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Chapitre 8. Facteurs locaux de distribution

II.8.1. Les facteurs biotiques

II.8.1.1. Introduction

Par facteurs biotiques de distribution, on désigne les relations directes que les Carabides entretiennent avec d'autres organismes vivants. Lors de l'introduction générale, on a présenté les différents facteurs biotiques qui pourraient être responsables de la régulation de l'abondance des Carabides. Les trois types de facteurs biotiques principaux sont : la prédation, le parasitisme et les relations de compétition interspécifique. Les données récoltées au cours de ce travail permettent d'évaluer l'importance des deux derniers.

II.8.1.2. Les parasites

THIELE (1977) a présenté une synthèse des connaissances acquises dans ce domaine.

Parmi les très nombreux organismes qui parasitent de manière externe les Carabides, les laboulbéniales ( Champignons) et les acariens sont les plus fréquents.

Lors des déterminations, les individus porteurs de nombreuses laboulbéniales ont été notés et mis de côté. Mr. A. DE KESEL s'est chargé de leur identification. Parmi les

21270 individus piégés en 1987 et 1990, seulement 226 appartenant à 21 espèces étaient porteurs de laboulbéniales en grand nombre. Quatre stations sont caractérisées par des fréquences plus élevées : les prairies alluviales de Sampont (station 39 : 111 individus), des Moutes (station 38 : 47 individus), des Abattis (station 34 : 22 individus) et la lande sablonneuse de la Mer de sable (station 3 : 11 individus). Les 39 individus restants se répartissent dans 17 stations, en majorité des landes sablonneuses (6 stations) et des pelouses calcicoles (5 stations). Le tableau II.5 présente l'état actuel des déterminations : 9 espèces de laboulbéniales sont isolées, chacune sur un hôte propre. Plusieurs de ces données sont d'un grand intérêt biogéographique (DE KESEL, communication personnelle;

DE KESEL & RAMMELOO, 1991). Les proportions d'individus infectés sont parfois élevées,

mais généralement limitées à une station.

Carabides hôtes Nind Ntot % Stations Parasites

Agonum fuliginosum 32 258 11.03% 38, 39 ?

Agonum muelleri 1 47 2.13 % 48 ?

Badister bipustulatus 1 18 5.56 % 18 Laboulbenia polyphaga Bradycellus harpalinus 3 51 5.88 % 3, 75 Laboulbenia harpalinus Bradycellus ruficollis 9 3 Laboulbenia bradycelli

1 48 ? 18 469 3.84%

Bembidion unicolor 20 34 Laboulbenia pedicellata

2 39, 51 ? 6 55 ? 28 289 9.69 % Clivina fossor 1 118 0.85% 39 ? Dyschirius globosus 1 1264 0.08 % 69c ? Dromius linearis 1 9 - 14 ? Harpalus azureus 1 1 - ?

Harpalus atratus 2 11 18.18 % Laboulbenia flagellata Harpalus puncticollis 2 13 15.38 % 24 ? Metabletus fovaetus 1 2 ? 1 9 Laboulbenia metableti 2 133 1.50 % Notiophilus germinyi 4 30 13.33 % 7 ? Patrobus atrorufus 16 38 ? 27 39 Laboulbenia fasciculata 43 594 7.24 %

Pterostichus diligens 1 27 Laboulbenia argutoris

12 8 ? 12 39 ? 25 1611 1.55 % Pterostichus minor 3 38 ? 2 39 ? 5 659 0.76 % Pterostichus strenuus 4 38 ? 45 114 39.0 % ! 39 ? 49 252 19.44 % Pristonychus terricola 2 7 - 16, 17 ? Trichocellus placidus 2 34 ? 2 39 ? 4 19 21.05 %

Trechus rubens 1 2 - 39 Laboulbenia vulgaris

Tableau II.5. Liste des espèces de Carabides porteurs de laboulbéniales. Nind désigne le nombre d'individus infestés, Ntot le nombre d'individus total de cette espèce et % le rapport de ces deux nombres.

