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Les limites de l’indiscutabilité vaccinale

Dans le document La vaccination en question (Page 35-46)

Chapitre 1 : Un vaccin indiscutable

II- Les limites de l’indiscutabilité vaccinale

Nous l’avons vu, les obligations vaccinales s’inscrivent dans une « boîte noire » et, à ce titre, profitent de verrous scientifiques et juridiques. Ces derniers trouvent un écho régulier dans le paternalisme médical qui favorise, entre autres, l’option curative (au détriment de la prévention) ainsi que la délégation des questions publiques de santé aux médecins. Ces deux états de faits ont conduit à ne voir la médecine qu’au travers des yeux du praticien, au détriment du ressenti, voire de la santé des patients. Si cette indiscutabilité a permis, au moyen des obligations vaccinales par exemple, de diffuser et de banaliser des pratiques sanitaires, contribuant à suivre bon gré mal gré les objectifs de santé publique, elle a en contrepartie provoqué ce qu’Aquilino Morelle a appelé la « faillite de la santé publique ».

Les limites qui découlent de l’indiscutabilité de la vaccination, et plus globalement de la médecine, peuvent s’observer quand on fait le bilan de la santé publique à l’aube des grandes révolutions provoquées par cette dite-faillite (B. et C.). Mais outre cela, on appréhende d’autant mieux ce qu’impliquent ces limites lorsque l’on se penche sur les résultats de certaines tentatives des pouvoirs publics pour rendre ces objets sinon discutables, au moins plus accessibles pour les profanes (A.)

77 CE, Ass., 4 juillet 1958, Sieur Graff, n°41.841 78 Renard S., op. cit. , p. 328-329

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A) Des tentatives de discutabilité perfectibles

Pour reprendre Bernadette Bensaude-Vincent, le « fossé grandissant » n’est pas quelque chose d’irréversible, pour peu que l’opinion soit « embrigadée » dans la science, pour peu que le patient soit impliqué dans la médecine. Pour donner une image, on peut dire que pour faire en sorte qu’un objet soit discutable, il est nécessaire de fabriquer un interlocuteur79, ce qui n’est

pas toujours évident. Cette idée de faire participer l’usager dans les questions de santé n’est pas née avec la loi du 4 mars 2002 mais s’est développée, comme nous le verrons plus tard, dans la continuité de l’affaire du sang contaminé, notamment dans les années 1990. On le constate dans le rapport général du HCSP de 1994 qui déclarait qu’une partie de la « mortalité évitable » était fonction des comportements individuels et collectifs et que, pour les modifier, il était nécessaire d’impliquer les usagers dans les politiques de santé.

C’est dans cette optique qu’ont été développés des dispositifs participatifs, mettant en relation tous les acteurs du système de santé, usagers y compris, telles que les Conférences nationales et régionales de santé (respectivement CNS et CRS). Celles-ci, créées par décret en 1996, devaient être des lieux d’expression des usagers qui participaient ainsi à l’élaboration des Plans nationaux et régionaux de santé (respectivement PNS et PRS), c’est-à-dire à la définition des objectifs et priorités du système de santé. Or, bien que les conférences régionales aient connu plus de succès que les nationales, il s’est avéré que la participation des citoyens est restée marginale80. Cette dernière fut restreinte à un « public d’initiés » composé d’usagers engagés

dans les questions de santé ou de professionnels. Cela s’explique par un fonctionnement très protocolaire et un difficile accès à l’information81. On retrouve ces mêmes problèmes dans l’élaboration des Schémas régionaux d’organisation sanitaire de 2e génération (SROS II), mis

en place en 1998 et qui devait permettre à l’usager de jouer le rôle d’arbitre dans la formulation de recommandations par des groupes techniques82. Si elle a été jugée utile, la procédure des SROS II est restée au stade expérimental (« réalisée dans seulement sept régions »83) car souffrant d’un manque de lisibilité et de définition de son rôle84. Ces démarches en faveur d’une

