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Chapitre III La parole dans le bruit

1. Les masquages énergétique et informationnel

Que la présence d’un bruit puisse masquer le signal de parole est un savoir implicite, nous aurons d’ailleurs naturellement tendance à cesser de parler lorsqu’un bruit fort survient (e.g., une moto accélérant à côté de nous). Nous savons qu’il est inutile de poursuivre notre propos qui sera de toute façon inaudible pour notre interlocuteur. La conscience de l’effet de masquage au quotidien fait référence à l’idée selon laquelle le signal le plus fort sera le mieux entendu. En réalité deux types de masquages vont opérer en situation de parole dans le bruit : le masquage énergétique et le masquage informationnel (Brungart, 2001).

1.1. Le masquage énergétique

Le masquage énergétique fait référence à un masquage purement physique. Simplement, deux bruits partageant les mêmes bandes de fréquence vont stimuler les mêmes parties de la cochlée au même moment. L’un des deux bruits ne pourra ainsi pas être entendu. Le masquage va ainsi apparaître uniquement si le masqueur partage des caractéristiques spectro-temporelles avec le signal d’intérêt. En situation de parole dans la parole, l’effet de masquage énergétique va augmenter proportionnellement avec le nombre de voix dans le fond sonore (Simpson & Cooke, 2005). Le masquage énergétique est donc présent quelle que soit la nature du bruit masquant, du moment qu’il partage les mêmes bandes de fréquences que le signal cible. Le Rapport Signal/Bruit (SNR) c’est-à-dire l’intensité relative du masqueur par rapport au signal cible, va également faire varier l’importance du masquage énergétique. En effet, plus l’intensité du masqueur est importante comparativement au signal cible, plus ce dernier est masqué (Bronkhorst & Plomp, 1988).

1.2. Le masquage informationnel

La définition du masquage informationnel est plus complexe. En effet, il représente les effets de masquage ne pouvant pas être expliqués par le masquage énergétique (Durlach, 2006). Plus spécifiquement, le masquage informationnel fait référence aux interférences n’apparaissant pas au niveau périphérique. Il est particulièrement important en situation de parole dans la parole (Brungart, 2001; Brungart, Chang, Simpson, & Wang, 2006; Brungart, Simpson, Ericson, & Scott, 2001). A SNR (Rapport Signal/Bruit) égal, l’effet masquant du masquage informationnel est beaucoup plus important que celui du masquage énergétique. En effet, Festen et Plomp (1990) ont mis en évidence que le SNR nécessaire pour atteindre le Seuil de Perception de la Parole

59 (i.e., 50% de détection correcte d’une phrase présentée dans du bruit) était décalé de 6 à 8 dB en condition de parole dans la parole comparativement à une condition de parole dans du bruit fluctuant. La présence des deux types de masquage en situation de parole dans la parole diminue ainsi l’intelligibilité de la parole cible.

Figure 6

Forme et spectrogramme de différents types de bruits. A. Bruit Stationnaire. B. Bruit Fluctuant. C. Bruit parolier (4 voix).

En situation de parole dans la parole, le masquage informationnel provient principalement des interférences linguistiques entre le signal cible et le fond sonore. Ces interférences se situent aussi bien au niveau phonologique (Gautreau et al., 2013) lexical (Boulenger et al., 2010) que sémantique (Brouwer, Van Engen, Calandruccio, & Bradlow, 2012). Ainsi, Boulenger et al., (2010) ont mis en évidence un effet lexical du masquage informationnel. Des fonds sonores composés de 2, 4, 6, ou 8 voix prononçant des mots ayant une fréquence d’occurrence élevée (F> 45 par million) ou faible (F<1 par million) étaient présentés aux participants. Un item cible était présenté 2.5 s après le début du stimulus. Les participants devaient effectuer une tâche de décision lexicale sur cet item. Les temps de réponses ont mis en évidence que la fréquence des mots composant les fonds sonores avait un impact sur le traitement des mots cibles. Ainsi, lorsque les mots du fond sonore avaient une fréquence importante, la reconnaissance des mots cibles était ralentie comparativement à lorsque les mots composant le fond sonore avaient une fréquence d’occurrence faible.

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Le masquage informationnel peut également ne pas être en modalité auditive. Puisque sa définition implique simplement qu’il ne provient pas d’interférences au niveau périphérique Mattys et collègues (Mattys, Brooks, & Cooke, 2009; Mattys & Wiget, 2011) définissent le masquage informationnel comme n’importe quelle interférence au niveau central. Le masquage informationnel est donc amodal et peut être généré par l’exécution d’une double tâche. Dans une série d’expérience, Mattys et Wiget (2011) testent l’existence de l’effet Ganong (Ganong, 1980) en condition de charge cognitive. L’effet Ganong réfère à l’influence des connaissances lexicales sur l’identification des phonèmes, plus précisément à la lexicalisation d’un pseudo-mot contenant un phonème ambigu. Les participants doivent ainsi effectuer une tâche de recherche visuelle (i.e., indiquer la colonne et la ligne du carré rouge ; cf Figure 7) tout en écoutant des pseudo-mots (i.e., gift/kift ; giss/kiss). Ils doivent alors déterminer si le premier phonème était /g/ ou/k/.

Figure 7

Tiré de Mattys et al., (2011). Exemple de tâche visuelle permettant d’augmenter la charge cognitive. Les participants doivent chercher le carré rouge parmi les carrés noirs et triangles rouges. A. Cible absente.

B. Cible présente à la 2e colonne, 5e ligne.

Les résultats mettent en évidence une augmentation de l’effet de lexicalité en condition de charge cognitive, comme conséquence de l’appauvrissement du traitement des informations sensorielles. C’est-à-dire que les participants vont augmenter leur dépendance aux informations top-down pour compenser le manque de qualité des informations bottom-up.

Toutefois, la compréhension de la parole dans le bruit peut également être améliorée grâce à l’utilisation de certains indices bas niveau. Les indices démasquants diminuent l’effet de masquage sur le signal cible, les principaux sont les fluctuations temporelles du signal, et la différence de localisation entre le signal cible et le fond sonore. Les caractéristiques vocales de l’interlocuteur quant à elles facilitent la distinction du signal cible et du fond sonore. Nous présentons ici ces 3 effets, bien que seules les caractéristiques vocales de l’individu sont utilisées afin d’améliorer les performances des participants dans l’Etude 1.

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