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Les modèles de crises de la deuxième génération

Analyse théorique des crises financières et revue de la littérature

B. Les modèles de crises de la deuxième génération

B. Les modèles de crises de la deuxième génération

Les modèles de crise de deuxième génération ont été développés à la suite des crises du système Monétaire Européen (SME) de 1992-1993 qui ont constitué les premières expériences de la globalisation financière au sein des pays développés.

Ces modèles de deuxième génération, développée en premier par Maurice Obstfeld (1994)121 et (1996)122, sont connus comme des modèles d’équilibres multiples et d’anticipations autoréalistes. Leur idée principale est qu’il existe plusieurs situations possibles à l’équilibre, soit dans le cas de crise ou dans le cas de non crise, selon la psychologie des agents : pessimistes ou optimistes.

121 M. Obstfeld (1994), « The logic of currencies crises », Cahiers économiques et monétaires, Banque de France, p. 543.

122 M. Obsfeld (1996), “Models of currency crises with selffulling features”, European Economic Review, p. 25.

Page 108 Il est, donc, intéressant, dans l’étude de ces modèles, de voir leurs fondements de base et leurs possibles contributions dans l’explication des crises des pays émergents.

a. Les fondements de base des modèles

Ces modèles expliquent la crise à partir des interactions stratégiques entre les intentions futures des gouvernements, telles qu'elles sont signalées dans leurs communiqués, leurs déclarations et dans les débats politiques internes et les interprétations hétérogènes qu’en donnent les spéculateurs.

Deux caractéristiques sont à observer pour comprendre ces modèles123 :

 le gouvernement est un agent actif qui maximise une fonction objectif ;

 un processus circulaire se développe conduisant à des équilibres multiples qui interviennent, à la base, par des anticipations autoréalistes.

Les crises interviennent, alors, dés l’instant qu’une vague de pessimisme profond gagnera un groupe d’investisseurs provoquant une sortie de capitaux. Cela entrainera un collapsus du système qui vient lui-même valider les anticipations défavorables.

Obstfeld (1994) explique la crise de change en tant que résultat du conflit entre le régime de changes fixe et la volonté du gouvernement de poursuivre une politique monétaire plus expansionniste. Lorsque les investisseurs commencent à former des anticipations relatives à l’abandon des changes fixes, les pressions sur les taux d’intérêt qui en découlent sont susceptibles de pousser le gouvernement à prendre effectivement la décision d’abandonner ce régime de change. Il ne s’agit plus d’une détérioration significative des fondamentaux

123 H. Bourguinat (1999), « Finance Internationale : après l’euro et les crises », Puf, 4ème édition, Novembre 1999, p.583.

Page 109 macroéconomiques. C’est le jeu stratégique entre le gouvernement et les marchés qui forment le scénario de la crise.

Dans ce modèle d’explication de crise, certains économistes adeptes des modèles de première génération continuent à croire que des données fondamentales jouent un rôle permissif important et augmentent la possibilité de crise qui présentent des chocs imprévus ou des changements inopinés de l’environnement macroéconomique conduisant les gouvernements à abandonner les changes fixes. D’autres économistes veulent, par contre, se distinguer particulièrement avec ces modèles de seconde génération en écartant les fondamentaux et suggérant que la crise découle d’un mouvement autonome de spéculation contre la monnaie.

Ils considèrent que des comportements moutonniers "𝑕𝑒𝑑𝑔𝑖𝑛𝑔 𝑏𝑒𝑕𝑎𝑣𝑖𝑜𝑟" sont à l’origine du déclenchement de la crise. Ils expliquent que le coût et la disponibilité de l’information peuvent générer des rumeurs qui provoquent la crise.

Deux modèles se présentent comme modèle de référence. Il s’agit du modèle d’Obsfeld (1994) et du modèle de Bensaïd & Jeanne (1997)124

.

Pour Obstfeld, les anticipations de dévaluation se reflètent dans les taux d’intérêt et le gouvernement dévalue sous la pression de la hausse du coût du paiement du service de la dette.

