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1. Les activités : machine arrière dans de nombreux établissements

1.4. Les limites des autres formes de pérennisation possibles

D’autres formes de pérennisation sont a priori possibles pour maintenir au sein des établissements scolaires les activités mises en place dans le cadre du dispositif emplois-jeunes. Mais l’expérience des établissements enquêtés montre la très grande insuffisance de ces solutions potentielles, sinon leur impossibilité pratique.

1.4.1. Des solutions très insuffisantes en interne

La prise en charge des activités des aides-éducateurs par des personnels statutaires des établissements apparaît en définitive comme la solution de pérennisation la plus employée. Certains personnels – en particulier des enseignants d’écoles primaires – s’efforcent de se réorganiser pour tenter à présent de gérer seuls ou en équipe des activités auparavant exercées par les aides-éducateurs. L'effet de « révélation » des besoins joué par les aides-éducateurs les pousse indéniablement dans ce sens.

Cependant, ces personnels retrouvent la situation qui existait avant l’arrivée des aides-éducateurs. « Sans les emplois-jeunes, on a dû en revenir à des tours de surveillance plus fréquents pour chacun des enseignants », nous dit par exemple un directeur d’école. « Il va falloir revenir à l’ancienne formule, avec un fonctionnement en classe entière systématique », prévoit pour sa part une directrice d’école.

Cette solution de pérennisation est pourtant mise en place à défaut d’une autre solution. Elle est vécue par les personnels concernés comme une « charge de travail supplémentaire », génératrice de « fatigue » et de « tensions ». En outre, une telle solution ne peut être intégrale. Les personnels des établissements scolaires sont loin d’être en mesure de reprendre toutes les activités des aides-éducateurs. De même, ils ne peuvent pas les assurer avec la même fréquence et peut-être aussi parfois avec la même qualité. Par exemple, les enseignants de l’élémentaire utilisent toujours les BCD en tant que supports pédagogiques.

Mais à l’évidence ils ne peuvent offrir aux élèves la même disponibilité pour cette activité que les emplois-jeunes. De plus, ils sont astreints à se rendre dans les BCD avec l’ensemble de leur classe, dans des conditions ainsi moins propices pour favoriser l’apprentissage et la pratique de la lecture ou de la recherche documentaire. Plus généralement, les personnels statutaires ne peuvent reproduire, de fait, ce qui faisait le sel de la fonction des aides-éducateurs à travers leurs différentes activités, à savoir leur rôle original de médiateur vis-à-vis des élèves, acquis grâce à leur statut et à leur posture de proximité.

Dans les établissements du second degré, cette forme de pérennisation en interne peine particulièrement à s’imposer. Sans doute faut-il y voir un effet de la division du travail et des responsabilités, plus marquée dans ce type d’établissement que dans les écoles. Mais il y a là aussi un effet probable de ce « malaise » lié aux personnels du secondaire et notamment aux professeurs, lesquels se disent déjà très sollicités et épuisés par leur fonction. Essayant d’interpréter pour quelles raisons les personnels titulaires ne récupèrent pas ou très peu les activités laissées vacantes par les emplois-jeunes, ce proviseur ne nous dit pas autre chose : « Les profs dans leur ensemble ne sont pas prêts à reprendre les activités des aides-éducateurs. Par principe, il est toujours difficile de leur demander de nouvelles choses. Ils ont déjà l’impression de donner beaucoup de leur personne. [...] Ce n’est pas un prof qui va faire la sécurité dans un établissement difficile. Ce n’est pas non plus le chef d’établissement qui va tout se taper. »

Dans l’optique de pérenniser des activités auparavant exercées par des emplois-jeunes, le recours à d’autres formes d’emploi aidé, comme les contrats emploi-solidarité, est par ailleurs une formule très peu utilisée. Alors que les moyens disponibles en la matière se réduisent également, les établissements n’ont pas accès aisément à ces autres formes d’emplois aidés pour remplacer leurs postes d’emploi-jeune. De plus, ces autres formes d'emplois aidés apparaissent relativement inadéquates avec le niveau d’exigence des activités concernées.

