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Les irréversibilités, l’incertitude et l’information

1 Les irréversibilités

2.1 Les irréversibilités, l’incertitude et l’information

Les problèmes environnementaux sont caractérisés par de l’incertitude, de la perspective d’information (chapitre 1), des irréversibilités (section précédente). Face à ces problèmes mêlant incertitude, information et irréversibilités, l’attitude adoptée pendant longtemps a été d’attendre d’apprendre (il suffit d’évoquer quelques affaires telles que le trou dans la couche d’ozone, le problème de la “vache folle”). On adapte les décisions lorsque l’information devient disponible. Il n’est pas nécessaire d’anti- ciper.

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Or, la théorie de la décision nous enseigne l’importance de prendre des mesures dès aujourd’hui justement en prévision de l’acquisition future d’informations futures. Les perspectives d’information jouent un rôle essentiel à la fois dans la prise de décision présente et pour l’efficacité économique.

Pour les résultats ayant trait aux problèmes de décision où il y a acquisition d’information, il s’agit d’obtenir des résultats de statique comparative liés à une modification de l’information (dans cette littérature cela signifie plus d’information). Doit-on adopter une position moins irréversible en première période si l’on s’attend à obtenir plus d’information en deuxième période ? Si c’est le cas, on dit qu’il y a un “effet irréversibilité” (Henry 1974).

Le problème du choix de première période (choix d’aujourd’hui) est celui de l’op- portunité de maintenir une plus ou moins grande flexibilité décisionnelle en deuxième période pour bénéficier d’un ensemble de choix plus large et tirer au mieux parti de l’information, mais cela au prix de pertes à court terme (un choix irréversible rapporte souvent plus à court terme). “L’effet irréversibilité” est vérifié dans des modèles simples mais pas forcément dans des modèles plus généraux.

Dans le paragraphe suivant, nous posons le modèle, i.e. la fonction objectif et les caractéristiques du problème (dans lequel on caractérise l’effet irréversibilité). Il est suffisamment général pour inclure les principaux travaux de la littérature sur l’effet irréversibilité. Pour l’instant, nous n’avons fait référence à aucun cadre théorique (le concept d’irréversibilité que nous avons défini est valable hors de tout modèle). A contrario, les deux autres caractéristiques du problème de décision -l’incertitude et l’information- nécessitent pour être définis de se placer dans un cadre théorique. Nous retiendrons le cadre bayésien (le modèle d’espérance subjective d’utilité), celui retenu dans cette littérature.

2.2

Le modèle

2.2.1 La fonction objectif et les caractéristiques

Le problème de décision8 se déroule sur deux périodes. Les décisions sont sé-

quentielles. Dans cette littérature, il existe un unique agent. Godard (2000) parle à ce sujet de “Robinson”. Sa fonction objectif est de la forme U (x1, x2, zi) où x1

(resp. x2) représente la décision de première (resp. deuxième) période, zi est l’état

du monde. Il représente l’incertitude et se réalise en fin de seconde période. Cette fonction d’utilité intertemporelle peut représenter la fonction d’utilité collective si le décideur est un décideur public. Dans le cas d’un décideur privé, il peut s’agir d’un profit intertemporel conditionnel aux décisions et à l’état du monde.

Nous présentons à présent les 3 caractéritiques sur lesquelles repose l’étude de l’effet irréversibilité.

- L’irréversibilité

Il existe une contrainte d’irréversibilité. Les décisions courantes sont comparées à l’aide de l’ordre partiel sur la flexibilité (définition 3).

- L’incertitude

L’incertitude est représentée par un ensemble d’états du monde possibles (sup- posé fini). Le décideur dispose d’une liste de ces états du monde. On notera z = (z1, . . . , zm) l’ensemble des états du monde. Au début de la première période, le

décideur a des probabilités a priori sur l’état du monde zi qui prévaudra en fin de

deuxième période. L’incertitude est donc une incertitude probabilisée. Nous pose- rons : ∆z ≡ {π = (πzi) : πzi ≥ 0, Σπzi = 1) l’ensemble des vecteurs de probabilités sur z.