Le gouvernement minimise une fonction de perte125 : 𝐿 = 1

2 𝜏2+ 𝜃

2𝜀2 + 𝑐𝑍 Où  est une taxe prélevée pour payer la dette ;  est le taux de dépréciation de la monnaie ;

124

B. Bensaïd & O. Jeanne (1997), “The instability of exchange rate systems when raising the

interest rate is costly”, European Economic Review, 41.

125 H. Bourguinat, J. Teîletche & M. Dupuy (2007), « Finance international », édition Dalloz, septembre 2007, p. 411-437.

Page 110 𝑐 est coût de réalignement du gouvernement ;

𝑍 est une variable muette qui signifie une dévaluation si 𝑍 = 1.

Dans cette fonction de perte, le gouvernement préfère atteindre le taux . Cependant, le marché attend que la monnaie se déprécie jusqu’au taux 𝜀2  et le taux d’intérêt augmente, alors, jusqu’à 𝑖2. Le gouvernement sera, de ce fait, poussé à tenir compte des anticipations de dévaluation des agents et du coût du maintien de la parité sur la dette. Ce réalignement lui coûtera c.

Pour Bensaïd et Jeanne (1997), la dévaluation est déclenchée par le désir du gouvernement de faire face à des chocs négatifs de production, mais un changement soudain dans les sentiments du marché à propos de la volonté du gouvernement de tolérer un certain niveau de chômage peut déclencher une dévaluation qui n’aurait pas lieu sous d’autres anticipations.

Le gouvernement minimise une fonction de perte126 : 𝐿 =𝜃

2 𝜀2+ 1

2 𝑥 𝑒 − 𝑤 – 𝑈 − 𝑦 2 + 𝑐𝑍

Où 𝑤 représente les salaires nominaux, 𝑦 la production d’équilibre et 𝑈 le chômage.

Pour déterminer la règle de dévaluation, on calcule tout d’abord la valeur de 𝐿 lorsque le taux de change reste fixe donnant le taux 𝐿𝐹 , puis la valeur 𝐿 lorsque la dévaluation a lieu donnant le taux 𝐿𝐷.

Si 𝐿𝐹  𝐿𝐷 le coût du maintien de la parité est supérieur au coût de la dévaluation et il convient alors de dévaluer. L’inégalité 𝐿𝐹 − 𝐿𝐷  0 amène deux valeurs pour 𝑈 : 𝑈 ; 𝑈.

Si 𝑈  𝑈, le gouvernement dévalue et si 𝑈  𝑈 , le gouvernement ne dévalue pas.

Page 111 Il existe, donc, un intervalle 𝑈 ; 𝑈 de valeurs pour lesquelles il n’y a ajustement que sous l’effet des anticipations des agents et dont les bornes dépendent des anticipations des agents et de la perception du marché par la signification de ces deux points. Cette circularité crée des équilibres multiples. De façon plus intuitive, les auteurs de ce modèle indiquent que le coût de défense du « Peg » vient du chômage et des taux d’intérêt. Si la défense de la monnaie est gênée par le niveau du chômage, la fonction de perte est :

𝐿 = 𝑈2 + 𝛿𝐹

Avec 𝑈 le chômage, 𝐹 le coût de sortie du système et 𝛿 = 1, si la dévaluation a lieu et 0 sinon.

On calcule de même 𝐿𝐹 et 𝐿𝐷 et on obtient deux valeurs : A et B. Au-delà de B, le chômage est trop élevé et le coût de défense de la parité est excessif, la dévaluation est certaine. Au dessous de A, le niveau de chômage est faible, il n’y a pas de dévaluation. Mais, il existe un intervalle [A ; B] qui représente une zone critique de niveaux de chômage pour lesquels les anticipations autoréalisatrices des agents peuvent faire passer l’économie d’un équilibre de crise à un équilibre de non-crise.

