Comme illustré sur la figure 40, la composition de la communauté végétale locale est le fruit d’un processus continu et à plusieurs niveaux et différentes échelles spatiales de filtrage écologique qui prend son origine dans le pool de plantes régional.
Selon George & Bazzaz (1999), un filtre écologique agit comme un tamis sur les populations initiales de diaspores d’une communauté complète et détermine les caractéristiques de la communauté émergente comme la composition spécifique, la productivité et les patrons de distribution spatiale. Pour Myers & Harms (2009), le filtrage écologique intervient du moment que des facteurs biotiques et abiotiques limitent l’appartenance d’une espèce à une communauté locale. Van der Valk (1981) indique qu’à travers son influence sur les populations de certaines espèces, l’environnement peut aussi agir comme un tamis écologique qui structure les communautés. Poff (1997) fait lui référence aux caractéristiques de l’habitat comme des filtres qui influencent la probabilité que des espèces avec des attributs fonctionnels particuliers soient capables de persister comme membres d’une communauté locale. Díaz et al. (1998) décrivent l’ensemble des attributs des plantes régulièrement associés avec certaines conditions environnementales comme la conséquence de l’effet de filtre des conditions climatiques, des perturbations et des conditions biotiques. Tonn et al. (1990) décrivent les conditions environnementales comme des filtres constitutifs à travers lesquels le pool régional d’espèces doit passer pour être potentiellement présent à une échelle locale.
Ces définitions rejoignent les règles d’assemblage des communautés (Keddy, 1992), c’est‐à‐dire les filtres, quels qu’ils soient, imposés au pool régional d’espèces. En ce sens, sa définition est proche de celle proposée par Myers & Harms (2009), Keddy (1992) décrit la meilleure façon d’envisager les règles d’assemblage comme un processus d’éviction par lequel l’environnement agit comme un filtre qui retire les espèces auxquelles il manque les attributs leur permettant de persister dans un ensemble particulier de conditions. Il décrit également ce processus de délétion comme un processus successif hiérarchique depuis le régime des conditions climatiques, le régime dominant de perturbations et finalement les interactions entre organismes. Il fait également l’analogie avec le processus de sélection naturelle, où seules les espèces avec un certain nombre de traits particuliers peuvent subsiter aux différents filtres et ainsi contribuer à la communauté locale.
Kraft et al. (2015) reprécisent la définition du filtre environnemental, au sein des règles d’assemblage des communautés, du fait d’une dérive dans la définition de ce terme au cours du temps, avec des conséquences sur la manière de le tester et de le mettre en évidence. Le filtre environnemental, filtre d’habitat ou encore filtre abiotique fait référence aux facteurs abiotiques qui empêchent l’établissement et la persistence d’une espèce sur un site donné en l’absence d’interactions biotiques.
Par la suite, je conserverai la notion générique de filtre écologique pour l’ensemble des étapes de filtrage qui agissent sur le pool régional de plantes jusqu’à l’assemblage des communautés végétales locales (fig. 40). Le premier filtre qui opère est le frein à la dispersion (Lortie et al., 2004), c’est‐à‐dire la capacité des plantes à atteindre un site donné, c’est une question de distance et peut être lié à des vecteurs biotiques et abiotiques. Le second filtre est le filtre environnmental, sensu Kraft et al. (2015), il se définit par l’impossibilité pour une espèce qui arrive sur un site donné à s’établir en l’absence de voisins, et fait donc référence à la tolérance physiologique des plantes aux conditions abiotiques locales. Les filtres suivants sont liés aux interactions biotiques, aux interactions entre plantes (compétition/facilitation) mais aussi aux interactions directes avec d’autres organismes (Lortie et al., 2004). Kraft et al. (2015) précisent également que l’hétérogénéité abiotique locale peut permettre ou faciliter la coexistence des plantes, on verra plus loin que les grands herbivores peuvent modifier fréquemment les conditions abiotiques locales dont la qualité est donc transitoire, cette variabilité temporelle des conditions abiotiques locales est à l’origine des fenêtres d’opportunité (Myster, 1993) pour que s’installent les plantes.
Les cadres en couleur dégradée bleue qui représentent les 4 grands filtres écologiques (le filtre lié à la dispersion, le filtre environnemental, les interactions biotiques entre plantes et les interactions biotiques entre plantes et d’autres organismes prédateurs et pathogènes) opèrent sur le pool régional de plantes pour façonner la communauté végétale locale. Pour ces 4 grands filtres apparaissent les processus par lesquels les grands herbivores interagissent dans les règles d’assemblage des plantes (fig. 40): différents mécanismes de dispersion interne et externe; les effets d’ingénierie physique et d’ingénierie de transport chimique ; les interactions entre plantes, compétition et/ou facilitation, médiées ou non par les grands herbivores; et les interactions directs avec d’autres organismes, comme les grands herbivores, les petits prédateurs, les coléoptères coprophages et autres agents pathogènes.