79 Il faut entendre ici un interlocuteur « autorisé », excluant donc, dans le cas qui nous intéresse, les anti-vaccins. 80 Bréchat P.-H., Bérard A., Magnin-Feysot C., Segouin C. et Bertrand D., « Usagers et politiques de santé : bilans

et perspectives », Santé publique, 2/2006 (Vol. 18), p. 245-262

81 Ibidem

82 Circulaire DH/EO n° 98-192 du 26 mars 1998

83 Bréchat P.-H., Bérard A., Magnin-Feysot C., Segouin C. et Bertrand D., op. cit. 84 Ibidem

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participation des usagers se sont, au final, avérées positives dans le sens où ces derniers ont su prouver leur intérêt pour les questions de santé et ainsi se faire voir comme un possible « contre- pouvoir » au corporatisme des médecins. Cette impression sera d’ailleurs confirmée par les conclusions des Etats généraux de la santé85. Toutefois, ces démarches se sont révélées insuffisantes pour modifier les comportements.

Dans le domaine des vaccins, on retrouve un autre exemple de tentative de rapprochement entre la science et le public dans le calendrier vaccinal. Il s’agit d’un avis produit par le Comité technique des vaccinations (CTV) qui rassemble des informations diverses (données épidémiologiques, régimes d’obligation ou de recommandation, coûts, etc.) sur les différentes vaccinations. Initialement prévu comme un document au service de l’information des usagers, le calendrier vaccinal n’a cessé de se complexifier, perdant ainsi de son utilité : « le calendrier vaccinal n’est plus ce qu’il a pu constituer dans le passé, un instrument d’information au service du grand public, mais avant tout un outil à destination des généralistes et des pédiatres »86. Dans son rapport sur la politique vaccinale, la Cour des comptes s’appuie sur la composition de ce calendrier pour illustrer cette complexité croissante : « Le calendrier vaccinal comportait deux ou trois pages de 1986 à 2000. Il en comptait cinquante-deux en 2010 »87.

Au travers de ces deux exemples, le calendrier vaccinal et les démarches de participation des usagers au fonctionnement du système de santé, on constate que, bien que des efforts aient été faits, la médecine peine à se mettre à portée des profanes. C’est le constat de cette distance et de ses conséquences sur le système de santé qui motiva notamment le développement de la démocratie sanitaire.

85 Caniard E. et Brücker G., « Etats généraux de la santé. Une démarche innovante pour plus de démocratie

sanitaire », Actualités et dossier en santé publique, n°27, juin 1999

86 Cour des comptes, La politique vaccinale de la France, Communication à la commission des affaires sociales

du Sénat, octobre 2012, p. 70

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B) Une santé publique affaiblie

1. La prévention, angle mort du système de santé

L’un des principaux problèmes qu’apporte le paternalisme médical, comme nous l’avons vu, est la très forte préférence donnée aux méthodes de soins plutôt qu’aux pratiques de prévention. En effet, malgré la loi de 1902 mentionnée précédemment, la prévention garda un rôle de second plan dans l’exercice de la santé publique en France, dans le sens où elle se limite à un service minimum et n’a pas su instaurer une « culture de santé publique » 88. Au contraire,

il a subsisté dans l’inconscient collectif, l’idée que le soin et le médicament constituaient « l’indispensable conclusion symbolique de la rencontre entre le médecin et le patient »89. Cela est imputable à la tradition clinique mais pas seulement. Au niveau des structures, il exista également quelques préjugés sur l’idée de prévention, notamment le fait qu’elle était associée à des pays en situation épidémiologique inquiétante, c’est-à-dire que la prévention était vue comme une médecine de pays pauvres, en opposition à celle des pays riches qui peuvent se permettre de se reposer sur une consommation de soins90. Cela s’est répercuté sur

l’administration sanitaire qui n’a pas su valoriser la prévention. La médecine scolaire est un excellent exemple pour illustrer cela car elle souffrit, pendant longtemps, d’un manque de moyens financiers et humains important91.

