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L’Homo medicus, un mythe ?

Dans le document La vaccination en question (Page 111-113)

Chapitre 4 : Des mutations favorables à une discutabilité des vaccins

B) Une nouvelle microéconomie de la santé

2. L’Homo medicus, un mythe ?

A cet élargissement de la rationalité économique aux questions de santé, plusieurs auteurs, tel que Danièle Carricaburu ou Nicolas Tanti-Hardouin, viennent lui confronter leurs bémols. Selon eux, l’introduction de la figure de l’homo medicus dans nos sociétés est un scénario non seulement peu souhaitable, mais aussi irréalisable. Peu souhaitable premièrement du fait de l’impact négatif d’un tel modèle sur la prévention, et donc sur la santé publique. Considérer l’usager comme un simple consommateur de soin tend à occulter les externalités négatives inhérentes à certaines pratiques préventives365. En effet, dans le cas de maladies

transmissibles, les décisions individuelles n’ont pas seulement des répercussions sur l’individu en question mais aussi sur les autres. De plus, l’une des vertus de la « demande induite » en matière de santé est de permettre aux praticiens d’agir sur les besoins de santé du patient. Ce faisant, il peut prescrire moyens de prévention et soins à des individus qui n’en expriment pas forcément le besoin ni la nécessité. Cela permet, selon Guienne, de contrebalancer un biais cognitif lié à la prévention : y recourir suppose de se penser en tant que potentiel, voire futur, malade, ce qui ne va pas de soi lorsque l’on est en bonne santé. Cet absence de besoin de prévention est d’autant plus vrai lorsqu’existe un régime d’assurance-maladie obligatoire, ce

362 Ibidem

363 Aubert J.-M., Polton D., « 23. La gestion du risque », Traité d'économie et de gestion de la santé, Paris, Presses

de Sciences Po (P.F.N.S.P.), «Hors collection», 2009, p. 231-239

364 Moulin A.-M., « Les vaccins, l’Etat moderne et les sociétés », Médecine/Sciences, vol. 23, n°4, avril 2007, p.

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365 Lamoureux P., « 14. Économie de la prévention », Traité d'économie et de gestion de la santé, Paris, Presses

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qui est traduit par le « risque moral » : puisque les individus sont assurés, ils sont « moins enclins à adopter un comportement préventif »366.

Il faut toutefois noter qu’une remise pleine et entière de la décision thérapeutique au patient, à cet homo medicus fictif, reste irréalisable. L’application d’un tel modèle ferait évoluer le colloque singulier vers une forme purement « informative » : le médecin présente les faits et les options thérapeutiques et le patient exerce ensuite sa pleine autonomie367. Cet « anti- paternalisme extrémiste » comme le qualifie Henri Bergeron suppose que le consommateur de soin dispose de toutes les informations nécessaires pour opérer un choix éclairé, mais surtout de la capacité à toutes les assimiler de façon correcte. Or, ce prérequis est rarement atteint du fait de l’asymétrie de l’information qui règne au sein du colloque singulier, ou est court-circuité par la contre-information. On constate au contraire que les médecins exercent encore une forte influence sur la traduction des besoins des patients en demande de soin, notamment au travers de leur action de diagnostic. Cependant, le gain d’autonomie de l’usager reste une réalité. Cet état de fait, fruit d’une libéralisation à la fois politique et économique, conduit les pouvoirs publics à s’adapter afin de continuer à assurer leurs missions de santé publique.

II- Une administration de la santé plus libérale

En tant que symbole de l’intervention de l’Etat dans les affaires sanitaires, les vaccinations s’inscrivent de plein pied dans le modèle de l’Etat providence. En effet, elles correspondent aux nouveaux objectifs de l’Etat-nation selon Foucault qui, à la suite d’un « tournant historique » (fin XVIIe – début XVIIIe), ne se contentera plus de « laisser vivre » mais s’efforcera ensuite de « faire vivre » les individus368, thèse qui sera ensuite reprise par

François Ewald dans son ouvrage L’Etat-providence. Seulement, et ce depuis la fin des années 1970, ce modèle vit une profonde remise en cause, caractérisée selon Pierre Rosanvallon par une triple crise : financière, d’efficacité et de légitimité369. Ce faisant, le système social et sanitaire français a dû se transformer, notamment en évoluant vers ce que l’économiste Gosta Esping-Andersen nomme « le modèle libéral [ou résiduel] de l’Etat providence ».

366 Béjean S., op. cit. 367 Bergeron H., op. cit.

368 Foucault M., Dits et écrits, Gallimard, Paris 1994

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Cette libéralisation va progressivement changer les logiques du système de santé. Si l’ordonnance du 4 octobre 1945, définissant les missions de la Sécurité sociale, proclamait une universalité des mesures et une mutualisation des risques, ce modèle libéral tend davantage vers une individualisation de la stratégie de santé, se traduisant par une assurantialisation de la société et une marchandisation des prestations de santé370. Dans le domaine de la prévention, on constate également cette individualisation par une transformation des objectifs de santé publique : il s’agit moins de combattre la maladie (comprendre au niveau global) que de se maintenir en bonne santé371. De fait, il est possible de voir la démocratie sanitaire, en cela qu’elle encourage cette même individualisation des choix sanitaires, comme un reflet de cette libéralisation : « Il est d’ailleurs significatif de voir que l’essor de la démocratie sanitaire coïncide avec la perte de vitesse de la démocratie sociale. »372

Cette partie aura donc pour vocation de rendre compte des impacts de la libéralisation de la société qui, en ébranlant les capacités d’intervention de l’Etat, menace du même coup les obligations vaccinales, exemple typique d’imposition des pratiques en France. Dans un premier temps, il me paraît pertinent d’opérer un parallèle entre les politiques fiscale et vaccinale, ces deux-là partageant de nombreux points communs susceptibles d’être observées également dans leurs transformations par le prisme du libéralisme (A.). Ceci fait, je présenterai de façon plus spécifique ce que le libéralisme a provoqué dans la façon dont sont gérés les problèmes de santé publique (B.).

Dans le document La vaccination en question (Page 111-113)