- L’information

Au début de la deuxième période, de nouvelles informations arrivent sur la va- riable aléatoire Z. Elles arrivent par l’observation d’une autre variable Y (corrélée

8Le problème de décision auquel est confronté le décideur et que nous exposons est similaire à celui posé dans l’article d’Epstein (1980) excepté la partie sur l’irréversibilité qui n’existe pas dans ce dernier.

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avec Z) : c’est un message. Le décideur est supposé connaître les messages pos- sibles à la fin de la première période et leurs probabilités respectives. Il est capable d’établir une liste. On notera : y = (y1, . . . , yn)l’ensemble des messages possibles et

∆y ≡ {q = (qyi) : qyi ≥ 0, Σqyi = 1} l’ensemble des vecteurs de probabilités sur y. L’agent révise alors ses probabilités a priori. On obtient donc des probabilités a posteriori. Elles s’obtiennent en appliquant la règle de Bayes. L’ensemble de ces dis- tributions conditionnelles possibles de zi étant donné yi est noté ∆yz ≡ (∆z)y. Un

élément π ∈ ∆z sera appelé croyance, avec π(yi) ∈ ∆z représentant une croyance

conditionnelle à l’observation du message yi et Π une matrice dont les colonnes

sont π(yi), yi ∈ y. Les probabilités a priori du décideur pour (Π, q) s’écrivent donc

π =Pqyiπ(yi). Soit (Π, q) ∈ ∆y

z×∆y. Selon la terminologie de Marschak et Miyasawa (1968), (Π, q)

est une structure d’information, i.e. c’est la donnée d’un espace mesurable de signaux et d’une application de z dans l’espace des mesures de probabilité sur y.

- Comparaison des structures d’information

L’effet irréversibilité repose sur l’analyse de l’impact d’une structure d’informa- tion plus fine sur les décisions optimales de première période. La comparaison des structures d’information selon leur finesse se fait au moyen d’un ordre partiel. La définition suivante permet de comparer deux structures d’information.

Définition 5 (Marschak et Miyasawa, 1968) On dira qu’une structure d’informa- tion (Π, q) est plus fine qu’une autre (Π0, q0) si Pq

yiφ(π(yi))≥ P q0 yiφ(π 0(y i))pour

toute fonction convexe φ : ∆z → R

Pour comparer ces structures d’information, il faut que les croyances a priori asso- ciées à ces structures d’information soient identiques, i.e. : Pqyiπ(yi) =

P q0

yiπ

0(y i).

Cette définition est analytiquement très utile et sera beaucoup utilisée (Epstein, 1980).

thèses très fortes. L’information future n’est pas connue à l’avance mais le décideur est supposé connaître la liste des messages possibles et leur contenu informatif ex ante. Il connaît également les probabilités d’occurence des messages. Cette repré- sentation est discutable dans le contexte d’un problème environnemental.

Tous les modèles que nous étudions vérifient ces 3 caractéristiques9 (hormis

les extensions étudiées dans la section 4 qui consistent justement à modifier ces caractéristiques).

Dans le paragraphe suivant, nous étudions la résolution du problème de décision. 2.2.2 Application du critère Espérance d’Utilité subjective

Dans la littérature sur l’effet irréversibilité, on s’intéresse presque exclusivement à un décideur maximisateur d’espérance d’utilité, i.e. un agent Bayésien. Rappelons les étapes du problème de décision. Le décideur prend une décision au début de chaque période. Au début de la première période, il a des probabilités a priori sur l’état du monde qui prévaudra en fin de deuxième période. L’incertitude est représentée par une variable aléatoire Z. Il décide à ce niveau de son choix de première période x1.

A la fin de la première période, de nouvelles informations arrivent sur la variable aléatoire Z, par l’observation d’une autre variable Y (corrélée avec Z) : c’est un message. L’agent révise alors ses probabilités a priori. Puis, il prend sa décision de deuxième période x2.