Un autre exemple du défaut de prévention dans le système de santé français fut le peu de considération accordé aux risques iatrogènes. Du fait que les décisions de santé furent à l’initiative seule des médecins (« tradition clinique »), il y a eu une euphémisation des risques liés à ces décisions, les risques iatrogènes. En effet, ces derniers sont, de la part des praticiens, acceptés car reconnus comme inhérents à la pratique médicale et probabilisés. Cette acceptation des risques se voit notamment dans le régime d’indemnisation des affections iatrogènes. Avant la loi du 4 mars 2002, le droit à la réparation n’était accordé qu’en cas de faute du praticien, faute qui souffrait d’ailleurs d’un manque de définition claire de la part du juge administratif92. Cependant, cette acceptation des risques était unilatérale. Cette vision tendait à la

88 Tabuteau D., La Démocratie sanitaire, éditions Odile Jacob, 2013 89 Ibidem, p. 57

90 Steudler F., « Structures hospitalières, pratique libérale et prévention », Le Monde diplomatique, mars 1975 91 Ibidem

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systématisation de certaines pratiques, ce qu’on remarque dans les vaccinations obligatoires, et occulte le fait que la décision sanitaire comporte une forte composante émotionnelle et psychologique93, ce qui rend, du même coup, les catastrophes sanitaires d’autant plus

spectaculaires.

On remarque donc que l’indiscutabilité, qui s’exprime par une médecine verrouillée qui détermine elle-même les problèmes à traiter et les solutions à apporter, comporte plusieurs limites qui seront mis au jour avec l’affaire du sang contaminé. Tout d’abord, l’arbitraire de la décision, couplée à l’idée de ne pas avoir de prises sur sa propre santé produit de la défiance. Ensuite, l’aveuglement de la décision sanitaire se traduit aussi par le non-recours au principe de précaution, ce qui est fortement dommageable dans le cas de pathologies émergentes, par exemple celle du Sida dans les années 1970-1980. C’est en effet le recours systématique aux produits sanguins, alors que des risques d’infection sont connus grâce à des moyens de dépistage, qui a provoqué le scandale du sang contaminé en grande partie. Tout cela a conduit à une baisse de la confiance dans le système de santé, ce à quoi les démarches de démocratie sanitaire tenteront par la suite de remédier. On peut remarquer les effets de cette baisse de confiance dans le suivi des objectifs de santé publique fixés par les autorités.

2. L’échec des objectifs de santé publique

Dans son rapport portant sur la politique vaccinale, publié en 2012, la Cour des comptes revient dès le chapitre 1 sur les 100 objectifs mis en place par la loi de santé publique du 9 août 2004. Parmi eux, deux concernaient les vaccinations : l’objectif 39 qui prévoyait une couverture à 75% pour le vaccin contre la grippe épidémique et l’objectif 42 qui prévoyait lui une couverture à 95% pour les vaccins à destination de la population générale (obligatoires et recommandés). L’un comme l’autre, ces deux objectifs ont abouti à des échecs, leurs résultats étant qualifiés de « médiocres » par ledit rapport. Même les chiffres relatifs aux vaccinations obligatoires, dont les taux de couverture paraissent correspondre aux seuils d’immunité grégaire, sont relativisés. La faute à une méthode de calcul des couvertures vaccinales se reposant sur le nombre de vaccins vendus94. Or, un vaccin vendu ne signifie pas forcément un

93 Tabuteau, D., « La décision sanitaire », in Traité d'économie et de gestion de la santé, Bras P.-L., de Pouvourville

G., Tabuteau D. (dir.), Paris, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), « Hors collection », 2009, p. 326-336

94 Cour des comptes, La politique vaccinale de la France, Communication à la commission des affaires sociales

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vaccin inoculé. A cela s’ajoute, dans un contexte plus global, l’échec de l’objectif fixé par l’OMS dans le cadre du Plan élargi de vaccination (PEV) de 1974, de faire vacciner tous les enfants du monde à l’horizon 1990. Or, en 1995, près de neuf millions d’enfants mourraient encore de maladies infectieuses95.