Même si ces résultats sont encore partiels, il est très probable que l'action des laboulbéniales sur la distribution des Carabides en général soit négligeable; la proportion de Carabides infestés est trop faible par rapport au nombre total d'individus recensés. Dans les stations où elles sont les plus abondantes, les laboulbéniales parasitent jusqu'à 39 % des individus, comme c'est le cas pour Pterostichus strenuus. Ces proportions extrêmes sont proches de celles publiées par ANDERSEN & SKORPING (1991). Ces auteurs associent ces valeurs élevées aux caractéristiques du biotope, comme la présence d'un sol argileux et d'une végétation abondante. Les prairies alluviales (34, 38, 39) correspondent à cette description. Notre étude révèle aussi que les laboulbéniales ne se limitent pas aux habitats

humides et ombragés, mais sont aussi fréquentes sur les Carabides d'autres habitats comme les landes sablonneuses et les pelouses calcicoles.

Les conséquences du parasitisme par les laboulbéniales pour les Carabides se limiteraient toutefois à une plus grande difficulté dans les déplacements (ANDERSEN & SKORPING, 1990), mais seulement lorsqu'elles couvrent une bonne partie de la surface du corps. Dans de rares cas extrêmes, les élytres ne s'écartent qu'après un certain effort et les ailes sont donc inutilisables. D'après ces auteurs, la limitation des déplacements pourrait éventuellement favoriser la prédation.

La présence d'acariens sous les élytres a aussi été notée; mais ils n'ont pas encore été déterminés. Dans le cas présent, il ne s'agit pas de parasitisme au sens propre, mais plutôt d'acariens pratiquant la phorésie. Le nombre d'individus infectés s'élève à 164, ce qui est très probablement en-dessous de la réalité puisque seules les élytres des espèces dimorphiques et de celles dont la détermination est confirmée par la taille des ailes ont été démontées. Les espèces où les acariens sont le plus fréquemment observés sont

Pterostichus diligens (57 ind.), Agonum fuliginosum (33), Metabletus foveatus (19), Pterostichus minor (11), Pterostichus strenuus (7), Pterostichus versicolor (6), Agonum versutum (10), Dyschirius globosus (4), Agonum moestum (3) et Bembidion unicolor (3). Il est surprenant de

les observer chez d'aussi petits Carabides que les Dyschirius ou les Metabletus qui dépassent à peine 3 mm. Généralement, les acariens sont accrochés à la base de l'aile et celle-ci est souvent très abîmée. On confirme ainsi l'observation de DESENDER & VANEECHOUTTE (1984). L'élytre est même parfois déformée. Plusieurs observations ont été réalisées sur des individus néonates, très fraîchement éclos. Si la majorité de ces acariens sont très probablement des phorétiques, plusieurs observations révèlent la présence étonnante de pontes et de larves, à même la partie dorsale de l'abdomen. Une fraction non négligeable des Carabides porteurs d'acariens pourraient en fait être réellement parasités et en subir les conséquences.

Comme pour les laboulbéniales, ce sont encore les prairies alluviales (stations 34, 38, 39) qui se partagent plus d'un tiers des Carabides porteurs d'acariens. On notera aussi leur présence aux bords des étangs de Luchy (7 ind.) et des Éplattis (64 ind.). Les autres stations sont principalement des landes sablonneuses.

On remarquera que les deux groupes de parasites sont relativement plus fréquents dans les stations les plus riches en individus. Ils doivent toutefois être considérés comme des acteurs modestes des mécanismes de régulation dépendant de la densité. Comme pour les laboulbéniales, le rôle des acariens devrait notamment être établi expérimentalement pour éprouver cette hypothèse. Il est très probable que leur présence limite ou empêche le déplacement aérien des Carabides.

II.8.1.3. La compétition

Comme on l'a indiqué dans le Chapitre 5, si la compétition-exclusion jouait un rôle majeur, on s'attendrait à ce que des espèces aux exigences écologiques semblables s'excluent plus souvent qu'elles ne coexistent.