Le décideur doit donc résoudre le problème d’optimisation suivant :

M ax

x1∈C1 {E

Y max x2 {E

Z/YU (x1, x2, Z)/x2 ∈ C2(x1)}} (1)

La résolution de ce problème se fait par induction vers l’amont. On se place tout d’abord en début de deuxième période. On choisit x2, avec x1 fixé, i.e. le décideur

résout : max

x2

EZ/Y U (x1, x2, Z)/x2 ∈ C2(x1). Le problème de décision contient des

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irréversibilités (cf définition 2). La résolution du choix de seconde période nous fournit la fonction valeur :

J(x1, π(yi))≡max x2 {

X

zj

πzj(yi)U (x1, x2, zj)/x2 ∈ C2(x1)} (2) Puis, on remonte à la première étape du jeu. Il faut choisir x1. Il est tel que :

x1 = arg M axEY x1∈C1

J(x1, π(yi))

Les hypothèses du modèle sont les suivantes (Epstein, 1980) :

H0 : U (x1, x2, Z) est concave et deux fois continuement dérivable en (x1, x2).

H1 : la solution en (1) existe et est unique

H2 : le niveau x1 optimal est un point intérieur, par souci de simplicité

H3 : J(x1, π(yi))est concave, différentiable par rapport à x1.

Cette hypothèse porte sur un résultat. J(x1, π(yi))est concave en x1si U (x1, x2, z)

est concave en x1, x2 et si C2(x1) satisfait la condition suivante :

x2 ∈ C2(x1), t2 ∈ C2(t1) =⇒ λx + (1 − λ)t2 ∈ C2(λx1+ (1− λ)t1), 0≤ λ ≤ 1. Cette

deuxième condition est satisfaite si : C2(x1) ={x2/f (x1, x2)≥ 0, f concave}

C’est dans ce cadre décisionnel que l’on va définir et caractériser “l’effet irréversibi- lité”.

2.3

L’effet irréversibilité.

La question posée est la suivante : dans un problème de décision contenant des irréversibilités, est-ce que l’attente d’une information future induit des décisions op- timales aujourd’hui moins irréversibles ? Cette question correspond à un exercice de statique comparative. Si la réponse à cette question est positive, on dit alors qu’il y a un “effet irréversibilité”. Il s’énonce formellement comme suit :

Définition 6 Il y a “effet irréversibilité” si à une structure d’information plus fine est associée une décision (optimale) de première période moins irréversible.

On doit ce concept à Henry (1974). Il met en évidence, dans un problème de déci- sion particulier que nous étudierons dans les sections suivantes, qu’il y a un “ effet irréversibilité”.

Le terme “ d’effet irréversibilité” est quelque peu trompeur puisqu’il mesure en fait l’effet sur la décision optimale de l’information dans un contexte comportant de l’irréversibilité.

Nous noterons x1(Π, q) la solution optimale de l’équation (1) pour une structure

d’information (Π, q) et x1(Π0, q0) la solution optimale de l’équation (1) pour une

structure d’information (Π0, q0) où (Π, q) est plus fine que (Π0, q0).

Exemple 4 Dans notre exemple de l’extraction d’une ressource épuisable (où x1

représente le niveau de ressource préservée), “l’effet irréversibilité” signifie que l’at- tente d’information doit nous conduire à préserver davantage de ressources épui- sables que dans le cas où l’on attendrait aucune (ou moins d’information), i.e. x1(Π, q)≥ x1(Π0, q0).

C’est une question qui permet d’apporter un éclairage intéressant pour la gestion de nombreux problèmes environnementaux contemporains tels que celui de l’effet de serre. L’effet irréversibilité, s’il est vérifié, signifie alors que l’attente d’information doit nous conduire à émettre moins de gaz à effet de serre dans l’atmosphère au- jourd’hui du fait de l’incertitude sur les conséquences de ces émissions.

Dans l’exemple sur la préservation d’une ressource, posons u(x1, x2, z) = u1(x1) +

u2(x2, x1, z)où u1(x1)croissante et concave en x1, u2(x2, x1, z)croissante et concave

en x2. L’effet irréversibilité est vérifié i.e. x1(Π, q) ≥ x1(Π0, q0) si et seulement si ∂EYJ(x1(Π0,q0),π(yi))

∂x1 ≥

∂EY 0J(x1(Π0,q0),π0(yi))

∂x1 où J est défini par l’équation (2) est décrois- sante, concave. L’effet irréversibilité est vérifié si et seulement si la valeur accordée à moins d’irréversibilité est plus importante avec une structure d’information plus fine (cf à ce titre Willinger 1989).

Il s’agit à présent de voir les conditions sous lesquelles l’effet irréversibilité est vérifié.

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