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Chapitre 2 État des connaissances

2.1
 État
de
santé 13


2.1.1 Les maladies chroniques et la comorbidité

Les maladies chroniques les plus fréquentes chez les personnes âgées sont de façon générale les maladies qui ont la plus grande prévalence au niveau de la population, soit les différentes formes de cancer, les maladies cardiovasculaires, ostéoarticulaires et des voies respiratoires, et les problèmes du système nerveux central (Levasseur et Goulet, 2000; Rochon, 2004). Les troubles cognitifs (c.-à-d. démence et maladie d’Alzheimer) et la dépression sont aussi associés à la population âgée bien qu’ils soient souvent étudiés comme des catégories distinctes de maladies chroniques (Ganguli et al., 2006; Zhang et al., 2006). Dans le domaine de la recherche sur les services de santé, les maladies sont étudiées individuellement afin de comprendre leur fardeau – médical, économique et social – et évaluer des interventions spécifiques à la maladie. Ces maladies s’avèrent aussi, évidemment, être les causes de décès les plus prévalentes. Et plusieurs études se servent de ces causes de décès comme proxy de l’état de santé pour étudier les différences de prises en charge et de coûts en fin de vie (Hogan et al., 2001; Menec et al., 2007; Moorin et Holman, 2008). L’avantage avec les maladies chroniques est que la Classification internationale des

maladies (CIM) (OMS, 2007) favorise la standardisation de la collecte de données et la comparabilité des résultats, dans le temps et dans l’espace.

Cependant, en gériatrie et en santé publique, on admet que c’est la multimorbidité et la comorbidité1 qui distinguent les besoins médicaux des aînés de ceux de la population générale. Ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui présentent plusieurs maladies chroniques mais la prévalence augmente significativement avec l’âge. Selon diverses sources, elle serait d’au moins 60% chez les 65 ans et plus – et un peu plus chez les femmes (Broemeling et al., 2008; Wolff et al., 2002).

Au-delà de l’effet des maladies prises individuellement, la multimorbidité et la comorbidité ont des conséquences sur la qualité de vie, la mortalité et l’utilisation des services (Broemeling et al., 2008; Bynum et al., 2004; Fried et al., 2004; Gijsen et al., 2001; Himelhoch et al., 2004). Des combinaisons particulières de maladies augmentent les risques d’incapacité et l’utilisation conséquente de services (Fried et al., 2004; Tooth et al., 2008; Westert et al., 2001). Par exemple, les personnes qui ont au moins une maladie chronique et des symptômes dépressifs sont au moins 2 fois plus sujettes à utiliser les services d’urgence, les services médicaux hospitaliers comparativement à celles qui n’ont pas de dépression (Himelhoch et al., 2004). Gijsen et al. (2001) présentent une synthèse des études qui ont montré des effets tous aussi significatifs pour d’autres combinaisons de maladies.

Une revue relativement récente de la littérature a identifié treize méthodes différentes pour mesurer la comorbidité dans le but d’en étudier les conséquences en termes de morbidité et de mortalité (de Groot et al., 2003). Ces méthodes expriment la comorbidité de trois façons : la somme du nombre de maladies, la cooccurrence de plusieurs maladies associées à un trouble ou une maladie primaire, et les indices de comorbidité qui combinent le nombre et la gravité des maladies (par ex., l’Index de comorbidité de Charlson construit sur la base de la CIM (Charlson et al., 1987)). Pour les indices, la gravité est le plus souvent

1 Alors que la multimorbidité réfère à la cooccurrence de plusieurs maladies, la comorbidité désigne

la présence d’un ou de plusieurs troubles associés à un trouble ou une maladie primaire (Tooth et al., 2008).

évaluée par la probabilité de décès à un an en partant de données recueillies auprès de patients hospitalisés; quoique certains mesurent la gravité sur la base des limitations physiques et mentales et/ou du besoin de traitement (Gijsen et al., 2001).

La valeur prédictive de ces instruments est beaucoup mieux documentée pour la morbidité et la mortalité que pour l’utilisation des services. Seulement 8 des 78 études identifiées par la revue de littérature de Gijsen et al. (2003) visaient spécifiquement à étudier l’effet de la comorbidité sur l’utilisation. De plus, les mesures qui ont une bonne valeur prédictive pour la mortalité ne sont pas nécessairement de bonnes mesures pour prédire l’utilisation sur tout le continuum de services (Farley et al., 2006; Mayo et al., 2005; Miller et Weissert, 2000; Tooth et al., 2008).

On doit aussi ajouter à la liste d’indicateurs de comorbidité les indices de case-mix qui, en plus de l’âge et le sexe, sont fortement dépendants de la comorbidité telle que codée dans les bases de données administratives. Bien que ces indices constituent une pierre angulaire de l’analyse des services de santé (notamment les services hospitaliers), plusieurs travaux convergent pour dire qu’ils sous-estiment le nombre de problèmes de santé (Quan et al., 2002; van Doorn et al., 2001). Notamment, ces indices prennent rarement en compte les troubles cognitifs (Tooth et al., 2008), la dépression, les limites sensorielles ou fonctionnelles ou les incapacités. Pourtant, ces dimensions de l’état de santé constituent des déterminants importants de la demande de services, en particulier les services de soins de longue durée à domicile ou en milieu institutionnel. Une étude québécoise récente indique que l’ajout des indicateurs d’état fonctionnel aux indices de case-mix améliore la qualité des prédictions pour l’hospitalisation et l’hébergement pour les personnes âgées, au-delà de la valeur prédictive de la comorbidité et des variables sociodémographiques (Mayo et al., 2005).

Enfin, une autre limite des mesures de comorbidité est qu’elles ne sont pas nécessairement sensibles au changement d’état de santé. Certaines permettent de prendre en compte l’incidence de nouvelles maladies mais elles sont moins sensibles à l’émergence des besoins qui résultent de la progression des maladies et à la surconsommation de services qui en résulte (Wolff et al., 2005).

De la même façon, l’identification des maladies chroniques – en utilisant la cause principale de décès comme proxy – est inadéquate pour étudier les coûts de fin de vie pour une large proportion de personnes âgées. L’étude de Lunney et al. (2003) montre que seulement 56% des personnes âgées vivant dans la communauté peuvent être classées selon la cause de décès. Celle-ci ne permet donc pas de classer la proportion croissante de cette population qui meurt des suites de la progression insidieuse de la fragilité, de la comorbidité et de la démence (Lunney et al., 2002; Lynn, 2001).

En résumé, la principale limite des mesures fondées strictement sur les maladies chroniques est qu’elles ne considèrent qu’un aspect de l’état de santé des personnes âgées. Par exemple, la présence d’incapacités chez les sujets âgés de plus de 85 ans de l’étude canadienne sur le vieillissement n’était pas associée à la présence de plusieurs maladies chroniques (Hogan et al., 1999). Cette observation est cohérente avec le fait que, contrairement aux maladies aigües, les maladies chroniques ont un spectre beaucoup plus large de manifestations cliniques. Il existe aussi une moins bonne corrélation entre les manifestations cliniques et la pathologie sous-jacente sur laquelle est basé le diagnostique (Tinetti et Fried, 2004). On pense entre autres aux grands syndromes gériatriques tels que le délirium, l’incontinence, les chutes. La présence de multicomorbidité rend le portrait encore plus complexe et le modèle médical classique, centré sur l’examen d’une maladie à la fois, devient rapidement désuet pour le patient âgé (Tinetti et Fried, 2004).