• Aucun résultat trouvé

Cinquante ans de recherche sur les remerciements

Chapitre 1. Revue de la littérature

1.4 Les remerciements dans le contexte de la communication savante

1.4.1 Cinquante ans de recherche sur les remerciements

Dès 1967, on voit apparaître les remerciements aux côtés de l’autorat et des citations dans une étude bibliométrique de la communication scientifique (Parker, Paisley et Garrett, 1967). Depuis, plus de 200 publications scientifiques se sont intéressées aux remerciements dans le contexte de la communication savante. Les disciplines ayant contribué à ce champ de recherche sont nombreuses et variées, allant de la psychologie aux sciences naturelles et biomédicales en passant par l’anthropologie, la linguistique et l’éthique. Toutefois, les études dédiées à l’analyse des remerciements proviennent majoritairement des sciences humaines et sociales, avec une contribution dominante des sciences de l’information (46% des études dédiées aux remerciements et indexées dans la base de données Web of Science proviennent de la catégorie Information Science & Library Science). L’informatique et l’étude des sciences et technologies, deux champs de recherche souvent proches des sciences de l’information, sont également très présents dans le corpus de la littérature sur les remerciements (32% des études du corpus indexées dans la base de données Web of Science proviennent de la catégorie Computer Science et 9% des catégories Science & Technologie et History & Philosophy of Science).

En ce qui a trait aux méthodes utilisées pour étudier les remerciements, les études empiriques basées sur les données textuelles sont largement les plus fréquentes et représentent 64% des publications du corpus. Une très forte majorité d’études ont utilisé des méthodes d’analyses quantitatives, seules ou en combinaison avec d’autres méthodes, elles sont présentes

5 Cette section s’appuie sur une revue systématique de la littérature réalisée en collaboration avec Nadine

Desrochers et Jen Pecoskie, publiée dans Journal of the Association for Information Science and Technology (Desrochers, Paul-Hus et Pecoskie, 2017). Afin d’obtenir le corpus final de 229 publications scientifiques sur les remerciements, nous avons effectué des requêtes dans 10 bases de données bibliographiques. Des 1 521 notices bibliographiques repérées grâce à ces requêtes, seules 160 notices ont été retenues dans le corpus. Les raisons d’exclusion incluent notamment les doublons, l’utilisation du terme « remerciement » dans un sens homonyme non pertinent à notre étude, et les notices incomplètes ou erronnées. De plus, seules les publications en français et en anglais ont été retenues dans le corpus. Aucune limite chronologique ou géographique n’a été appliquée au corpus. Finalement, 95 notices additionnelles ont été incluses au corpus final et proviennent d’autres sources et méthodes de recherche : analyse manuelle des bibliographies de publications déjà incluses au corpus, connaissance personnelle et sérendipité.

30

dans 71% des publications du corpus. Les analyses quantitatives se limitent dans une large proportion aux statistiques descriptives (66% des publications) — c’est-à-dire le nombre d’articles d’un corpus qui inclut des remerciements — mais incluent parfois l’utilisation d’indicateurs bibliométriques et dans une moindre mesure de statistiques inférentielles (24% des publications). Près de la moitié des études empiriques (47%) incluent aussi des analyses qualitatives où le contenu des remerciements est codé manuellement à l’aide d’un arbre de codage inductif ou prédéterminé (p. ex. typologie des remerciements empruntée à la littérature existante). Une proportion plus faible, mais toutefois non négligeable, des études empiriques ont utilisé des méthodes d’analyses linguistiques (13% des publications du corpus) où les courts textes de remerciements sont analysés sous un angle pragmatique, sémantique ou structurel.

D’autres études ont utilisé des méthodes s’appuyant non pas sur les données textuelles des remerciements, mais plutôt sur des données recueillies dans le cadre d’enquêtes et d’entrevues visant à explorer les pratiques de remerciements et l’opinion des auteurs ou remerciés à l’égard des remerciements, ces études représentent 15% du corpus. La littérature sur les remerciements compte également des guides de bonnes pratiques et lignes directrices qui visent à établir des normes pour encadrer les pratiques d’attribution du crédit et la rédaction de remerciements en contexte scientifique (p. ex. Alwi, 2007; Baggs, 2008; Glass, 1992; Graf et al., 2007; Hess et al., 2015; Swales et Feak, 2000), ces études représentent 6% du corpus. Les remerciements demeurent toutefois à ce jour un espace très peu balisé. À cet effet, de nombreuses études à travers le temps mentionnent le manque de standardisation des remerciements comme une des principales limites à l’analyse de ces courts textes :

The format of acknowledgement varies from field to field and from journal to journal. As noted, persons and institutional sources may be listed in the methods and materials section of an article or explicitly thanked in an acknowledgements section. (McCain, 1991, p. 506)

