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PARTIE 1 : CADRAGE THEMATIQUE

1.3. Les modèles morphologiques

Les formes et modelés représentent le résultat d’une intégration spatiale et temporelle des processus. Sans faire de liste exhaustive des modèles de badlands, nous nous intéressons ici à trois types de modèles morphologiques ; deux concernent les interactions entre formes et processus. Les processus d’érosion façonnent des formes et celles-ci conditionnent l’érosion, par leur agencement spatial et leurs valeurs de pente, notamment. Il existe, selon certaines représentations, un réajustement constant entre forme et processus pour tendre vers un état d’équilibre. En raison de leur vitesse d’érosion, les badlands constituent des terrains privilégiés pour l’observation simultanée des formes et des processus (Schumm, 1956 ; Howard, 2009). Deux questions nous semblent primordiales : 1) quels liens, qualitatifs et quantitatifs, peut-on établir entre formes et processus ? 2) en quoi les variables morphologiques permettent-elles une analyse de l'espace et des processus potentiels qui y agissent ?

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Un modèle qualitatif global

1.3.1.

En géomorphologie classique, les badlands sont représentés comme un système fonctionnel dont les éléments sont clairement liés les uns aux autres et interagissent sur une échelle de temps courte (quelques années, une année ou « l’instant » des pluies intenses et des crues concomitantes). Cette échelle de temps est compatible avec les observations et les mesures des naturalistes ou des ingénieurs, fondement du modèle. Parmi les ensembles d’éléments en interaction, il faut considérer en priorité le couple versant-chenal : plus concrètement l’aptitude du cours d’eau à mettre en mouvement et à transporter les débris produits tout au long du versant et qui atteignent sa base.

Pour différents types de relief et de roches, des réflexions nombreuses (Young, 1972 ; Ahnert, 1976 ; Birot, 1981) ont tenté de lier l’allure des profils de versant – rectilignes, convexes, concaves – avec le volume et la taille des débris en transit, puis évacués ou non en bas de versant. Il en est résulté une représentation selon deux modes principaux d’évolution des versants au cours du temps : 1) recul des versants avec diminution de la pente moyenne du versant ; 2) recul des versants raides parallèlement à eux-mêmes. Les badlands correspondraient au second cas d’une façon particulière qui associe versants raides (>35°) et roches tendres (meubles).

Pour comprendre cela, il faut faire intervenir les variables lithologiques et environnementales des

badlands :

 Roches meubles ou altérables fournissant habituellement des débris peu grossiers susceptibles d’être pris en charge et entraînés lors des écoulements ordinaires (i.e. fréquents, au débit modéré) ;

 Climat et hydrologie marqués par des contrastes saisonniers et des événements « extrêmes » : averses intenses, crues soudaines et violentes ; ces dernières se chargent de masses importantes accumulées au cours des saisons (ou des années) précédentes, avec d’éventuels gros blocs allochtones (Figure 1.8) ;

 Une végétation rare qui assure la quasi simultanéité des ruissellements concentrés les plus érosifs sur versant, et des écoulements à haute énergie dans les chenaux préexistants : la connexion versant-chenal s’établissant alors sur le temps court ;

 Une partie de l’énergie des cours d’eau permettant, épisodiquement, l’incision verticale de la roche en place ou du régolithe au fond des chenaux. Cette érosion verticale a pour conséquence, dans les vallons étroits un raidissement des versants, plus ou moins vite corrigé par des glissements de terrain, même minces. Dans les chenaux larges, c’est le sapement latéral par le cours d’eau en crue qui vient déstabiliser le versant avec le même type de résultat : un rééquilibrage mécanique après un raidissement de la base (voire un

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surplomb) et une fourniture abondante de débris par glissement de terrain ou glissement-coulée sur le versant. Ces débris, qu’ils jonchent le versant ou qu’ils viennent encombrer le lit, seront vite amenuisés par la météorisation et à nouveau susceptibles d’être entraînés facilement.

Les badlands les plus caractéristiques semblent donc s’organiser en un système de rajeunissement toujours recommencé, traduisant un certain équilibre des formes sur un laps de temps donné. Les versants sont raides, mais les propriétés mécaniques des roches (tendres) empêchent qu’ils n’atteignent un fort commandement (i.e. un fort dénivelé). Le corollaire du fonctionnement interne ainsi décrit est une exportation importante de matière.

