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Les modèles de crises de la première génération

Analyse théorique des crises financières et revue de la littérature

A. Les modèles de crises de la première génération

II. Les modèles de crises financières

Les économistes distinguent trois catégories de modèles de crises, qualifiés de génération de crises. On observe les modèles de crise de première génération révélée par Krugman en 1979, les modèles de crises de la deuxième génération mis en avant par Obsfeld en 1994 et les modèles de crises de la troisième génération apparus avec la crise asiatique de 1997.

A. Les modèles de crises de la première génération

Les modèles de crises de la première génération se sont constitués autour de l’article fondateur de Paul Krugman (1979)117

qui a été rendu plus accessible, ensuite, par Robert Flood et Peter Garber (1984)118. A la suite des crises du

système monétaire européen (SME) des années 1990, elle a pris chemin dans les annales des théories explicatives des crises.

L’analyse de ces modèles de crises de la première génération se portera sur leurs fondements de base et leurs contributions dans l’explication des crises des pays émergents.

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Les modèles de troisième génération feront l’objet d’étude dans la deuxième section de ce chapitre.

117P. Krugman (1979), « A model of balance of payment », Journal of Money, Credit and Banking, p. 11.

118 R. Flood et P. Garber (1984), « Collapsing exchange rates regimes, some linear examples », Journal International Economics, p. 17.

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a. Les fondements de base des modèles

Ces premiers modèles de crises démontrent que la crise pourrait se déclencher dans un pays qui veut maintenir un système de taux de change fixe alors que les données fondamentales de son économie se dégradaient. Trois dispositions sont prises en considération, à partir de cette situation, pour la suite des évènements :

 ce pays devrait puiser de ses réserves de change pour maintenir son système de change basé sur un taux de change fixe s’il voulait conserver cette politique monétaire ;

 si ce pays voudrait développer des politiques expansionnistes au niveau macroéconomique, il ne pourrait pas le faire tout en conservant ce même système de change ;

 s’il voudrait accéder au marché des capitaux à l’étranger, il ne pourrait le faire, aussi, à cause d’une parité du taux d’intérêt défavorable, qui serait elle-même le produit de la dégradation des données fondamentales.

Dans ces conditions, si un déficit budgétaire survenait dans ce pays, son financement ne pourrait se faire que par la solution monétaire. C'est-à-dire il doit monétiser ce déficit budgétaire par la création excessive du crédit domestique.

Les spéculateurs savent que l’expansion excessive du crédit domestique conduira inévitablement à une dévaluation car le pays, considéré dans ce modèle, ne pourrait pas financer durablement le système de change fixe au vu des réserves de change limitées. Ils n’attendent pas, donc, jusqu’à ce que se produira l’épuisement de ses réserves de change pour lancer une attaque spéculative.

Ils cherchent le bon moment pour acheter des devises correspond à une date intermédiaire pour les vendre à un moment où le stock de réserves atteint juste

Page 103 le niveau qui permette de récupérer leur mise. C’est à ce stade qu’intervient l’attaque spéculative.

Dans de telles circonstances, la condition de parité des taux d’intérêt implique une sortie de capitaux. Diamond et Dybvig (1983)119 ont démontré cette attaque spéculative qui entraine un effondrement des réserves et l’abondant des changes fixes.

Pour expliquer ce modèle en d’autres termes, le modèle Flood et Garber (1984a) pose comme hypothèse deux variables : la masse monétaire et le crédit domestique. Dans le modèle, il considère que la variable exogène caractérisant la politique monétaire n’est pas la masse monétaire mais l’une de ses contreparties : le crédit domestique. Il s’agit d’une vision monétaire de l’économie, On a120

:

𝑀 = 𝐷 + 𝑅

Avec 𝑀 la masse monétaire, 𝐷 le crédit domestique et 𝑅 les réserves de change.

