• Aucun résultat trouvé

Chapitre V La dyslexie

3. Le déficit phonologique

La théorie explicative de la dyslexie la plus prégnante ces dernières décennies est la théorie reposant sur l’idée d’un déficit phonologique. Ce déficit phonologique se traduirait par des représentations phonologiques instables, rendant difficile l’association graphème-phonème et donc l’apprentissage de la lecture. Nous présentons les manifestations comportementales de ce trouble, qui se retrouvent chez tous les dyslexiques (Ramus, 2003; White et al., 2006).

3.1. La conscience phonologique

Il existe un consensus selon lequel les personnes dyslexiques présentent des difficultés dans les tâches qui ont trait au traitement phonologique. Nous avons vu dans le chapitre 1, que le flux de parole se compose de plusieurs unités. Les unités de sens : les phrases, mots et morphèmes et les unités de forme : syllabes et phonèmes, ces dernières constituant la plus petite unité du signal de parole. Lors de l’apprentissage de la lecture, les enfants apprennent d’abord à distinguer les syllabes dans le flux de parole puis les phonèmes. La distinction des phonèmes est indispensable puisqu’elle va permettre de former des représentations phonologiques qui seront ensuite appariées à leur correspondance orthographique, permettant la conversion graphème/phonème. C’est cette capacité à apparier un signe graphique au son de parole lui correspondant qui permet l’apprentissage de la lecture (Castles & Coltheart, 1993). L’implication des compétences phonologiques dans la lecture a largement été démontrée et elles sont

96

apparues comme un des meilleurs prédicteurs des compétences en lecture (Duff, Hayiou-Thomas, & Hulme, 2012; Stanovich, 1988).

Le déficit phonologique a été mis en évidence sur l’ensemble de la population dyslexique (Ramus et al., 2003; Sprenger-Charolles et al., 2000; mais voir Bosse, Tainturier & Valdois, 2007 pour une hypothèse attentionnelle). Il se manifeste traditionnellement (a) par un déficit en conscience phonologique, qui se manifeste par une difficulté à accéder consciemment aux représentations phonémiques et à les manipuler, (b) par un déficit en mémoire à court–terme verbale et (c) par une difficulté à récupérer le code phonologique faisant référence à un objet en mémoire à long-terme (mais voir Wolf & Bowers, 2000 pour l'hypothèse du double déficit). Ces compétences vont être testées respectivement avec des tests comme (a) la suppression de phonème ou les contrepèteries, (b) la mémoire de travail (testée avec un empan digital ou la répétition de pseudo-mots et enfin (c) la dénomination rapide (RAN ; Rapid

Automatized Naming ; Denckla & Rudel, 1976). Ces difficultés vont persister à l’âge

adulte, même après rééducation (J. Martin et al., 2010) car l’exécution de ces tâches nécessite l’intégrité des représentations phonologiques. L’observation des difficultés des dyslexiques dans ces tâches suggère ainsi que leurs représentations phonologiques sont dégradées ou instables (mais voir aussi Boets et al., 2013; Ramus & Szenkovits, 2008 pour une hypothèse alternative expliquée dans la partie sur l'Anchor Theory p100). La conscience phonologique est toutefois également dépendante du niveau de lecture, puisque l’apprentissage de la conversion graphème-phonème va faciliter la manipulation de ces derniers. Pourtant, le faible niveau en lecture des dyslexiques ne permet pas d’expliquer leurs mauvaises performances dans les tâches impliquant la conscience phonologique. En effet, même comparés à des contrôles appariés en niveau de lecture, les participants dyslexiques présentent des scores déficitaires à ces tâches. La conscience phonologique est également un prédicteur de l’apprentissage de la lecture chez les enfants pré-lecteurs (Sprenger-Charolles et al., 2000).

3.2. La perception allophonique

Un autre argument en faveur d’un déficit de représentations phonologiques des dyslexiques provient des études s’intéressant à la perception allophonique vs catégorielle. Les différents phonèmes sont composés de traits phonétiques comme le lieu d’articulation, le voisement, et le mode d’articulation. Ces différents traits vont permettre de distinguer deux phonèmes. Par exemple le phonème /b/ et /p/ en français ne diffèrent que par le VOT (Voice Onset Time) c’est-à-dire le délai entre l’ouverture du conduit vocal et la mise en vibration des cordes vocales. Lorsque le VOT est négatif, les orateurs français vont percevoir un /b/, alors que lorsque le VOT est positif, ils vont percevoir un /p/. Le positionnement de cette frontière dépend de la langue (cf. Figure 16). La perception des phonèmes évolue en fonction de la langue dans laquelle le nourrisson est élevé. A la naissance, celui-ci a une perception

97 allophonique, et sera capable de distinguer deux stimuli positionnés du même côté de la frontière catégorielle. Cette perception allophonique évolue vers une perception catégorielle à force d’exposition à une langue spécifique. Il semble pourtant que les dyslexiques n’accèdent pas ou peu à cette perception catégorielle et conservent une perception allophonique (Bogliotti, Serniclaes, Messaoud-Galusi, & Sprenger-Charolles, 2008; Serniclaes, Van Heghe, Mousty, Carre, & Sprenger-Sprenger-Charolles, 2004).

Figure 16

Adapté de Serniclaes et al. (2004). A. Illustration des frontières perceptuelles pour les enfants pré-linguistiques. Illustration (B) de la perception catégorielle en anglais et (C) en français.

Les études s’intéressant à la perception allophonique vs catégorielle étudient la perception des participants en fonction des caractéristiques acoustiques des stimuli présentés. C’est-à-dire qu’une série de stimuli est créée à partir d’une syllabe, par exemple /to/. Le VOT est ensuite manipulé, afin de créer une série de stimuli créant un continuum de /to/ vers /do/. Les participants doivent ensuite déterminer si tel ou tel stimulus est un /to/ ou un /do/, ou encore, deux stimuli sont présentés à chaque essai et les participants doivent déterminer s’ils sont identiques ou différents. Classiquement, la différence de durée de VOT entre les deux stimuli présentés n’a pas d’influence sur la perception d’une différence entre les deux stimuli. C’est le placement de l’un ou l’autre des stimuli d’un côté ou de l’autre de la frontière catégorielle qui va permettre la distinction entre les deux phonèmes. Ainsi une différence de 20 ms va permettre de distinguer les deux stimuli si chacun est d’un côté de la frontière alors qu’une différence de 20 ms ne permettra pas de les distinguer s’ils sont du même côté de la frontière (cf. Figure 17). Ce déficit des dyslexiques en perception catégorielle peut expliquer en partie la difficulté à apprendre les correspondances graphème-phonèmes. En effet, si les dyslexiques conservent les frontières pré-linguistiques (i.e., perception allophonique ; cf. Figure 16 et Figure 17), alors ils vont percevoir par exemple deux sortes de p alors que les lecteurs français n’en percevront qu’un. Il sera alors difficile d’apparier deux perceptions différentes à un même graphème.

98

Le déficit phonologique peut aussi être expliqué par la présence d’un trouble de bas niveau comme un déficit du traitement auditif.

Figure 17

Tiré de Bogliotti et al., (2008). Pourcentage de réponses /to/ (vs /do/) en fonction de la durée du VOT et du groupe de participants. DYS = Dyslexique ; RLC = Contrôle âge lecture ; CAC = Contrôle âge

chronologique.