• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1. Revue de la littérature

1.2 L’autorat scientifique

1.2.2 Les fonctions de l’autorat

En science, l’authentification des connaissances passe par la validation collective des faits publiés. Pour ce faire, les connaissances doivent être revendiquées par leurs créateurs; le lien d’autorat permet donc d’unir le créateur à son texte afin d’en faire une source de connaissances certifiée par les pairs (Pontille, 2004). Au-delà de l’authentification, l’autorat remplirait trois principales fonctions dans le champ scientifique : l’attribution du crédit, de la responsabilité et du capital.

20

Premièrement, l’autorat permet l’attribution du crédit pour une découverte ou une idée. L’autorat est généralement accepté comme le principal mode de reconnaissance des contributions d’un chercheur au stock des connaissances (Biagioli, 2003; Birnholtz, 2006; Bourdieu, 2001; Merton, 1973). Avoir son nom dans la liste des auteurs d’un article scientifique permet de signaler une contribution significative à une découverte originale ou une idée. Par la signature d’une publication, un chercheur revendique l’originalité et la priorité d’une découverte et peut en retour obtenir la reconnaissance de ses pairs pour cette découverte (Merton, 1973).

Deuxièmement, l’autorat permet l’attribution de la propriété d’une découverte ou d’une idée. La propriété n’est pas entendue ici dans le sens d’un droit d’auteur associé à des redevances financières, mais fait plutôt référence à la notion de responsabilité liée à une découverte ou une idée, incluant la responsabilité des erreurs et des controverses (Birnholtz, 2006). Une spécificité de la question de l’attribution du crédit en science est que l’octroi du crédit est inséparable de l’attribution de la responsabilité. Dès lors, lorsqu’un chercheur reçoit le crédit pour une découverte ou une idée, il doit en retour en garantir la responsabilité (Biagioli, 1998).

Troisièmement, l’autorat permet l’existence d’une économie de la réputation. Dans les descriptions du système de la reconnaissance savante de Merton (1973) et de Bourdieu (2001), les récompenses prennent la forme d’actes de reconnaissance symbolique publics tels que les prix et les distinctions honorifiques, les citations, ainsi que les remerciements, dans une moindre mesure (Cronin, 1995). Ces actes de reconnaissance s’appuient toutefois sur les contributions qu’un chercheur a faites à l’avancement des connaissances et passe donc généralement par la reconnaissance de l’originalité et de la priorité des travaux qu’un chercheur signe et réclame comme étant siens par l’autorat. L’acquisition et l’accumulation de capital dans le champ scientifique se font donc par la signature de publications savantes. Ainsi, l’autorité scientifique d’un chercheur n’est pas établie par la possession de capital économique, mais plutôt de capital symbolique. Le capital symbolique est le fruit de la reconnaissance par des tiers de la légitimité de la position de celui qui en est le possesseur (Bourdieu, 2001). L’autorat est donc le principal mode d’attribution du capital symbolique dans le système de la reconnaissance savante. Pour Bourdieu, accumuler du capital scientifique — cette espèce de capital symbolique propre au champ scientifique — c’est se faire un nom, être visible et être reconnu pour son autorité

21

scientifique. Plusieurs stratégies visent à maximiser cette visibilité, notamment les pratiques d’ordonnancement des noms d’auteurs signant les articles scientifiques qui permettent de « minimiser la perte de valeur distinctive » (Bourdieu, 1975, p. 99), conséquence de la division et de la spécialisation croissantes du travail scientifique depuis les années 1950 (Cronin, 2001; Galison, 2003; Zuckerman, 1968). Ces pratiques d’ordonnancement varient d’une discipline à l’autre, reflétant les pratiques disciplinaires en matière de division du travail et de distribution du crédit scientifique. De la même façon, la mention dans les remerciements permet de créditer la contribution d’un individu sans pour autant partager avec ce dernier le capital symbolique associé à l’autorat d’une publication savante.

L’évaluation d’un chercheur, que ce soit dans le cadre de l’embauche, d’une promotion ou d’un concours de financement, s’appuie généralement sur les publications signées en tant qu’auteur, sur le financement obtenu, ainsi que sur les distinctions remportées qui permettent de mesurer la valeur de ses travaux, c’est-à-dire ses apports en connaissances et la reconnaissance obtenue (Bourdieu, 2001; Pontille, 2004). L’acquisition de capital symbolique permet ainsi à un chercheur d’obtenir d’autres espèces de capitaux (économique, social et culturel) par la conversion de cette rétribution symbolique, qui elle s’appuie sur les travaux où le chercheur est reconnu comme auteur.

Il est toutefois important de souligner la nature circulaire des processus d’attribution et de conversion du capital dans le champ scientifique où le capital symbolique permet de générer du capital économique (financement) nécessaire à la production de nouveaux biens scientifiques menant en retour à plus de capital symbolique. Bien que l’autorat occupe une place centrale dans le processus d’attribution du capital symbolique, la capacité de produire et de signer des publications originales s’avère tout de même étroitement liée au capital économique dont dispose un chercheur. En effet, un chercheur doit être en mesure de mobiliser des ressources financières et matérielles pour produire des biens symboliques (publications savantes signées en tant qu’auteur) lui assurant en retour la reconnaissance de ses pairs et lui permettant d’amasser plus de capital symbolique, qui pourra à son tour être converti en d’autres espèces de capital (et en ressources). Au final, l’autorat constitue la principale monnaie d’échange

22

symbolique dans le champ scientifique, permettant en retour d’accéder aux ressources nécessaires à la production scientifique.

1.3 Les facteurs qui influencent les pratiques d’attribution du crédit