Il existe des variantes selon les contextes lithologiques et climatiques. En domaine aride ou semi- aride, des pédiments (surface sub-planes à pente très faible 1 à 2°) vont se développer au pied des versants raides et la connexion versant-chenal principal ne sera assurée que lors des rares épisodes de pluies intenses aboutissant à des écoulements en nappe sur le pédiment (écoulements de plus ou moins grande hauteur d’eau). Lambeaux de crêtes et sommets « ruiniformes » (ainsi les pinacles du

Badlands National Park) peuvent apparaître, traduisant une déconnexion durable des éléments

hauts et bas.

Le modèle et ses variantes décrivent un fonctionnement pour des formes déjà créées. Il est plus délicat de comprendre comment se créent les formes ; comment naît et s’étend le réseau des ravines hiérarchisées constitutives des badlands. Qualitativement, on retrouve la notion d’érodabilité du matériau (si une ravine se crée, deux aussi bien...) que vient compléter la notion d’instabilité utilisée en sciences physiques : une petite perturbation peut modifier de façon irréversible une topographie, une ligne d’écoulement. Dans cette voie, Kirkby et Bull (2000) ont évoqué (et modélisé numériquement) la propagation d’une perturbation sur une surface initiale.

La notion d’extension, de propagation, s’inscrit dans la dualité érosion régressive – érosion progressive, ou encore « bottom-up » – « top-down » manner(s) (Faulkner et al., 2008). Les processus concrets qui leur correspondent n’interviennent pas sur les mêmes échelles de temps, ni en réponse aux mêmes sollicitations (tectoniques, climatiques, anthropiques). Notons que, pour être le plus nommé dans la littérature, le développement par érosion régressive n’est pas pour autant le seul qui soit décrit sur le terrain (« forward » versus « regressive » erosion ; Moyersons, 1991) ni observé lors des expérimentations sur modèles réduits (Parker, 1977 ; Parker et Schumm, 1982, cités dans Bryan et Yair, 1982).

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Modèles quantitatifs partiels reliant variables

1.3.2.

morphologiques et processus d’érosion

Certains chercheurs s’attachent à caractériser l’espace des bassins versant en termes de processus à partir des variables morphologiques et à prédire l’érosion. Autrement dit, ils cherchent à déduire l’activité potentielle des différents processus à partir des variables morphologiques. Les informations peuvent concerner des relations simples telle celle entre exposition des versants et gélifraction ou être plus élaborées ; ainsi pour les modèles mathématiques à base physique de l’érosion (Kirkby, 1971, 2003 ; Howard, 1997 ; Roering et al., 2007), même s’ils ne sont que partiels comme dans le cas retenu ici.

Montgomery et Dietrich (1994) proposent un modèle théorique divisant l’espace en régimes de processus en fonction de deux variables dites morphologiques : la pente locale (S) en n’importe quel point du versant et la surface amont drainée (A) (Figure 1.10). Le régime correspond au type de mécanisme d’érosion qui domine sur un espace donné en fonction du logarithme de la pente locale et du logarithme de la surface amont drainée. Ce modèle représente des seuils d’initiation des processus (déterminés à partir des logarithmes de ces deux mêmes variables) et, entre différents seuils, des domaines dévolus à des types de processus.

Figure 1.10. Répartition des différents processus en fonction des variables morphologiques de pente locale et de surface amont drainée exprimées par leur logarithme (Extrait de Vandekerckhove et al.,

2000 ; repris de Montgomery et Dietrich, 1994). Seepage erosion fait référence aux processus d’écoulement de sub- surface et de soutirage ; diffusive erosion aux processus de migration lente

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D’après ce modèle, la relation non linéaire A-S (relation Log-Log) permet de caractériser la potentialité d’une zone à activer un processus donné (Raclot et al., 2005). De nombreux travaux se sont intéressés à cette relation dans le but de déterminer les seuils d’initiation des processus puis de localiser des secteurs potentiellement sensibles au ravinement (Vandaele et al., 1996 ; Desmet et al., 1999 ; Vandekerckhove et al., 2000 ; Martinez-Casasnovas, 2003 ; Morgan et Mngomezulub, 2003). Cette relation n’est pas établie spécifiquement pour les badlands. La position des seuils dans ce modèle varie avec les conditions climatiques, de couverture végétale et la nature des sols (Vandekerckhove et al., 2000 ) et doit être confrontée aux mesures de terrain. Les premières observations de terrain de Montgomery et Dietrich – doublées de la construction d’un MNT à partir de photographies à grande échelle – avaient porté sur un petit bassin de 1,2 km2 du comté de Marin en Californie. Le succès de ce modèle lui vaut d’être utilisé aussi pour montrer le caractère réaliste ou raisonnable des modèles physiques miniatures obtenus en laboratoire sous pluie artificielle, ainsi au laboratoire des géosciences de Rennes (Bonnet et Crave, 2006).