Seuls deux collèges, parmi les établissements que nous avons étudiés, ont recours à ce type de solution, et ce pour maintenir chacun une activité jugée indispensable, mais aussi adapté et adaptable au type d’emploi concerné, à savoir le contrat emploi-solidarité. Dans le premier, c’est l’activité de secrétariat effectuée au sein d’une SEGPA, autrefois prise en charge par une emploi-jeune, qui se trouve ainsi

pérennisée par ce biais. Dans le second, c’est la fonction d’assistant de prévention de santé (aide à l’infirmerie). Pour ce collège, le principal se presse toutefois d’indiquer que le contenu de cette fonction a dû être revu : « Puisque la personne recrutée a un niveau de formation inférieur à l’ancienne aide-éducatrice, il a fallu redéfinir le contenu du poste en réduisant la part d’autonomie dans le travail. » 1.4.2. Une externalisation extrêmement limitée

L’appel aux parents d’élèves représente une solution un peu plus répandue. Mise de côté pendant la durée du dispositif emplois-jeunes, cette formule classique de recours au bénévolat refait surface dans des établissements pour faciliter des sorties pédagogiques ou des déplacements vers des installations sportives (piscines, stades, etc.). Dans certains établissements, elle est même censée offrir un potentiel d’activités plus large. C’est en tout cas ce qu’une directrice d’école espère. Anticipant le départ prochain de ses deux aides-éducateurs pour fin de contrat, elle pense recourir aux parents d’élèves pour maintenir une partie importante de leurs activités : « Nous pensons faire appel à des parents pour la cour, le sport ou la bibliothèque. »

Cependant, une telle solution est très loin de satisfaire. Elle ne peut sérieusement être envisagée que dans les écoles, là où les élèves sont encore suffisamment jeunes pour tolérer la présence des parents. Aucune pratique de ce genre n’est d’ailleurs constatée dans les collèges et les lycées enquêtés. En outre, les parents n’ont évidemment ni la disponibilité, ni la compétence pour se substituer totalement aux emplois-jeunes. Cela concerne avant tout les activités pédagogiques et éducatives les plus exigeantes, mais aussi l’accompagnement des sorties scolaires. Depuis le départ de leurs emplois-jeunes, les écoles étudiées doivent en effet annuler régulièrement des sorties scolaires, faute de pouvoir impliquer des parents les jours prévus.

Les parents auraient même perdu, dans une certaine mesure, l’habitude de se mobiliser, après avoir été remplacés, pendant un temps non négligeable, par les emplois-jeunes. « Avec les aides-éducateurs, on a assisté à un désengagement des parents d’élèves dans la vie de l’école. On a mis en place un fonctionnement en autarcie. Mais dès lors que nous nous trouvons maintenant dans une situation où les personnels d’assistance sont à la fois moins nombreux et moins souvent présents, nous avons à nouveau besoin que les parents s’impliquent. Or, ils demeurent en retrait. Ils ont en fait perdu l’habitude », raconte une directrice d’école de ZEP.

Le recours aux collectivités locales n’est quant à lui observé nulle part dans les établissements de notre échantillon. Alors même que le contexte de la décentralisation aurait pu s’y prêter, les municipalités (pour les écoles), les conseils généraux (pour les collèges) et les conseil régionaux (pour les lycées) ne se sont pas substitués à l’État pour financer des emplois centrés sur des activités auparavant pris en charge par les emplois-jeunes.

Rares ont d’ailleurs été les chefs d’établissement qui ont mené des démarches auprès de leur collectivité locale de rattachement pour tenter de bénéficier d’un tel financement. Sans doute ont-ils anticipé l’inutilité de pareilles démarches, les collectivités locales n’ayant pas forcément les moyens ni l’envie de prendre des décisions de ce genre.

Seules deux démarches de ce type ont été identifiées dans les établissements étudiés, sans toutefois déboucher ni l’une ni l’autre. La première a impliqué la directrice d’une école élémentaire. Extrêmement déçue par la suppression de ses deux postes d’emploi-jeune, elle a pris l’initiative, en 2003, de contacter la mairie pour lui demander de financer deux postes équivalents, en substitution de l’État. Mais cette mairie lui a répondu par une fin de non-recevoir, alléguant qu’elle ne disposait pas des budgets nécessaires et qu’il ne lui appartenait pas de prendre le relais de l’État et de ses programmes

« dispendieux ».

La seconde démarche a concerné Valentine, une ancienne aide-éducatrice d’une autre école qui s’est retrouvée sans solution à l’issue de son contrat : « J’ai espéré qu’au cours des six derniers mois une solution puisse être trouvée pour que je puisse continuer à exercer mes fonctions à l’école. Le directeur a fait une démarche en ce sens auprès de la mairie. Bien sûr, il aurait été utopique de penser à une création de poste, mais peut-être une formule CDI, ou même un nouveau CDD qui m’aurait permis de continuer à exercer ma fonction. Mais ça n’a pas été possible. » Le directeur de l’école a alors limité sa

demande au maintien de l’activité d’aide aux devoirs assurée par Valentine lors de l’étude du soir, en compagnie d’un enseignant. Sur ce point, il a obtenu l’accord de la mairie, laquelle était prête à rémunérer Valentine pour les quelques heures de travail hebdomadaires requises par cette activité. Mais Valentine a dû renoncer à cette solution minimaliste car celle-ci aurait entraîné une diminution de ses indemnités de chômage.