Toutes les espèces Espèces avec Nind > 1 Stations D.G. attendu observé ob./at. D.G. attendu observé ob./at. Paires 15.7 761.7 2091 2.7 12.3 441.0 1076 2.4 Triplets 117.0 425.9 2809 6.6 78.1 141.5 1105 7.8 Quartés 1101.0 119.1 3264 27.4 665.8 26.0 1050 40.4 Année D.G. attendu observé ob./at. D.G. attendu observé ob./at. Paires 15.7 786.8 2391 3.0 12.4 395.1 1221 3.1 Triplets 117.0 332.3 2810 8.5 80.0 97.6 1108 11.4 Quartés 1101.0 72.4 3023 41.8 692.7 11.7 960 82.1 Pièges D.G. attendu observé ob./at. D.G. attendu observé ob./at. Paires 15.7 868.8 4077 4.7 12.4 315.7 1841 5.8 Triplets 117.0 128.4 2983 23.2 85.8 17.5 963 55.0 Quartés 1101.0 10.9 2146 196.9 662.2 0.82 475 579.3 Pi. * rel. D.G. attendu observé ob./at. D.G. attendu observé ob./at.

Paires 15.7 381.6 3869 10.1 12.4 124.6 1282 10.3 Triplets 117.0 20.5 1345 65.6 90.1 3.7 287 77.6 Quartés 1101.0 0.6 455 758.3 704.3 0.1 4 66.7

Tableau II.6. Tableau synthétique des nombre de paires, de triplets et de quartés attendus pour les différents niveaux hiérarchiques de l'échantillonnage, c'est-à-dire par station, par cycle annuel de piégeage, par piège tous relevés confondus et enfin, par piège, mais pour chaque relevé. D.G. désigne la diversité générique qui évalue le nombre de tirages de deux espèces nécessaires pour obtenir une paire congénérique dans l'ensemble des données; ob./at. est le rapport du nombre de paires congénériques observées et du nombre de paires congénériques attendues, établies sur base de la diversité générique.

Comme DEN BOER (1980) a montré que les espèces qui appartiennent au même genre sont aussi écologiquement plus semblables, on peut comparer les probabilités d'occurrence d'espèces congénériques à celles d'espèces appartenant à des genres différents. Sous l'hypothèse de la compétition-exclusion, on s'attend à ce que les paires congénériques soient plus rares.

Le tableau II.6 présente une synthèse de l'application de la méthode élaborée par WILLIAMS (1964) aux différents niveaux de hiérarchisation de l'échantillonnage25. Le

nombre de paires congénériques observées par station est 2.7 fois plus grand que le nombre de paires attendu. Même si on supprime de l'analyse les espèces dont les effectifs ne dépassent pas un individu par station, on observe toujours plus de paires, de triplets ou de quartés congénériques que ce qu'une répartition au hasard aurait produit. L'hypothèse d'une compétition intra-générique intense est largement rejetée, puisque c'est même l'inverse qui est observé.

Comme LOREAU (1983) a démontré que la succession temporelle des espèces était un facteur de structuration majeur des communautés, au moins pour des assemblages d'espèces forestières, il est intéressant de reproduire la même analyse pour chacun des relevés. Pour chaque relevé, la compétition intra-générique est aussi rejetée. De manière à maximiser les chances que les espèces ont de se rencontrer, l'analyse a été effectuée en prenant la plus petite échelle de la structure hiérarchisée du plan d'échantillonnage, c'est-à- dire les données par piège et par relevé. Non seulement, les résultats confirment que la compétition intragénérique ne se traduit pas par des exclusions d'espèces, mais ils montrent que, plus on se rapproche du niveau où les interactions interspécifiques se produisent (WIENS, 1984), plus le nombre de paires, de triplets et de quartés congénériques devient élevé. On assiste réellement à la démonstration de la réalité de la coexistence congénérique plutôt qu'à de la compétition intragénérique.