Since there are no established formats for acknowledgements in papers, as there are for citations, expressions of gratitude vary greatly and sometimes it was difficult to identify the correct type of support, and even more difficult, the correct funding organisation. (Jeschin, Lewison et Anderson, 1995, p. 238)

The first source of simple error may arise through the misspelling of the names of funding bodies and potentially the names of grants and grant codes […] A second difficulty will be that researchers will not correctly remember the funding bodies and grants that they used to support the research. (Rigby, 2011, p. 368-369)

31

In using and interpreting funding acknowledgement data for large-scale bibliometric analyses, some caveats and limitations need to be recognized. Funding arrangements can be complex: more than one grant number from a single funding agency as well as multiple funding agencies can be reported as supporting the research presented in a single paper. Additionally, not all publications indexed by WoS contain funding information. […] The non-reporting of research awards may also be due to intentional or unintentional neglect by authors. (Wang et Shapira, 2011, p. 567) The isolation of the funding brought by collaborators seems not to be possible at the moment according to the way in which authors acknowledge funding (not always each author indicate his/her funding acknowledgement individually) and how it is reflected in bibliographic databases (even if the information is available, there is no direct link between the author and his/her individual funding acknowledgement. (Costas et Yegros-Yegros, 2013, p. 94)

La signification ambiguë des remerciements dans le contexte scientifique vient également du fait qu’ils soient perçus, dans certains cas du moins, comme des gestes intéressés, profitant davantage à leur auteur qu’aux remerciés eux-mêmes, comme en témoignent les extraits suivants :

This is why the mention of other, especially “older,” anthropologists’ names in acknowledgements may be viewed as a strategy for gaining professional attention. (Ben-Ari, 1987, p. 67)

Acknowledgements are thus pointedly self-serving gestures, and they contain genuine and appropriate expressions of real gratitude, but as all authors sense, they simultaneously prepare the reader to judge sympathetically the author’s text. (Coates, 1999, p. 255)

Acknowledgments are permeated by hyperbole, effusiveness, overstatement, and exaggeration. (Hollander, 2001, p. 64)

But although academics appear to subscribe to a governing etiquette of acknowledging practices […], expressing thanks to others is not an entirely altruistic practice, and it is this potential for flattery and self-promotion which has attracted criticism to acknowledgements. (Hyland, 2003, p. 245)

Acknowledgements have been discussed as a form of patronage in scholarly communication, where the reality of the past may be purposefully glossed over and where the author could be looking toward the possibility of receiving future favors. (Forzetting, 2010, p. 4)

Néanmoins, trois perspectives principales se dégagent de la littérature sur les remerciements dans le contexte de la communication savante : les remerciements comme genre académique, les remerciements comme outil bibliométrique et les remerciements comme forme d’attribution de crédit (Desrochers, Paul-Hus et Pecoskie, 2017). Les études s’étant intéressées à la forme, à

32

la structure et au style des remerciements en tant que genre proviennent surtout du domaine linguistique (p. ex. Al-Ali, 2010; Gesuato, 2004; Giannoni, 2002; Lasaky, 2011; Loan, 2017; Yang et al., 2012; Zhao et Jiang, 2010). Cette perspective caractérise 22% des publications du corpus. La deuxième perspective, les remerciements comme outil bibliométrique, regroupe toutes les études où les remerciements sont analysés aux côtés d’autres indicateurs bibliométriques dans l’évaluation d’un domaine ou d’un objet de recherche (p. ex. Harter et Hooten, 1992; Innes, 2006; Lewison et Markusova, 2010; Murray, 1982; Mwendera et al., 2017; Tiew, 1998). Près de 50% des publications du corpus se situent dans cette perspective qui inclut notamment les études s’intéressant au financement de la production scientifique. Ces études utilisent généralement les remerciements comme source de données pour mesurer les tendances dans le financement et l’effet du financement sur la productivité et sur l’impact de chercheurs, de groupes de recherche ou d’institutions (p. ex. Crawford et Biderman, 1970; Gök, Rigby et Shapira, 2016; Markusova, Libkind et Aversa, 2012; Mejia et Kajikawa, 2018; Morillo, 2016; Morley, Cameron et Bazermore, 2016; Rong, Grant et Ward, 1989; Shah et al., 2014; Stehr et Forkel, 2013; Zhou et Tian, 2014). Finalement, les remerciements comme forme d’attribution du crédit constituent l’angle dominant du champ de recherche des remerciements d’un point de vue quantitatif puisque 66% des publications ont adopté cette perspective. Cette perspective inclut les publications qui positionnent les remerciements aux côtés de l’autorat, des citations et des mentions de contribution dans l’écosystème de l’attribution du crédit scientifique.