Que ce soit dans un cadre mondial ou dans le cas plus particulier de la France, les objectifs de couverture vaccinale ne sont pas respectés. On en revient encore au problème du paternalisme médical et de son corollaire : l’isolation de la médecine. En effet, pour nombre d’observateurs, c’est la césure qui existe entre la discipline et la réalité du terrain qui est à la source des politiques inadaptées ou trop ambitieuses96. Par exemple, la loi du 9 août 2004 englobait pêle-mêle toutes les vaccinations en population générale dans un seul et même objectif, négligeant les spécificités propres à chaque pathologie ainsi que les réalités épidémiologiques. Selon la Cour des comptes, c’est ce manque de spécificité qui est a provoqué les résultats médiocres97. Pour illustrer les disparités qui peuvent exister entre deux pathologies infectieuses, elle présente dans son rapport les différents taux de reproduction intrinsèque (rassemblés dans la figure suivante), nommé Rₒ, et qui correspond au nombre de cas secondaires qu’un cas unique dans une population est capable de contaminer. Ce taux est calculé par le CTV en prenant en compte, à la fois les caractéristiques propres à l’agent pathogène et les caractéristiques sociodémographiques de la population dans laquelle il évolue. On constate qu’il existe bel et bien de fortes disparités parmi des pathologies qui partageaient pourtant des objectifs communs à 95% de couverture.

95 Hannoun C., La vaccination, Paris, PUF, 1999, p.5

96 Beigbeder Y., L’organisation mondiale de la santé, Paris PUF, 1997

97 Cour des comptes, La politique vaccinale de la France, Communication à la commission des affaires sociales

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Figure 1 : Taux de couverture nécessaires pour éviter les flambées épidémiques

Rₒ % de population à vacciner98 Rougeole 15 à 17 93 à 95 Coqueluche 15 à 17 93 à 95 Varicelle 10 à 12 90 à 92 Oreillons 10 à 12 90 à 92 Rubéole 7 à 8 87 Diphtérie 5 à 6 83 Poliomyélite 5 à 6 83 Variole 4 à 7 75 à 87 Hib 1 à 2 50 à 95 Hépatite B 1 à 8 10 à 90 Grippe 2 à 4 50 à 75

Sources : Comité technique des vaccinations et Ecole des hautes études en santé publique (EHESP)

Un bon exemple du manque de pertinence des politiques vaccinales conduisant à un échec des objectifs de santé publique est celui de la campagne de vaccination anti-hépatite B orchestrée entre les années 1993 et 1998. Premièrement, lorsque l’on regarde le tableau, on constate que le pourcentage souhaité est compris dans une large fourchette, entre 10 et 90%. Cela s’explique selon que l’on considère le taux de reproduction intrinsèque en population générale, alors faible (environ 1), ou celui en population à risque (personnes ayant des relations sexuelles avec plusieurs partenaires, drogués ou voyageurs dans des zones où la maladie est endémique), plus élevé. Cependant, malgré ce risque relativement faible de flambée épidémique, il y eu en France une campagne massive (près de 20 millions de vaccinés en 1997) ayant à l’appui une communication reconnue a posteriori comme « alarmiste » car exagérant fortement sur le nombre de victimes et les modes de transmission (un simple baiser fut désigné comme permettant la contagion)99. Cette sur-dramatisation de la maladie s’explique par une « volonté de faire peur » afin de forcer une acceptation sociale du vaccin, stratégie qui sera par

98 La proportion de la population à vacciner se détermine par l’application de la formule p>1-1/Rₒ

99 Pillayre H, « Les victimes confrontées à l'incertitude scientifique et à sa traduction juridique : le cas du vaccin

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la suite vivement critiquée dans un rapport de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale présenté par Philippe Nauche en 2001, ainsi que par l’OMS100. Cette

inadéquation de la politique vaccinale avec la réalité du terrain a renforcé la méfiance que les Français pouvaient avoir envers les vaccins, faisant qu’aujourd’hui, le taux de couverture contre l’hépatite B est « encore éloigné de celui des pays voisins »101.

Au travers de ces exemples, on constate que les objectifs de santé publique pâtissent de l’indiscutabilité induite par le paternalisme médical, soit en faisant en sorte qu’ils soient trop ambitieux, soit en produisant des sentiments de rejet, comme dans le cas de l’hépatite B. Il faut cependant replacer ces phénomènes de rejet comme étant le fruit de situations de crises auxquelles fut confrontée la santé publique et où, là encore, le paternalisme médical n’est pas étranger.