La variable exogène est, donc, le crédit domestique D et la masse monétaire M est, en fait, une variable endogène du modèle d’attaque spéculative.

Cette hypothèse signifie que les autorités monétaires, après avoir fixé le montant du crédit domestique, ne peuvent réagir aux variations de réserves par des variations de crédit domestique concomitantes. La banque ne peut stériliser les flux de réserves ou inversement accroitre leur impact sur la masse monétaire, à l’intérieur de période 1 ou 2…

La Banque centrale ne peut, dans ce modèle, stériliser les variations de 𝐷 aux modifications du niveau des réserves. C’est un crédit intérieur incompatible avec le maintien de la condition « parité des taux d’intérêt » (PTI) et les

119 Diamond D. & P. Dybvig (1983), “Bank reserves, liquidity and deposit insurrance”, Journal on Political Economic, n° 91.

120120

Bourguinat H., Teîletche J. & Dupuy M. (2007), « Finance international », édition Dalloz, septembre 2007, p. 411-437.

Page 104 anticipations défavorables sur l’évolution du taux de change qui déclenche l’attaque spéculative.

Au début de la période, les agents adressent leur demande de monnaie étrangère contre cession de monnaie nationale à la Banque centrale. Les agents sont servis au taux 𝑒 tant que les réserves de change sont suffisantes. A partir du moment où la demande de monnaie étrangère excède 𝑅 -𝑅 tous les agents ne peuvent être satisfaits au taux 𝑒 , les restants sont répartis de façon aléatoire dans une queue qui détermine l’ordre dans lequel ils seront servis et à quel taux : taux 𝑒 , le shadow exchange rate.

Lorsque la Banque centrale a épuisé ses réserves, celles-ci dévalue et, 𝑒 

𝑒. Dans ce modèle, l’important est de bien voir que les agents n’attendent pas que les réserves soient épuisées pour vendre leurs avoirs en monnaie nationale. Dés l’instant que le taux de référence est atteint, l’attaque spéculaire se déclenche et anticipe l’avènement de la crise bien avant que les réserves s’épuisent. Ce modèle de Krugman a, donc, fait comprendre que la chute des monnaies s’effectue à partir d’un inévitable abandon d’un ancrage insoutenable.

Mais, ce modèle est critiqué pour son manque de réalisme. En effet, lors de la description de la décision de l’abandon du 𝑝𝑒𝑔, les politiciens sont passifs et abandonnent le 𝑝𝑒𝑔 dès que les réserves atteignent le seuil minimum. Ils ne prennent pas des décisions pour défendre leur politique de change et n’ajustent pas les objectifs de leur politique en fonction des évolutions économiques et politiques extérieures.

Ceci conduit à dire que la dévaluation reflète l’impossibilité de maintenir une politique courante de change. La détérioration des fondamentaux occupe une place importante dans l’histoire des crises de change. Souvent, la décision de dévaluation n’est pas prise à cause d’une politique insoutenable mais afin de réaliser d’autres objectifs, compte tenu des évolutions extérieures. La dévaluation est, donc, une décision politique car le maintien du 𝑝𝑒𝑔 est techniquement faisable, notamment, lorsque la Banque Centrale peut

Page 105 emprunter des réserves mais pour le gouvernement, cela ne représente pas une solution optimale au vu des coûts d’une telle opération et l’importance des autres objectifs de la politique économique. Krugman (1996) et d’autres auteurs utilisent le terme « nouveau modèle de crises » pour les modèles qui attribuent un rôle central à l’optimisation du gouvernement et qui caractérise la décision de dévaluation en termes de choix entre différents objectifs.