Faut-il en conclure que le rôle de la compétition dans la structure des assemblages de Carabides est négligeable ? Il est clair que si la compétition est un facteur de régulation des densités de certaines espèces, ses conséquences ne se traduisent pas par des situations extrêmes où l'un des compétiteurs est exclu. Pour que cet extrême se manifeste, il est nécessaire que les ressources alimentaires soient limitées et, selon DEN BOER (1980), ce n'est pas le cas pour les Carabides. Bien que cela soit difficile à prouver et que les Carabides soient l'un des groupes d'invertébrés les plus abondants, rien n'indique qu'en général, ils saturent leur habitat.

On remarquera toutefois que si les espèces congénériques sont effectivement aussi écologiquement proches, des différences écologiques subtiles mais très nettes opposent les espèces difficiles à distinguer l'une de l'autre au sein du même genre. La Figure II.41 présente ainsi un dendrogramme établi à partir de la similarité de la distribution pour les

25 On élimine systématiquement du calcul de la diversité générique les genres représentés par une seule espèce, deux ou trois espèces, si la diversité générique est respectivement calculée pour les paires, les triplets et les quartés.

différentes espèces du genre Pterostichus. Les espèces très proches taxonomiquement, identifiées par des symboles similaires, sont généralement observées dans des habitats différents. Cette observation, qui va dans le sens d'une exclusion d'espèces taxonomiquement proches, était déjà perceptible lors des ordinations. Elle n'est pas en contradiction avec l'affirmation de DEN BOER (1980), pour qui, lorsqu'on compare des genres différents, les espèces congénériques sont écologiquement plus proches les unes des autres. D'une part, la mesure de cette affinité écologique diffère selon le niveau de l'échelle de la classification des habitats et donc de l'échelle spatiale à laquelle sont abordés les phénomènes. Quand on compare des genres différents, les similarités écologiques intragénériques sont plus marquées que leurs différences. D'autre part, plusieurs espèces du même genre peuvent coexister, mais être suffisamment différentes taxonomiquement pour ne pas être en compétition. C'est ainsi que, comme BRANDL & TOPP (1985) l'avaient remarqué, les quatre espèces du genre Pterostichus occupant les landes (plutôt humides) se caractérisent par une très nette distribution de la taille moyenne. Pterostichus diligens est la plus petite espèce, Pterostichus niger la plus grande. D'autres dendrogrammes ont aussi été établi pour les genres Agonum, Amara et Harpalus. Ils révèlent tous d'intéressantes hétérogénéités intragénériques qui relativisent l'observation de DEN BOER (1980). Si les espèces congénériques sont écologiquement plus proches les unes des autres, la particularité de leurs affinités d'habitat à une échelle spatiale inférieure peut encore être suffisante pour éviter ou diminuer les probabilités d'interactions.

Le rôle de la compétition comme mécanisme structurant les assemblages d'espèces de Carabides n'est toujours pas très clair. Les structures décelées par DEN BOER (1980) ne permettent pas de rejeter définitivement la compétition car il n'étudie le phénomène qu'à une seule échelle, probablement très inadaptée. Les différents genres correspondent à des phénomènes de spéciation qui remontent très loin dans le temps, et les traits d'histoire naturelle qui les caractérisent sont les adaptations aux structures majeures de leur environnement. Comme WIENS (1989) le rappelle, le rôle de la compétition doit s'évaluer à une échelle spatiale et temporelle la plus proche de l'arène où se déroulent les interactions biologiques. De très nombreux renseignements, difficiles à obtenir quand il s'agit d'invertébrés, manquent encore comme une évaluation de la disponibilité des ressources (alimentaires et autres), de l'intensité de la compétition intraspécifique, la détermination des cycles de vie et ses comportements. Il faut aussi mentionner que seul le stade adulte est étudié et que les phénomènes de régulation agissent certainement sur le stade larvaire.