C) Une santé publique en crise

Enfin, il est possible d’imputer au paternalisme médical certaines des situations de crises que la santé publique a connu. En effet, en cela qu’il écarte les questions de santé du champ du discutable, la « tradition clinique paternaliste » a non seulement accentué les errements dont pouvait être sujet le système de santé, mais a aussi accentué les tensions qui existaient à propos du domaine médical, dans un contexte où existe pourtant un « fort appétit de débat et de participation » sur ce thème102. Ces crises peuvent présenter deux visages : il y a des crises de

santé publique, mais aussi une crise de la santé publique103. Le paragraphe suivant s’attardera sur la seconde, les crises de santé publique, et notamment celle du sang contaminé, seront détaillées plus longuement plus tard.

Donc, outre les crises de santé publique, il y a eu également une crise de la santé publique, remettant alors en cause le paradigme d’alors : le paternalisme médical. En effet, les différentes affaires qui ont éclaté dans les années 1990 (sang contaminé, vache folle, amiante, etc.) ont mis en lumière les limites du système de santé qui sont autant de phénomènes non explicables, « d’anomalies », qui, s’accumulant, contribue à créer une situation de crise, ici non

100 Benkimoun P., « Vaccination contre l'hépatite B : succès pour la santé publique dans le monde, controverse en

France. », Hérodote 4/2011 (n° 143), p. 120-136

101 Ibidem

102 Caniard E. et Brücker G., op. cit.

103 Dab W., « Crises de santé publique et crise de la santé publique », Revue française des affaires sociales, n°3-

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pas sanitaire mais scientifique104. On sort alors de la science normale, c’est-à-dire de la science

« a-critique » selon Thomas Kuhn, pour ouvrir la boîte noire. Or, si la fermeture de la boîte noire constituait la mise à l’écart des voix discordantes, on peut voir que son ouverture signifie fatalement leur retour : « Une situation de crise ouvre la porte aux influences externes là où il n’y en avait que des internes »105. Dans le domaine de la santé publique, et a fortiori de la

vaccination, cette situation de crise est bien présente puisqu’on constate bien la pénétration de plusieurs influences (notamment métaphysiques et philosophiques) et acteurs extérieurs, tels que les associations d’usagers ou des médecins anti-vaccinaux. Il y a alors une exploration des alternatives, ce qui aurait été inenvisageable en situation de verrouillage, d’où la montée en puissance de procédés telles que les médecines parallèles.

Conclusion du chapitre

En conclusion de ce chapitre, on peut voir que la boîte noire de la vaccination est fonction de verrous techniques et juridiques, l’amenant à devenir indiscutable, à être un « héritage historique incontournable » au même titre que l’enfouissement définitif à propos du traitement des déchets nucléaires106. L’un des vecteurs les plus importants de cette indiscutabilité est la tradition clinique paternaliste. Ce concept polysémique, qu’il est possible de rapprocher des légitimités traditionnelle et charismatique au sens de Weber, s’exprime aussi bien dans le colloque singulier que dans la gestion des questions publiques de santé, au travers de la représentation nationale. Cette tradition clinique impose le praticien comme détenteur du monopole de la décision sanitaire. C’est cette situation qui a contribué à doter la médecine d’un caractère indiscutable qui, par ricochet, a profité à la vaccination, principe adopté puis mobilisé par les médecins comme instrument de puissance clinique et politique107. Les politiques de santé, et notamment de santé publique, ont donc été fortement influencées par ce paternalisme médical, contribuant à pérenniser un système de santé souffrant de lacunes, notamment en termes de prise en compte des risques (émergents et iatrogènes) et de prévention. Cependant, ce schéma fut remis en cause puis largement critiqué à la fin du XXe siècle suite aux multiples crises de santé publique, dont la plus notable fut celle du sang contaminé. Cette dernière a

104 Gingras Y., Sociologie des sciences, « Que sais-je ? », PUF, 2013 105 Ibidem

106 Barthe Y., « Rendre discutable…, op. cit.

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