). Si un individu ne ressent qu’un seul des symptômes de désengagement ou d’épuisement, il ne sera pas forcément touché par l’épuisement professionnel. L’épuisement est la conséquence d’exigences excessives du travail. Ces exigences du travail sont dangereuses pour la santé de l’individu lorsqu’elles provoquent des efforts cognitifs et émotionnels considérables. Les exigences font référence à la pression temporelle, la charge de travail, les demandes émotionnelles, l’isolement etc. Ensuite, le désengagement

professionnel se rapporte au manque de ressources adaptées de l’individu. Si les ressources

atténuent les exigences associées au travail alors elles faciliteront le développement personnel et l’individu aura la possibilité d’atteindre ses objectifs de travail. Selon Schaufeli et Bakker (2004), les ressources correspondent à la sécurité du travail, à la récompense, au contrôle du travail etc.

Des études empiriques n’ont pas montré de lien unique entre les ressources et le désengagement. Effectivement, il existe aussi un lien entre les ressources et l’épuisement (Schaufeli et Bakker, 2004 ; Bakker, Demerouti, & Verbeke, 2004 ; Halbesleben & Buckley, 2004). L’agencement des exigences et ressources conçu par ce modèle peut être reconsidéré. Quatre réponses peuvent être présentées afin de mieux comprendre les différents liens qui unissent les exigences et les ressources au travail. Premièrement, les exigences et les ressources ne sont pas indépendantes. Les ressources exercent une influence sur l’épuisement professionnel et les antécédents et les conséquences de l’épuisement professionnel se croisent. Un affaiblissement des ressources peut augmenter l’exigence et, les exigences peuvent favoriser les ressources. Deuxièmement, les ressources influencent les exigences soit de manière directe, soit de manière modératrice. L’effet direct correspond à une influence directe des ressources sur les demandes. L’effet modérateur se rapporte à une influence modérée des ressources sur les demandes. Les ressources vont agir en diminuant ou en augmentant l’effet négatif de la demande sur le mal-être. Troisièmement, les exigences ont une influence directe ou modératrice sur les ressources. Ainsi, les exigences viennent diminuer, changer, éliminer les ressources et amener à une détérioration de la santé de l’individu. L’effet direct brise la

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stabilité des ressources et leurs avantages. Quant à l’effet modérateur des exigences, il modère le lien entre les exigences au travail et la santé de l’individu au travail. Quatrièmement, les exigences et les ressources réagissent mutuellement. De cette façon, les exigences pourraient baisser les ressources et les ressources apporteraient à l’individu une assistance afin de gérer correctement les exigences. Une étude de Xanthopoulou, Bakker et Fischbach (2013) a montré d’une part que les ressources personnelles (auto-efficacité, estime de soi et optimisme) médiatise le lien entre les ressources au travail (autonomie, soutien social) et l’engagement professionnel et d’autre part que les exigences au travail peuvent médiatiser partiellement la relation entre les ressources personnelles et l’épuisement. Quant aux ressources au travail, elles médiatisent partiellement le lien entre les ressources personnel et l’engagement au travail. Enfin, cette étude n’a pas affirmé le rôle modérateur des ressources personnelles dans le lien unissant les exigences au travail et l’épuisement. Le modèle des exigences-ressources au travail est adopté dans 130 organisations en soins infirmiers au Pays-bas. L’analyse des exigences et des ressources en fonction des besoins des organisations favorise l’engagement et la motivation des travailleurs. De plus, elle attenue le stress perçu par les salariés (Haberey-knuessi, 2011). Dans notre thèse, l’épuisement professionnel est examiné comme une variable dépendante c’est-à-dire qu’elle est un indicateur de la santé psychologique au travail et elle est influencée par des facteurs pouvant être organisationnels et personnels. Pour mesurer cette variable, nous utilisons le questionnaire appelé « Maslach Burnout Inventory ».

Les définitions de l’épuisement professionnel et de la détresse psychologique au travail renvoient généralement à la notion de stress. L’épuisement professionnel est représenté dans la littérature comme la conséquence d’un stress professionnel chronique. Pourtant tous les auteurs ne partagent pas cet avis. Schaufeli et Buunk (1996) différencient le stress et l’épuisement professionnel. Le stress correspond à un processus d’adaptation temporaire avec des symptômes physiques et cognitifs alors que l’épuisement professionnel apparaît comme l’étape finale d’une rupture d’adaptation provenant d’un déséquilibre prolongé entre les demandes et les ressources. L’épuisement professionnel est ainsi la conséquence de tensions continues tandis que le stress est la réaction d’une tension momentanée (Cooper et al., 2001). De plus, pour Lee et Ashfort (1996), le stress au travail et l'épuisement émotionnel embrasse des antécédents, des attitudes individuelles et des conséquences comportementales identiques. L’épuisement émotionnel peut donc être examiné dans une optique théorique de réaction au stress. Pour Demerouti et al. (2001), il existe une similitude entre l’épuisement émotionnel et les réactions au stress. Chevrier (2009) définit l’épuisement professionnel comme un

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syndrome de détresse psychologique extrême liée au travail et déterminé par deux composantes : une fatigue excessive et un désengagement face au travail.

Nous remarquons que les notions de stress, de détresse et d’épuisement professionnel sont souvent confondues. Certes, elles impliquent les mêmes causes et la tension perçue provient d’un déséquilibre entre les contraintes de l’environnement et les aptitudes de l’individu à y faire face mais les conséquences sur la santé physique et psychologique sont distinctes. D’ailleurs Martiat (2005) indique que l’épuisement professionnel doit être dissocié du stress professionnel car il est déterminé par des conduites négatives envers les clients, les patients etc. et le travail, ce qui n’est pas automatique dans le stress. Quant à la détresse, elle ne concerne pas un domaine de vie particulier (Marchand, 2004).

Dans un premier temps, nous allons énoncer quelques définitions du stress au travail ou stress professionnel et, dans un deuxième temps, nous développerons les modèles du stress au travail. Enfin, nous tenterons de mettre en lien ces différents modèles et les indicateurs de la santé psychologique au travail.