Ces modèles indiquent que le déclenchement d'une crise n'est pas un phénomène purement aléatoire mais c'est le résultat de déséquilibre économique en mettant l'accent sur les contradictions entre des objectifs économiques. Les politiques monétaires et fiscales sont, en général, incompatibles avec un taux de change stable.

b. La contribution des modèles à expliquer les crises

Ces modèles d’explication de crise reposent sur l’hypothèse de la mauvaise gestion macroéconomique qui entraîne la détérioration des grandeurs fondamentales (inflation, solde public, dette souveraine, emploi, investissement, etc.). Ce qui laisse à s’interroger : est-ce que cette hypothèse de la mauvaise gestion macroéconomique demeure encore valable dans le cas de la crise des pays émergents ?

Les économistes reconnaissent que ces modèles ont contribué relativement à expliquer les crises du SME des années 1990 mais ils n’ont pas pu, en général, expliquer celles qui ont touché les pays émergents. Ils s’accordent à considérer que ce modèle a réussi à donner une explication à la crise mexicaine de 1994 mais n’est pas le cas pour les autres crises.

Ils expliquent que la crise mexicaine de 1994 représente le type des crises qui peut être expliquée par une mauvaise gestion macroéconomique. Les effets induits par les fortes entrées de capitaux se sont révélées incompatibles avec le

Page 106 maintien du cours du change fixe. Pour la crise asiatique, les aspects fondamentaux de la gestion macroéconomique dans les cinq pays asiatiques touchés par la crise (Thaïlande, Corée, Malaisie, Indonésie et Philippines) étaient restés sains depuis le début des années 90. Les soldes budgétaires et plus précisément leurs déficits ont enregistré de façon régulière des surplus dans tous ces cinq pays asiatiques. Jusqu’en 1996 les dettes extérieures souveraines se sont situées à des niveaux « prudents » ou ont baissé de manière régulière.

La croissance spectaculaire, les finances publiques saines ainsi que la fixité du change avaient créée un climat de confiance générale dans les économies asiatiques. Pour cela, l’hypothèse de la mauvaise gestion macroéconomique, conduisant à l’abondant au système de change fixe, ne peut se valider dans le cas de cette crise. Ce qui laisse à dire que ces modèles de première génération ne peuvent expliquer la crise asiatique.

Un point essentiel du modèle de Krugman (1979), qui peut être retenu et qui fait son mérite, est l’anticipation de la dépréciation instantanée du change lors du passage en changes flexibles. Les opérateurs sur le marché de change déclenchaient une attaque préventive, avant l’épuisement des réserves de change afin d’éviter des pertes en capital.

Or, l’un des aspects, qui ont marqué les analystes de la crise asiatique, a été le défaut d’anticipation de la part des participants au marché. Quelques mois avant le déclenchement de la crise, les agences de notations affichaient des analyses de crédit encourageantes, la Banque Mondiale parlait encore du «

miracle asiatique » tandis que le Fonds Monétaire International, à travers son

rapport annuel prévoyait une forte croissance, de l’ordre de 7,4% pour les pays asiatiques (World Economic Outlook, 1997b).

La prime de risque, indicateur essentiel de l’état de confiance des investisseurs internationaux, s’est maintenue à des niveaux très bas au cours de la période qui a précédé la crise, c’est-à-dire jusqu’à la seconde moitié de l’année 1997. De plus, sur le marché de change, la dépréciation du change au moment de la

Page 107 crise a été extrêmement importante, ce qui prouve l’absence d’anticipation de la part des participants au marché de change. Cette absence d'anticipation est due, par rapport au modèle, à ce qu’il faut, non seulement, rééquilibrer la balance courante mais également compenser la fuite des capitaux.

Par contre, les économistes reconnaissent que ce modèle peut relativement expliquer les autres crises des pays émergents qui ont précédé la crise asiatique.

L'objectif de cette première catégorie des modèles est de montrer que l'occurrence d'une crise résulte logiquement de l'incohérence entre la politique intérieure et la politique de taux de change, c'est-à-dire la stabilité de taux de change, et qu'elle n'est pas la conséquence d'irrationalité des opérateurs. En revanche, ces derniers jouent le rôle le plus important dans la deuxième catégorie des modèles.