De même, pour traduire le coût représenté par une hausse des taux d’intérêt due à la défense de la monnaie, on minimise la fonction de perte suivante :

𝐿 = [𝑆 + 𝛾𝑙]2 𝛿 𝐹

Où S peut être n’importe quelle variable (système bancaire, dette publique…), pourvu qu’elle entre dans la fonction objective du gouvernement et qu’elle soit influencée par le taux d’intérêt i. on aboutira également à un intervalle de valeurs critiques de fondamentaux [A ; B].

A partir du moment où les fondamentaux entrent dans un intervalle de valeurs critiques, l’état de l’économie peut passer d’un équilibre de non-crise à un équilibre de crise sous l’effet de la spéculation autoréalisatrice.

Page 112 Les modèles de deuxième génération apportent, donc, des éléments nouveaux dans l’explication des crises. En effet, ils ont développé des interprétations pour les crises du SME (1992-1994).

En Europe, pendant les années 90, les politiques monétaires trop expansionnistes, conduites par certains pays, ont provoqué des anticipations défavorables de la part des spéculateurs conduisant à des crises spéculatives. Par exemple, la France pratiquait des politiques plus restrictives à la suite, notamment, de la réunification allemande et n’avaient pas de problème aigu de réserves de change. Les fondamentaux ne paraissaient pas vraiment en cause car la France avait, même, alors une politique monétaire aussi stricte que celle de l’Allemagne. Cependant, elle a adopté un instrument pour défendre la parité déclarée, à savoir la hausse du taux d’intérêt. Cela semblait d’une efficacité limitée car, au lieu de décourager les sorties de capitaux, elle a pesé sur l’activité interne. Par conséquent, les spéculateurs réagissaient en anticipant qu’elle ne pourrait pas s’imposer durablement et, ce faisant, ils prévoyaient qu’un changement vers une politique monétaire plus laxiste. C’est cette anticipation qui peut être suffisante en conduisant les autorités à élever davantage encore le taux d’intérêt et, par suite, à déclencher la crise.

Peu importe qu’elle soit fondé ou rationnelle ou pas, cette vague de prévision est même susceptible de transformer une situation éventuellement « erronée » en situation « vraie » elle révèle, parfaitement, des anticipations auto-réalisatrices, au sens de R. K. Merton. En conséquence, le déclenchement de la crise est plus difficile à prévoir puisque, à un même niveau de fondamentaux, il peut y voir crise ou non crise. Il y a toujours possibilité d’équilibres multiples. Le problème, non résolu par ces modèles, est de savoir, par rapport à ces deux possibilités, attaque ou non attaque, quels sont justement les fondamentaux qui sont susceptibles de guider les spéculateurs dans leur choix ? Certains auteurs (Jeanne, 1996)127 suggèrent qu’il convient de retenir compte de « fondamentaux élargis » et pas seulement de la politique monétaire et

127

Jeanne O. (1996), « Les modèles de crises de change : un essai de synthèse en relation avec

Page 113 budgétaire. Il est clair, par exemple que le niveau de chômage ou celui de la dette, est susceptible de jouer un rôle significatif. Il n’est pas, non plus, exclu que la situation politique, telles que contestation du pouvoir, crises éthiques, ne puisse jouer un rôle. En fin de compte, c’est de la situation de l’ensemble des fondamentaux que dépend le déclenchement.

b. La contribution de ces modèles à expliquer les crises

Ces modèles reposent sur l’hypothèse de la volonté du gouvernement de poursuivre une politique monétaire expansionniste tout en maintenant le régime de changes fixes qui conduit à une anticipation défavorable de la part des spéculateurs. Ce qui laisse à s’interroger : est ce que cette hypothèse demeure encore valable dans le cas des crises des pays émergents ?

Ce type de modèle de la deuxième génération n’a pas paru suffisant pour expliquer les crises asiatiques et celles des pays émergents. Les indicateurs de mauvaises performances macroéconomiques pris en compte par la littérature initiée par Obstfeld sont la croissance, l’emploi et l’inflation. Or, dans les économies asiatiques, les taux de croissance étaient élevés et le chômage et l’inflation assez bas.