Modèles relatifs à l’effet d’échelle et la non linéarité

1.3.3.

Il est possible de construire des modèles conceptuels traduisant la dépendance des phénomènes à l’échelle à partir de mesures d’érosion. De Vente et Poesen (2005) proposent un modèle conceptuel, établi à partir de résultats de mesure d’érosion dans des terrains ravinés du pourtour méditerranéen (qui ne sont pas des badlands caractérisés). Ce modèle (Figure 1.11) exprime, dans un schéma en échelle logarithmique, la variété des relations entre la dégradation spécifique ou charge sédimentaire spécifique (area-specific sediment yield) et la surface de drainage ; cette charge dépendant des sources et puits sédimentaires. Il indique pour différentes surfaces drainées, les mécanismes conduisant à des « sources sédimentaires » (splash erosion, sheet erosion,…) et complémentairement, à des « puits sédimentaires » (depression storage, …).

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Figure 1.11. Modèle conceptuel de charge solide spécifique (Specific Sediment Yield) à différentes échelles et contribution des sources et puits (Extrait de de Vente et Poesen, 2005)

On retient que les mesures effectuées à une échelle donnée ne peuvent pas être simplement extrapolées à une échelle plus globale (Parsons et al., 2006). D’où les questions : comment passer d’une échelle à l’autre ? Quelles sont les connections et interactions entre les échelles ? Deux approches complémentaires sont proposées dans la littérature : la première est de multiplier les mesures à différentes échelles et de les comparer ; la seconde est de rechercher des modèles d’agrégation (upscaling) permettant de passer de mesures locales à des prédictions à des échelles globales (Parsons et al., 2006). Les modèles d’agrégation s’appuient souvent sur la caractérisation de la non-linéarité du système (Roering et al., 1999) et/ou l’approche par la formalisation des systèmes complexes (Crave et Davy, 2000 ; Phillips, 2003).

Les concepts et formalismes de la non-linéarité sont discutés dans de nombreux travaux. On retient deux sources de non-linéarité parmi celles citées par Phillips (2003), les seuils et l’auto- organisation.

Un seuil est défini comme un état à partir duquel le système change de comportement (par exemple, le seuil de mise en mouvement des particules). De nombreux travaux portent sur la recherche des seuils en géomorphologie et en particulier pour l’étude du ravinement : (Bull et Kirkby, 1997 ; Vandekerckhove et al., 1998 ; Morgan et Mngomezulu, 2003).

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L’auto-organisation désigne « la capacité des éléments d’un système à produire et maintenir une

structure à l’échelle du système sans que cette structure apparaisse au niveau des composantes et sans qu’elle résulte de l’intervention d’un agent extérieur » (@hypergeo). Il existe de nombreuses variantes

de l’auto-organisation liée à la non-linéarité incluant : l’auto-organisation par dissipation de l’énergie (i.e. les systèmes maintiennent leur structure en dissipant l’énergie) et l’auto-organisation critique (i.e. les systèmes évoluent vers un état critique). Ce que l’on appelle les systèmes auto-organisés critiques (self-organized critically) deviennent non-linéaires lorsque le système évolue vers l’état critique. Huggett (1988 cité par Phillips, 2003) suggère que l’auto-organisation par dissipation de l’énergie dans les systèmes qui ne sont pas à l’équilibre thermodynamique puisse être une approche prometteuse en géomorphologie. Une variété de travaux, reposant notamment sur des modèles d’évolution des réseaux hydrographiques, ont exploré cette idée. L’hypothèse la plus commune est que les systèmes géomorphologiques évoluent en maximisant la dissipation de l’énergie (ou minimisant l’effort), tout en cherchant à équilibrer les dépenses d’énergie dans le système (Rodriguez-Iturbe et Rinaldo, 1997). Des physiciens, tel Vincent Fleury se montrent sceptiques vis-à- vis d’affirmations qui ne feraient que reprendre cette hypothèse (Fleury, information orale ; Meakin

et al, 2001).

1.4. En résumé : questions actuelles et objectifs du GIS