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Ainsi, les activités exercées par les aides-éducateurs sont-elles très loin de faire toutes l’objet d’une pérennisation. Particulièrement échaudés par la suppression du dispositif emplois-jeunes et ses conséquences néfastes, certains chefs d’établissement en viennent à souhaiter ce qui a été réfuté par l’Institution, à savoir la création de nouveaux emplois publics40. « On aimerait avoir à notre disposition de vrais emplois pour que nos besoins soient satisfaits. Entendons nous bien : de nouveaux emplois de fonctionnaires au sein de l’Éducation nationale. Comme par exemple des emplois de bibliothécaires pour animer les BCD. [...] Aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de personnels de passage comme les aides-éducateurs ou les assistants d’éducation pour répondre avec la meilleure efficacité possible à nos besoins », nous dit par exemple une directrice d’école. Même son de cloche pour ce principal : « Je regrette que les postes qui se sont avérés les plus pertinents n’aient pas été pérennisés à part entière, sous la forme de nouveaux emplois publics. » Au total, ce type de propos atteste à nouveau l’insatisfaction qui règne actuellement dans la plupart des établissements scolaires après la suppression du dispositif emplois-jeunes.

40 Ils rejoignent à cet égard l’avis de certains anciens aides-éducateurs, qui auraient aimé pouvoir être pérennisés dans leur fonction (cf. partie suivante). D’autres, en revanche, ont un avis plus nuancé : bien que très favorables au maintien des postes, ils considèrent que la durée de contrat limitée à cinq ans garantissait la présence d’une équipe jeune au sein de l’établissement. En effet, selon eux, l’âge (inférieur à 30 ans), mais aussi le statut (non fonctionnaire) ont contribué pour une large part à établir une relation de confiance avec les élèves.

2. Les sortants : le passage dans le dispositif a mené à des situations très inégales

La question du devenir professionnel des bénéficiaires du dispositif emplois-jeunes de l’Éducation nationale apparaît prépondérante à l’heure du bilan. En effet, plus de 100 000 jeunes sont passés par ce dispositif – pour près de 60 000 postes créés41. Pour l’Institution et ces jeunes, un tel passage avait vocation à les aider à accéder à un emploi stable au sein du secteur privé ou de la Fonction publique.

Il s’agit donc d’observer, dans un premier temps, ce que sont devenues les personnes de notre échantillon à leur sortie du dispositif. L’accent est mis volontairement sur leur situation immédiate lors de cette sortie ou, au plus, dans les mois qui ont suivi. En effet, nous pensons que la contribution du passage dans le dispositif devait apparaître au plus tôt après la rupture ou l’achèvement du contrat emploi-jeune pour s’inscrire pleinement et durablement dans les esprits.

Il convient ensuite de comprendre comment ces personnes ont construit leur devenir professionnel, en revenant sur leur parcours précédant leur sortie du dispositif. Dans quelle mesure le passage dans ce dispositif les a-t-il aidées pour accéder à un emploi stable, et plus généralement pour anticiper et préparer leur avenir professionnel ?

Cela revient à s’interroger sur l’efficacité des différents avantages que ce passage a été censé procurer aux emplois-jeunes en vue de faciliter leur sortie du dispositif :

• un avantage en termes de « statut » : les aides-éducateurs se sont retrouvés dans une situation d’emploi transitoire, leur offrant a priori du temps pour s’engager avec succès dans des projets d’évolution professionnelle ;

• un avantage en termes de « professionnalisation » : les aides-éducateurs ont été supposés acquérir une expérience professionnelle et des compétences susceptibles d’être reconnues sur le marché du travail ;

• un avantage en termes de « formation » : les aides-éducateurs ont eu droit en principe à des formations ayant vocation à leur faire acquérir des connaissances et des compétences susceptibles également de s’avérer utiles à leur insertion.

Outre les témoignages apportés par les chefs d’établissement et les quelques aides-éducateurs encore en poste, nous nous appuyons ici sur les souvenirs d’anciens aides-éducateurs. Certes, ces souvenirs sont influencés par leur situation et leur devenir après leur sortie du dispositif, mais nous pensons qu’ils reflètent fidèlement ce que ces individus ont vécu effectivement alors même qu’ils étaient encore aides-éducateurs42.