La ligne médiane pointillée orange représente les 2 façons d’envisager les résultats de la dispersion, soit de manière prospective par une analyse chronologique depuis la prise en charge jusqu’à la libération des diaspores (les approches mécanistes), soit de manière rétrospective en essayant de comprendre les processus qui peuvent expliquer les patrons observés de distribution des plantes à différents stades. Cette figure 40 est inspirée par les 4 articles suivants : Lortie et al. (2004) ; Olff & Ritchie (1998) ; Wang & Smith (2002) et Wilby et al. (2001). La communauté végétale locale est le résultat d’un filtrage écologique permanent qui entraîne des changements continuels dans sa composition ; la communauté végétale peut être définie comme un état perpétuellement transitoire du fait de conditions locales changeantes et d’un flux de diaspores fluctuant. Les grands herbivores parce qu’ils interviennent à ces différents niveaux de filtrage sont des acteurs dynamiques des communautés. Ils influencent la dynamique des écosystèmes par leurs stratégies d’alimentation et les modifications physiques de leur habitat, qui se répercutent sur les communautés locales et aboutissent à des changements sur le long terme du cycle des nutriments (Naiman, 1988).
Encart 4. Les approches par caractéristiques (traits, traits fonctionnels et indicateurs de préférence d’habitat) des plantes et leurs diaspores
Le trait correspond à toute caractéristique morpho‐physio‐phénologique mesurable sur l’individu, sans référence à l’environnement. Le trait fonctionnel impacte la fitness indirectement par ses effets sur la croissance, reproduction et survie (Violle et al. 2007). Les approches par traits ont pour finalité de généraliser nos résultats et de comprendre leur implication fonctionnelle dans les processus en jeu. En ce qui concerne les plantes, nous avons déjà évoqué (Encart 2) les groupes fonctionnels pour les formes de vie (mousses, fougères, herbacées, graminées, arbustes et arbres), pour les traits traités dans le tableau 11 ci‐dessous il s’agit autant des traits des plantes que ceux des diaspores dont elles sont issues. Ces traits sont disponibles dans différentes bases de traits (ECOFLORA, Baseflor, LEDA, Tela Botanica, Digital Seed Atlas of Netherlands, Biolpop, …).
Tableau 11. Récapitulatif des traits des diaspores et des caractéristiques des plantes mobilisées dans nos différents travaux
traitant de l’herbivorie, du transport zoochore et de l’ingénierie physique.
TRAITS DES DIASPORES herbivorie endozoochorie épizoochorie ingénierie
physique
Présence ou non d’appendices ACL11, 13, 16 ACL11, 13, 20p
Type et morphologie des appendices ACL11, 13, 16 ACL11, 13
Présence de pulpe (fruits secs/charnus), d’élaiosome ou de mucilage
ACL13, 16 ACL13
Taille (L, l) ACL11, 12, 16 ACL11
Masse ACL11‐ 13, 16 ACL11, 13
Forme (Vs) (0 sphérique à 0.2 forme d’aiguille, Bekker et al., 1998) ACL11, 13, 16 ACL11, 13 Longévité dans la banque du sol (transitoire <1 an, courte]1‐5[ & longue 5 ans et +) ACL11, 13, 16 ACL11, 13 Tégument (perméabilité, épaisseur) ‐ CARACTERISTIQUES DES PLANTES Préférence d’habitat (forêt, mil. ouvert, lisière, mil. humide) ACL 8 ACL 11, 13, 14, 16 ACL7, 11, 13, 14, 16 Valeurs indicatrices d’Ellenberg (N azote, L lumière, T température, F humidité du sol, R acidité)
ACL5, 9 ACL 13, 14, 16 ACL7, 13, 16 ACL 18p.
Mode principal de dispersion (baro‐, anémo‐, épi‐, …‐chorie) ACL14 ACL7, MSc9 Densité du bois ACL5 Hauteur maximum ACL5 Surface foliaire spécifique ACL5 Formes de vie, de croissance (bryophytes, fougères, herbacées, graminées, arbustes et arbres) ACL5, 6, 8, 9, 19p Classification de Raunkiaer (théro‐, géo‐, …‐ phytes) ACL16 Stratégies de Grime (1974) (C compétitive, S tolérante au stress, R rudérale) ACL18p. Durée de vie ACL18p. Appétence du feuillage (approchée par la valeur indicatrice N d’Ellenberg) ACL13 Présence de défenses physiques des feuilles et des tiges ACL5 Quantité de diaspores produites ACL12 x
Hauteur de libération des diaspores ACL11, 13 ACL11, 13