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Chapitre 6 Profils d’état de santé et utilisation de services chez les personnes âgées

6.2
 Introduction 121


Le progrès technologique, les pressions économiques et une population vieillissante ont entraîné un décalage dans l’utilisation des services de santé et des services sociaux. Les décideurs sont particulièrement inquiets du décalage à la fois qualitatif et quantitatif qui s’opère dans le sous-groupe le plus vulnérable de la population âgée (OECD, 2006; Payne et al., 2007). Typiquement âgés de plus de 75 ans, ces individus présentent une constellation de problèmes aigus et chroniques, des incapacités fonctionnelles et des réseaux sociaux qui ne fournissent plus à la demande. En conséquence, leurs besoins appellent des interventions de prévention, des modèles organisationnels visant à maintenir leur autonomie et une amélioration toujours plus grande de la qualité et l’efficience des soins (Johri et al., 2003; Merlis, 2000). La part disproportionnée - et souvent inappropriée - de services que consomme ce groupe hétérogène d’individus est bien documentée (OECD, 2006; Payne et al., 2007; Merlis, 2000). Ce qu’il faut à présent, c’est décrire cette hétérogénéité et estimer ses effets sur les configurations d’utilisation des services.

Pour rendre compte des différences observables en matière de santé, les études qui portent sur l'utilisation des services ont recours à des indicateurs de santé uniques, des mesures d'autoévaluation de la santé ou de comorbidité et des indices d'incapacité (Aguero-Torres et al., 2001; Crets, 1996; Himelhoch et al., 2004; Knol et al., 2003; Walsh et al., 2003; Wolff et al., 2002; Wolinsky et Johnson, 1991). La classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) sert fréquemment à distinguer les dimensions de la santé et à étudier les effets de chacune sur les besoins de soins (Ustun et al., 2003). Les symptômes et les maladies se traduisent par des besoins médicaux. Les limitations fonctionnelles impliquent des services de réadaptation et des mesures compensatoires alors que les incapacités se traduisent par des besoins de services sociaux et de soins de longue durée (Parker et Thorslund, 2007; Verbrugge et Jette, 1994). Bien qu’utiles, ces divisions sont généralement floues chez les personnes âgées. La prévalence

de la comorbidité est élevée et la mesure selon laquelle chaque maladie se traduit par des incapacités (Fried et al., 2004) et l’utilisation de services varie considérablement (Fried et al., 2001c; Knol et al., 2003; Wolff et al., 2002). En outre, même si les sous-groupes de la population sont homogènes sur le plan de l’état de santé « observé », les différences entre les personnes vis-à-vis d’autres dimensions « non observées » déterminent en synergie les configurations d’utilisation de services. Par exemple, la nature des services utilisés sera affectée différemment selon que les incapacités sont la conséquence d’une démence, de l’arthrite ou des deux. En plus des caractéristiques sociodémographiques, les schémas d’associations entre les dimensions de l’état de santé introduisent de l’hétérogénéité au sein d’une population apparemment homogène. Ne pas tenir compte de cette hétérogénéité cachée peut masquer des associations importantes entre l’état de santé et l’utilisation des services.

L’analyse de classes latentes (ACL) est un outil de modélisation adapté à l’étude de cette question. Centrée sur la personne plutôt que sur les variables (Muthén et Muthén, 2000), l’ACL a pour but de révéler le plus petit nombre de profils d’état de santé (c.-à-d. de classes latentes) qui permet d’expliquer adéquatement l’association entre les dimensions de santé observées. L’idée est de créer des groupes mutuellement exclusifs d’individus où les différences intragroupes sont réduites au minimum et les différences intergroupes, maximisées (Muthén et Muthén, 2000). On trouve plusieurs applications de l’ACL dans le domaine des sciences sociales et médicales, où les données proviennent de groupes hétérogènes d’individus. Cependant, peu d’entre elles concernent la modélisation de l’état de santé des personnes âgées. Bandeen-Roche et al. ont utilisé l’ACL pour valider une définition physiologique de la fragilité (Bandeen-Roche et al., 2006). Sacker et al. ont utilisé cette approche pour étudier une liste de symptômes recueillis dans le cadre du « British Household Panel Survey » (Sacker et al., 2003). Des études qui ont utilisé le « Grade of Membership » (GoM) (Manton et Woodbury, 1991), une autre méthode de classification, ont réussi à identifier des profils d’état de santé cliniquement cohérents au sein de populations de personnes âgées (Manton et al., 1995; McNamee, 2004; Portrait et al., 2000; Wieland et al., 2000). Wieland et al. se sont intéressés à l’utilisation des services de santé pour étudier la valeur prédictive des profils d’état de santé; d’autres ont utilisé les profils pour prédire l’utilisation et les coûts (McNamee, 2004; Portrait et al., 2000). Aucune

étude, à notre connaissance, ne s’est intéressée à la capacité des profils à identifier des configurations spécifiques d’utilisation de services médicaux et sociaux.

L’objectif de cet article est d’étudier le rapport entre l’état de santé et les configurations d’utilisation de services chez une population des personnes âgées vivant à domicile et présentant des besoins complexes de soins et de soutien. Notre prémisse se décline en deux points : il est possible de classer les personnes âgées de façon à refléter la complexité de leurs besoins de santé, et la manière dont elles consomment les services diffère en fonction de ces classes. Nous avons utilisé l’ACL pour modéliser l’hétérogénéité et classer les individus dans un nombre restreint de catégories homogènes d’état de santé (c.-à-d. des profils de santé). Nous avons ensuite évalué si les profils peuvent identifier des configurations d’utilisation et de coûts des services médicaux et sociaux financés par le système public. Une bonne compréhension de ces configurations est nécessaire pour évaluer adéquatement les options politiques et les interventions qui visent le maintien de l’autonomie, l’amélioration de la qualité et l’efficience des soins offerts aux personnes âgées.